L'infirmière Libérale Magazine n° 326 du 01/06/2016

 

Le débat

Laure Martin  

La ministre de la Santé a présenté, le 23 mai, des mesures pour renforcer la sécurité des essais cliniques, à la suite d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l’essai clinique de la molécule BIA 10-2474, marqué en janvier, à Rennes, par la mort d’un volontaire. Analyses croisées du dispositif actuel.

Jacques Bernard

co-fondateur de l’Alliance maladies rares, président de Maladies rares info services et membre d’honneur du conseil d’administration de l’Afa(1)

Un essai clinique réalisé dans les règles présente-t-il un risque zéro ?

Il n’y a jamais de risque zéro. Les essais cliniques sont des expériences humaines avec des intermédiaires technologiques, et nous ne savons pas comment va réagir le malade, surtout avec des pathologies graves. En phase I des essais cliniques, juste après les expérimentations animales, des personnes en bonne santé et volontaires testent les médicaments afin de déterminer la limite en dosage de la molécule. Il s’agit d’une véritable contribution citoyenne. Personne ne sait encore ce qui s’est vraiment passé à Rennes(2). Avec des êtres humains [qui organisent les tests], les erreurs sont possibles.

Manquons-nous de transparence en France, sur la tenue des essais cliniques ?

Le monde thérapeutique est tenu par les industriels privés qui investissent, le secret est donc de mise. Mais ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. La tenue des essais cliniques est légalisée avec un cahier des charges généralisé. Le promoteur [hôpital, laboratoire, société savante] a un cadre précis à tenir. De plus, après l’obtention de l’aval de l’ANSM(3), le promoteur doit recevoir celui du Comité de protection des personnes (CPP), chargé d’émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine.

De fait, si les représentants des usagers ne sont pas présents à la réunion du CPP qui traite ce dossier, le protocole portant sur l’essai clinique concerné devra repasser devant le comité. Aujourd’hui, les malades commencent à ne plus être considérés comme des cobayes. Le promoteur et l’expérimentateur doivent expliquer le produit expérimenté et ce qu’ils en attendent, afin que les malades puissent exprimer un véritable consentement dit “éclairé”.

Jusqu’à quel point les patients doivent-ils être associés à l’élaboration des protocoles d’essais cliniques ?

La contribution des associations de malades est très importante, sous réserve que l’association soit consultée très en amont, avant même que le protocole soit finalisé. Cette contribution associative permet de proposer au CPP un protocole qui aura été “adoubé” par l’association concernée, ce qui, en retour, pourra faciliter le “recrutement” de malades.

Claire Sibenaler

directrice des études cliniques au Leem(4)

Un essai clinique réalisé dans les règles présente-t-il un risque zéro ?

Le risque zéro n’existe pas. Une recherche biomédicale ne peut être effectuée que si elle se fonde sur l’état des connaissances actuelles. De fait, le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à l’essai clinique doit être proportionnel au bénéfice.

Il appartient aux autorités compétentes (ANSM et CPP) d’évaluer ce rapport bénéfice/risque.

Manquons-nous de transparence en France, sur la tenue des essais cliniques ?

L’élaboration d’un essai clinique, avant d’être soumis à l’ANSM et au CPP pour évaluation et autorisation, est préparée par un promoteur. Certains se font aider par des associations de patients pour s’assurer que des points du protocole sont pertinents et réalisables. Une fois autorisée, l’étude clinique est inscrite sur un registre (Eudraregister en Europe).

Les résultats des essais sont également publiés sur ce site. Par ailleurs, les industriels se sont engagés en 2014 à un partage responsable des données des essais cliniques tout en respectant les patients, l’intégrité des procédures réglementaires de chaque pays et la compétition entre les entreprises. L’un des engagements concerne aussi l’amélioration de l’accès public aux informations concernant les essais cliniques. En outre, en France, les patients ont accès au résumé des résultats des essais cliniques s’ils le souhaitent. De fait, la transparence et l’accès à l’information sont satisfaisants et vont s’améliorer avec l’entrée en vigueur fin 2018 d’un règlement européen sur les études cliniques. Il n’y a guère plus d’ambiguïté sur cette transparence.

Jusqu’à quel point les patients doivent-ils être associés à l’élaboration des protocoles d’essais cliniques ?

Il est important que les promoteurs se rapprochent des associations dans l’élaboration des protocoles. Mais cette participation doit être structurée. Les patients, qui sont experts de leur maladie, doivent être formés et posséder une grande connaissance des essais cliniques et de la méthodologie afin de transmettre au promoteur des éléments réalisables et reproductibles dans les protocoles.

(1) Afa : Association François Aupetit.

(2) L’Igas évoque une autorisation conforme à la réglementation, mais formule plusieurs critiques. À propos de l’escalade des doses, elle déplore ainsi le choix « insuffisamment précautionneux » de passer à 50 mg en doses multiples croissantes. Une enquête judiciaire est en cours. Rapport de l’Igas et annonces de la ministre via bit.ly/1Z5LnYP

(3) ANSM : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

(4) Leem : Les entreprises du médicament.