À la nuit tombée, Hélène Gayraud troque sa mallette de soin pour un micro et part animer les nuits de Toulouse… et d’ailleurs. Avec son groupe Les Gazelles, l’infirmière libérale se transforme en chanteuse et bascule dans un tout autre univers. Pour 35 à 40 concerts par an.
C’est après la tournée du soir que commence la deuxième vie d’Hélène Gayraud, infirmière libérale à Toulouse. Au moment où elle passe derrière un micro, sur une scène ou pour une répétition, avec l’un des groupes qu’elle a fondés. « Il y a une vingtaine d’années, lors d’un spectacle dans un café concert de Toulouse, un chanteur qui avait un deuxième micro m’a laissé improviser sur ses chœurs, explique Hélène. J’ai aimé ce travail sur les harmonies. Et lui a été tellement enchanté qu’il m’a prise comme choriste pendant un an et demi. » De fil en aiguille, sans jamais le moindre cours de chant, même si les artistes rencontrés lui divulguent quelques ficelles du métier, l’Idel accompagne un pianiste, un chanteur de blues, un quartet de jazz, et se redécouvre une passion oubliée. « Enfant, on ne m’avait pas poussée dans cette voie, même si j’aimais déjà la scène, le chant, la musique. Dans ma famille, il fallait un “vrai travail”, alors, après un an de droit, j’ai tenté les concours d’infirmière, orthophoniste et assistante sociale, et je me suis engagée dans le soin à la fin des années 1970. »
Après ces premières expériences artistiques, Hélène décide d’aller plus loin et de créer en 2000 un groupe de quatre voix féminines, Les Gazelles. Elle s’occupe du casting. « J’ai commencé avec des chanteuses que j’avais déjà rencontrées, dont j’aimais le travail, puis d’autres nous ont entendues et se sont proposées. Car créer un groupe, cela signifie réunir les bonnes personnes, celles qui adhèrent au projet, définir un répertoire qui séduira le public et travailler dessus des nuits entières ! » Les titres qu’elles mettent au point sont constitués essentiellement des musiques noires américaines que l’infirmière-chanteuse adore (Tina Turner, Aretha Franklin, The Weather Girls, Earth Wind and Fire, etc.). « Cela a été très vite un succès. Durant notre première année d’existence, nous avons remporté deux concours radiophoniques et nous avons rapidement été sollicitées dans toute la France. » Représentations sur la Côte Sud-Ouest et la Côte d’Azur en été, mais aussi concerts dans des cafés ou de plus grandes salles, événements privés, participations à des festivals, à Paris, Lille ou dans l’Est, les dates s’enchaînent. « Lorsque nous chantons pour des événements privés, nous découvrons souvent des endroits mythiques, comme l’Hôtel du Palais à Biarritz, un véritable palace, dans lequel nous avons eu la chance de passer la nuit. »
Une réussite qui incite à dépenser une énergie folle. « Il m’est arrivé de ne quasiment pas dormir pour être à l’heure pour ma tournée du matin, après un concert à l’autre bout de la France », témoigne l’Idel, qui sourit à l’évocation de ce souvenir. Heureusement, l’infirmière bénéficie d’une grande capacité de récupération. « Et puis j’aime que ça bouge, j’aime que ça pulse. Il me reste parfois un peu de paillettes sur le visage quand j’arrive chez les patients, cela les fait sourire. Certains demandent même à voir des photos… » D’autres sont même venus la voir en concert. De son côté, l’Idel trouve dans la musique un réconfort face aux souffrances qu’elle observe et écoute chaque jour chez ses patients.
Si chanter est devenu un plaisir désormais indispensable, son engagement va au-delà de la performance artistique. En tant que manageuse du groupe, c’est également elle qui en organise la promotion, recherche des salles et événements pour jouer, planifie les déplacements, gère les absences et remplacements, et sélectionne les dates pour environ quarante concerts par an. « Si je veux que les chanteuses continuent de s’investir dans mon groupe et dans ce répertoire, je dois leur proposer un nombre de dates suffisant. Nous sommes toutes rémunérées au cachet par l’établissement qui nous accueille en concert. Pour moi, ce sont des revenus qui viennent en complément de mon activité, mais les autres chanteuses doivent cumuler un certain nombre de cachets à l’année pour garantir leur statut d’intermittent du spectacle. » Toutes collaborent donc à plusieurs groupes, travaillent sur les bals d’été, etc. Compte tenu du calendrier de chacune, Hélène doit pouvoir remplacer l’une ou l’autre lorsqu’elles sont absentes. Depuis les débuts du groupe, l’ensemble des participantes a été entièrement renouvelé. « C’est normal, les gens partent sur d’autres projets, ils évoluent, ont envie de faire d‘autres choses. Et puis on se dispute aussi parfois… » Le milieu artistique n’est pas toujours un environnement facile. « On rencontre un peu de tout dans ce métier, il y a des opportunistes, des passionnés, des gens qui chantent comme ils iraient à l’usine, d’autres qui se conduisent comme des divas, voire qui partent avec ton carnet d’adresses… Ce n’est pas toujours facile et il faut apprendre à gérer tous ces egos. Mais ce n’est pas forcément plus dur que l’environnement médical. » L’Idel constate aussi la précarité croissante de ce métier. « Des festivals disparaissent, cela peut créer des tensions entre artistes, une concurrence exacerbée… » Malgré les difficultés, Hélène s’accroche à son projet. « Il y a des expériences difficiles, mais tellement de beaux moments. » Elle trouve le temps et l’énergie de contribuer à quelques concerts caritatifs, notamment en faveur du développement de la Maison des parents de Toulouse, où dorment les parents d’enfants hospitalisés.
Difficile pour l’Idel de définir en quoi son activité artistique rejaillit sur sa pratique du soin. « Ce sont deux univers complètement différents, je n’y joue pas le même rôle. Dans l’un, je dois appliquer des protocoles, c’est extrêmement cadré, il n’y a aucune place pour la créativité, alors que, dans le second, je peux m’exprimer et j’ai dû apprendre à gérer des egos. » À l’inverse, lorsqu’on lui demande ce que sa fonction d’infirmière apporte au groupe, Hélène est davantage prolixe. « Pour créer et faire fonctionner un groupe, il faut être passionné mais aussi avoir un bon relationnel et savoir se vendre, des qualités que les artistes n’ont pas en général. La gestion des plannings, le management des équipes, cela m’a également donné une tournure d’esprit qui me permet de bien gérer le groupe. Je pense surtout qu’au fond de moi, j’ai le tempérament d’un leader, et que c’est cette compétence que je peux mettre au service de mes deux passions. »
Cette expérience du leadership croise en effet celle qu’elle a développée dans sa carrière d’infirmière, puisqu’elle a également exercé comme cadre en Ehpad de 2004 à 2013. « J’avais une patientèle dans un établissement qui m’a proposé un poste. Alors j’ai tenté l’expérience. » Elle en ressort riche de nouvelles compétences, formée au management, en nutrition, initiée aux troubles cognitifs ou au tutorat de stage. « Mais je suis revenue au libéral en raison de mon goût réel pour l’indépendance, et aussi aussi parce que j’estimais ne pas avoir les moyens de ma mission. Être obligée de rappeler des personnels sur leurs jours de repos, me perdre dans la paperasserie et ne plus avoir de temps pour les patients, je ne voulais plus de ça. »
Et dans son esprit germe l’idée de pouvoir consacrer davantage son temps libre à son engagement artistique. Ainsi a-t-elle créé en 2014 une comédie musicale basée sur les musiques de films qui ont marqué le cinéma. « Flash Back a été joué trois fois seulement pour l’instant, mais je compte bien le vendre pour les prochaines fêtes de fin d’année. Nous avons fait tout un travail sur les chorégraphies et les costumes, c’est somptueux. » Et, depuis début 2016, Hélène a également mis sur pied une deuxième formation où elle n’est entourée que de chanteurs : Hélène et les Chics Types. « Avec eux, c’est un répertoire 100 % français, mais avec de la musique live de qualité, des grands classiques du style Michel Legrand, Claude Nougaro, Charles Aznavour, mais aussi du plus contemporain comme Ben l’Oncle Soul… » Enfin, pour Les Gazelles, l’agenda se remplit jour après jour, avec peut-être pour bientôt des dates à l’étranger. « J’ai des contacts aux États-Unis, à Rome et en Roumanie… J’espère que cela débouchera sur des concerts. »
« Si je pouvais, je ne ferais que chanter, mais maintenant c’est un peu tard, je pense. » L’infirmière dit pourtant apprécier son quotidien. « Je suis toujours contente de partir voir les patients, les écouter, les soigner, prendre la route. Mais il est vrai que j’ai pratiqué ce métier pendant trente ans, et voir souffrir les gens est toujours un peu difficile. » Contactée par une société organisatrice d’événements, Hélène a d’ailleurs récemment ajouté une nouvelle corde à son arc. « Je vais participer au développement de cette agence en tant qu’auto-entrepreneuse. Il s’agira de créer des événements musicaux autour d’une occasion particulière – un mariage, une fête d’entreprise, une opération de communication – à partir d’un budget donné. Monter des projets, créer des choses, c’est tout ce que j’aime… » Toujours infirmière donc, mais peut-être pas pour toujours.