L'infirmière Libérale Magazine n° 327 du 01/07/2016

 

Rémunération

Le débat

Marie Luginsland  

Alors que nombre d’Idels jugent leur activité insuffisamment valorisée, et que les travaux se poursuivent pour remplacer la notion de demi-heure dans la séance d’AIS 3 par une évaluation de la charge en soins, deux universitaires s’interrogent sur les moyens de rémunérer au plus juste un travail, en particulier en libéral.

Alain Grand

professeur de santé publique (Université Toulouse-III), directeur du département d’épidémiologie, économie de la santé et santé publique

Comment rémunérer un travail le plus justement possible ?

Il s’agit d’un arbitrage entre la juste rémunération, corrélée au niveau de technicité de l’acte et au temps passé, et la capacité de l’Assurance maladie (AM) à assurer cette rémunération. Cette capacité est elle-même liée à la conjoncture économique et au volume des actes à rémunérer. Dans la logique de notre économie administrée, il faut déterminer un prix en fonction d’un volume prévisionnel d’actes, dans un contexte de financement collectif à enveloppe fermée(1) aux côtés duquel interviennent aussi les assurances complémentaires et le patient lui-même.

La notion de demi-heure devrait être abandonnée pour l’une des activités infirmières. Qu’en est-il du paiement à l’acte ?

Le temps passé, au cœur de la négociation, doit être ajusté en fonction du type d’actes. De même, il faut prendre en compte le devoir d’information ou encore les éléments relationnels. Paradoxalement, les nouvelles missions dans le cadre des transferts de compétences sont de plus en plus affirmées dans les textes sans pour autant être intégrées dans la fixation de la rémunération. Quant à l’expérience, on ne parviendra pas à la rémunérer à sa juste valeur. La fixation des tarifs se fait toujours sur une performance moyenne. Dans un univers bureaucratisé, on a besoin de paramètres simples qui forcément réduisent la réalité. De plus, par une sous- rémunération relative, le financeur encourage à la productivité, les professionnels multipliant les actes pour maintenir leurs revenus.

Le contrôle de l’AM empiète-t-il sur le caractère indépendant de l’exercice libéral ? Y a-t-il un lien de subordination ?

Les contrôles sont d’autant plus tatillons que l’instance de contrôle est intéressée au contrôle de la dépense. Il faudrait que le contrôle médical soit exercé par une instance indépendante, distincte de l’AM. Cette fonction de contrôle pourrait être ainsi confiée à l’administration de la santé, une cellule de l’Agence régionale de santé (ARS), par exemple. Concernant un éventuel lien de subordination, dénoncé par les médecins à propos de la loi de santé, les craintes portent davantage sur les assurances complémentaires, au pouvoir financier croissant, que sur l’AM obligatoire.

Bernard Friot

économiste et sociologue, professeur émérite à l’université Paris-Ouest-Nanterre- La Défense, chercheur à l’Idhes(2)

Comment rémunérer un travaille plus justement possible ?

La rémunération du professionnel, indépendant ou salarié, doit renvoyer à la qualification, à l’instar des grades qui régissent l’avancement dans la fonction publique. Cette qualification s’obtient par des épreuves professionnelles au regard de l’expérience et de l’évaluation des résultats du travail. L’évaluation doit s’effectuer à l’initiative du professionnel trois ou quatre fois par exemple au cours de son activité. Les critères doivent inclure l’efficacité des soins.

La notion de demi-heure devrait être abandonnée pour l’une des activités infirmières. Qu’en est-il du paiement à l’acte ?

Au temps ou à l’acte, je suis contre toute rémunération fondée sur la quantité. La rémunération à l’acte a trop d’effets pervers en termes de durée et de sélection des actes, du choix de la patientèle. Nous en avons la preuve dans les cliniques et même les hôpitaux publics(3). Mais paiement à la qualification ne veut pas dire exercice salarié avec un employeur. Je tiens beaucoup à l’exercice libéral. Cinquante années de conventionnement prouvent que le fait de passer une convention n’empêche pas le caractère indépendant de l’exercice. Il faut sortir de l’alternative entre paiement à l’acte et salariat.

Le contrôle de l’AM empiète-t-il sur le caractère indépendant de l’exercice libéral ? Y a-t-il un lien de subordination ?

La subordination suppose le fait d’être embauché et licencié. C’est tout à fait autre chose de voir son activité inscrite dans une convention qui donne priorité à tel public, à tel acte, dès lors que ces critères ne sont pas régis par le marché. Le modèle de l’AM pour les libéraux de santé prouve qu’on peut être indépendant et avoir un “salaire à vie”. Le populariser est très important pour lutter contre la subordination des libéraux à des propriétaires capitalistes comme le fait la loi Macron pour les avocats. Ce sont les décisions collectives qui doivent encadrer l’activité des soignants libéraux et non les ARS, à la logique purement gestionnaire. Il faut revenir au fonctionnement démocratique des origines du régime général, revenir à un système où la convention est définie par les professionnels avec les représentants des patients.

(1) Référence à l’Objectif national des dépenses d’Assurance maladie (Ondam).

(2) Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société (Idhes).

(3) Référence à la tarification à l’activité (T2A).