L'infirmière Libérale Magazine n° 327 du 01/07/2016

 

NGAP

Dossier

Olivier Blanchard  

Piégeuse selon des Idels, obsolète selon la Cour des comptes et même, à demi-mot, incomplète pour l’Assurance maladie : la NGAP semble ne pas bouger, ou alors très, très lentement… Pour le comprendre, suivons le parcours d’une cotation, de son invention à son application… et son contrôle.

Il était une fois… une idée. Des professionnels de santé se réunissent, échangent autour de leur pratique quotidienne et estiment que la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) devrait inclure un nouvel acte. Ils en parlent à un syndicat qui peut déposer une demande en commission paritaire nationale réunissant Assurance maladie et syndicats infirmiers. Autres cas possibles d’une inscription d’un nouvel acte ou d’une modification de la NGAP : l’évolution d’une technologie ou d’une prise en charge par la HAS (lire en encadré ci-contre la signification des sigles), une évolution du décret de compétences ou une mesure conventionnelle.

Il se crée alors un groupe de travail qui débouche parfois (mais pas nécessairement) sur une expérimentation locale, pour voir si l’idée est viable. Si c’est le cas, commencent les premières négociations tarifaires avec la direction de l’Uncam pour définir, dans une approche médico-économique, combien devrait être rémunéré cet acte, pour qui, dans quelles conditions, avec quelle efficience, etc. Si un premier accord est trouvé, débute le long parcours des évaluations, avec des négociations syndicales régulières et l’Uncam, décisionnaire, à la baguette, comme le stipule l’article L162-1-7 du Code de la Sécurité sociale.

Interviennent en réalité nombre de structures parfois difficiles à cerner pour un non-initié… L’évaluation médicale incombe ainsi à la HAS, qui doit approuver l’idée de la cotation(1). Pour l’évaluation notamment scientifique et technique, la déclinaison infirmière de la Chap, elle, peut faire appel à des experts, des sociétés savantes ou des experts économistes ; peut y siéger un représentant de l’Atih, dont l’une des autres missions consiste à actualiser les libellés de la Classification commune des actes médicaux. À titre de consultation, le projet est soumis à l’UNPS et l’Unocam, ainsi qu’à l’approbation du ministère de la Santé (qui peut refuser la nouvelle cotation)(2) et dont un représentant assiste aux travaux de la Chap. La réflexion sur la NGAP peut faire étape (ou non) aux renégociations conventionnelles prévues tous les cinq ans au maximum entre Assurance maladie et syndicats infirmiers, négociations qui peuvent donc n’arriver qu’à la toute fin de ce marathon – le prochain rendez-vous pour les Idels est en 2017 (lire l’encadré p. 26). Au terme de toutes ces étapes, les tarifs de la cotation sont publiés au Journal officiel.

SOUVENT DES ANNÉES DE TRAVAIL

Entre la demande initiale et la publication au Journal officiel, il peut donc s’être passé plusieurs années suivant les intérêts de chaque partie, dont l’accord ou la confrontation accélère ou ralentit le parcours. Ainsi, le changement de cotation sur les perfusions n’a mis qu’un an et demi à faire le trajet parce que, comme le dit Annick Touba, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), « la Sécurité sociale avait un intérêt à changer les pratiques ». À l’inverse, les négociations sur les fameux AIS et en particulier le futur Bilan de soins infirmiers (BSI, sur son contenu probable, lire p. 38) avancent plus lentement – il s’agit en effet d’un volume d’actes important. Si l’Assurance maladie se félicite du fait que les travaux « avancent à grands pas », avec une première maquette du BSI en décembre 2015 et une version dématéralisée en cours d’élaboration, le remplacement de la Démarche de soins infirmiers (DSI) avait été annoncé dès l’avenant n° 3 à la convention des infirmières, conclu entre l’Assurance maladie et les représentants de la profession en… 2011. Après des tests par questionnaire auprès d’Idels et de généralistes en avril, les expérimentations du BSI devraient, selon l’Assurance maladie, se dérouler au quatrième trimestre 2016 dans plusieurs territoires, avant une évaluation au premier semestre 2017.

Lors de la publication au Journal officiel d’une nouvelle cotation, une date de mise en place officielle est prévue, et c’est à partir de cette date que les professionnels peuvent l’appliquer. Pour contrôler que cette cotation s’applique bien, sans excès et dans l’esprit de sa formulation, l’Assurance maladie a deux services distincts : les services administratifs et les services médicaux.

HIÉRARCHIES RÉGIONALES

Nous avons déjà parlé en détail des services administratifs dans notre numéro 310 de janvier 2015 ; rappelons simplement qu’ils vérifient principalement (et souvent de façon automatisée grâce aux télétransmissions électroniques) « l’absence de manquement en matière de facturation des actes et des déplacements », note l’Assurance maladie, dont le service presse au niveau national et, par son intermédiaire, le service médical de Midi-Pyrénées, ont répondu par écrit à nos questions. Avoir réalisé plus de 4 AIS 3 par jour pour un seul patient est un exemple de manquement ainsi repéré. Les services médicaux, eux, recherchent « plutôt des manquements liés à l’opportunité ou à la qualité des soins » : ils s’assurent que l’acte coté a été réellement réalisé, et s’il l’a été dans des conditions de qualité acceptables.

Alors que les services administratifs des CPAM ont une hiérarchie départementale reliée directement au national, les services médicaux ont une hiérarchie régionale avec vingt directions régionales du service médical (DRSM), relayées dans chaque département par un échelon local du service médical (ELSM). Les services médicaux assurent quatre principales fonctions. Tout d’abord, le contrôle des prestations et les relations avec les assurés, afin d’apprécier le droit d’un bénéficiaire à une prise en charge par la Sécurité sociale (invalidité, arrêt de travail, affection de longue durée…). Ensuite, les relations avec les professionnels de santé : les praticiens-conseil réalisent des « échanges confraternels sur les thèmes de maîtrise médicalisée et de suivi des engagements conventionnels, en complémentarité avec les visites des DAM (délégués de l’Assurance maladie) », explique l’Assurance maladie. D’autre part, les services médicaux assurent des services en santé, notamment en participant aux programmes d’accompagnement des assurés tels que Sophia (asthme et diabète) ou Prado (retour à domicile après hospitalisation). Enfin, ils assurent le contrôle contentieux auprès des professionnels de santé en cas de non-respect de la réglementation, d’abus ou de fraude.

LA BÊTE NOIRE DU CONTENTIEUX

Cette dernière activité représente la bête noire des professionnels de santé, qui supportent généralement assez mal de devoir justifier, dans une ambiance qu’ils apparentent à de la suspicion, des soins donnés il y a parfois plusieurs années. D’une façon générale, les contrôles par l’Assurance maladie de l’activité des Idels trouvent leur origine dans un signalement (de patient ou de collègue) ou l’étude des bases de données. L’analyse statistique des données permet d’identifier des « profils atypiques de facturation », selon l’expression de l’Assurance maladie, notamment sur certains types d’actes (AIS ou AMI), quand un acte est plus coté par un professionnel par rapport à la moyenne, de même « qu’une suractivité quotidienne semblant incompatible avec la qualité des soins », quand un professionnel cote beaucoup plus d’actes par jour que la moyenne. Ces contrôles sont effectués par des agents des services de gestion du risque des CPAM et par des médecins-conseil des services médicaux. À ce jour, il n’y a pourtant pas d’infirmière dans ces services(3) et les Idels ne sont pas consultées en tant que référentes dans le cadre des contrôles, mais un test est en cours pour y recruter des infirmières, notamment pour préciser… leurs futures fonctions et missions (lire aussi le portrait du médecin-conseil pp. 62-63). Le contrôle contentieux médical, enfin, n’annule ni ne remplace le contrôle administratif des professionnels de santé par la CPAM et, au final, le professionnel peut donc être poursuivi à la fois pour des erreurs de cotation dans la forme par les services administratifs et sur le fond par les services médicaux (lire l’histoire d’Hélène pp. 57-59).

MYTHES ET RÉALITÉ DE LA DSI

Au quotidien, en dehors des contrôles contentieux, le contact le plus fréquent des Idels avec les services médicaux passe par la DSI qu’ils adressent au médecin-conseil de leur ELSM et qui, rappelle l’Assurance maladie, « sert à définir, planifier, à partir d’une évaluation des besoins d’une personne dépendante, les soins infirmiers nécessaires (nature, fréquence, rythme) ». Mais une erreur fréquente est de penser que l’acceptation de la DSI par les services médicaux (formulée par une non-réponse au bout de quinze jours) vaut pour validation de la cotation proposée. Pour la Cnamts, « la DSI sert d’abord à l’infirmière à communiquer avec le médecin traitant dans l’intérêt des soins et de la qualité des soins. Le nombre de DSI traitées est connu de la CPAM qui les transmet à la profession lors des commissions paritaires. (…) Les cotations d’une DSI peuvent être utilisées a posteriori par le service médical en cas d’analyse d’activité d’un professionnel ». On comprend donc que, même si aucune de ses DSI n’a été rejetée séparément, une Idel peut être conviée à se justifier sur leur nombre total, si celui-ci s’avère en apparence incompatible avec la qualité des soins attendue. Cependant, la Cnamts reconnaît aussi que « ce dispositif [de la DSI] est in fine peu respecté et sous-utilisé par les infirmières. De plus, le formulaire ne permet ni au médecin de se prononcer sur le plan de soins, ni à l’Assurance maladie de juger de la pertinence de la cotation proposée par l’infirmière. Elle ne joue donc pas le rôle de coordination que l’on attendait d’elle. » C’est bien pour cela que l’avenant n° 3 à la convention des infirmiers avait « prévu de remplacer la DSI par un outil simplifié, de standardiser le recueil du plan de soins, de dématérialiser les documents utilisés dans ce cadre et d’en simplifier le circuit ».

MODIFICATIONS ET NÉGOCIATIONS

La Cnamts annonce aussi que, « avec le virage ambulatoire, tant du point de vue de la chirurgie que de certaines prises en charge médicales, notamment celle des soins palliatifs, la nature des actes des Idels se modifie et des évolutions de la NGAP sont à prévoir pour accompagner ces modifications organisationnelles. Ainsi, les services de retour à domicile après une hospitalisation pour un épisode de décompensation d’une insuffisance cardiaque ou d’exacerbation d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) comprennent un suivi infirmier hebdomadaire réalisé par des Idels en coordination avec le médecin traitant, pendant une période de deux mois afin de tenter de diminuer le taux de ré-hospitalisation, à l’identique de ce qui a été observé dans des pays ayant mis en place ce type d’organisation ; il s’agit d’une prestation qui comprend un diagnostic infirmier et des rappels d’éducation thérapeutique(4). La loi de modernisation de notre système de santé, ajoute la Cnamts, contient un article sur l’exercice en pratique avancée qui sera certainement porteur d’évolutions pour la profession et qui permettra de définir le cadre et le contenu de la consultation infirmière ». Les prochaines négociations conventionnelles nationales des infirmières libérales se dérouleront en 2017 ; la création du BSI est l’un des points à l’ordre du jour des négociations, indique la Cnamts. Reste à savoir ce que les syndicats d’Idels souhaiteront, eux, négocier (lire ci-dessous).

(1) L’avis de la HAS n’est pas nécessaire lorsque la décision ne concerne pas l’inscription d’un acte mais ne modifie que sa hiérarchisation (article L162-1-7 du Code de la Sécurité sociale).

(2) Le ministère peut aussi procéder d’office, par arrêté, à l’inscription d’un acte pour des raisons de santé publique, après avis de la HAS (article L162-1-7 du Code de la Sécurité sociale).

(3) Dans le cadre de Sophia, il est toutefois fait appel à des infirmières formées à l’accompagnement téléphonique des patients atteints de maladies chroniques.

(4) La nouvelle cotation pour la surveillance d’un patient à l’issue d’une hospitalisation pour décompensation d’une insuffisance cardiaque ou exacerbation de BPCO, qui devait être évoquée fin mai en Chap comme l’a indiqué le Sniil dans un communiqué, pourrait être AMI 5,8.

Lexique

•  Tous ces organismes interviennent, avec d’autres, dans l’élaboration d’une cotation.

Atih : Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, pôle d’expertise chargé notamment de participer à l’élaboration des nomenclatures de santé.

Chap : Commission de hiérarchisation des actes et prestations, composée de membres des syndicats représentatifs des professionnels et de l’Uncam. La Commission de hiérarchisation des actes infirmiers est mise en place au point 5.4.2. de la convention nationale de 2007 régissant les liens entre les Idels et l’Assurance maladie.

Cnamts ou Cnam : Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés, qui pilote notamment la branche maladie du régime général de la Sécurité sociale. Les CPAM (caisses primaires d’Assurance maladie) en sont l’échelon départemental.

HAS : Haute Autorité de santé.

Uncam : Union nationale des caisses d’Assurance maladie, qui regroupe les trois principaux régimes d’Assurance maladie : Cnamts, RSI (Régime social des indépendants) et MSA (Mutualité sociale agricole). Son directeur général est le même que celui de la Cnamts (Nicolas Revel).

Unocam : Union nationale des organismes complémentaires d’Assurance maladie, espace de concertation entre mutuelles, assurances, instituts de prévoyance.

UNPS : Union nationale des professionnels de santé (libéraux).

Interview : Murielle Caronne, Idel, ancienne responsable syndicale nationale

« Huit heures pour obtenir 20 centimes »

Dans quel cadre avez-vous participé à une négociation conventionnelle ?

J’ai été la secrétaire générale du Sniil de 2000 à 2004 et j’ai participé en 2002 à la négociation conventionnelle où nous avions obtenu la revalorisation de l’indemnité forfaitaire de déplacement. J’ai, depuis, pris de la distance avec la direction du syndicat et je suis redevenue une “simple” adhérente, élue URPS.

Comment, concrètement, s’est déroulée cette négociation ?

Tous les syndicats arrivent avec leur projet sous le bras. La Cnam nous montre alors tout un tas de chiffres élaborés par leurs juristes pour expliquer la situation… Puis la Cnam présente ce qu’elle a prévu de négocier. Il y a alors une interruption de séance d’une vingtaine de minutes pour que nous prenions connaissance de ce dossier. Le texte est en général si important que nous nous répartissons les paragraphes entre syndicats, ce qui veut dire que nous devons nous faire confiance ensuite. La séance reprend et la négociation commence pour plusieurs heures. Nous avons passé huit heures sur une chaise pour obtenir 20 centimes… Nous savons qu’il y a toujours quelque chose à obtenir donc on essaie de ne pas lâcher et d’obtenir le maximum, même s’il arrive que la Cnam ne veuille pas changer une virgule.

Les négociations sont-elles vraiment équilibrées ?

La menace d’une grève massive des Idels – même de deux heures – aiderait beaucoup les négociateurs. Mais il y a un problème de représentation des Idels… Il faut qu’on se réveille, après tout, tout ne dépend que de nous !

NÉGOCIATIONS CONVENTIONNELLES

La NGAP au menu en 2017

Quand ? Les négociations conventionnelles entre Assurance maladie et syndicats infirmiers s’ouvriront bien en 2017, année de scrutin présidentiel. Le contexte peut paraître difficile parce que les Idels seront les dernières à négocier avec la Cnamts, après les autres professions. À moins que ce ne soit un atout…

De quoi veut parler l’Assurance maladie ? À cette question, la Cnamts nous a répondu que « les contours définitifs » du BSI (Bilan de soins infirmiers) seraient alors arrêtés.

Avec quels syndicats ?

La convention est conclue « entre une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives des infirmiers et l’Uncam », indique le Code de la Sécurité sociale, qui précise : « sont habilitées à participer aux négociations (…) les organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national »(1). L’enquête de représentativité annoncée entre août et janvier prochains confirmera ou non s’il n’y a plus que trois des quatre syndicats d’Idels représentatifs (FNI, Sniil, Convergence, l’Onsil n’ayant pas passé, à une centaine de voix près, la barre des 10 % des suffrages aux élections URPS en avril)(2).

Que veulent les syndicats ? Ils semblent tous d’accord pour négocier le sujet évoqué par la Cnamts. Mais pas seulement. Les pistes évoquées sont nombreuses…

Philippe Tisserand (FNI),lui, aimerait renégocier cette fois-ci une nouvelle convention en entier et pas juste un avenant : « Celle en cours date de 2007 et a connu quatre avenants, il est temps de la changer. » Les sujets qu’il souhaite aborder : « Les indemnités horokilométriques (IK, lire aussi pp.43-44), une évolution des tarifs conventionnels, une implication plus forte dans le dossier médical partagé (DMP), une extension du rôle vaccinal pour les Idels, la rémunération de la télésanté… » Et d’ajouter : « Nous devrons nous servir, pour négocier, de la permanence des soins. Nous sommes les derniers professionnels de santé à l’assurer. » Annick Touba (Sniil) voudrait aborder « l’adaptation de la nomenclature, les tarifs, la refonte des cotations, la reconnaissance de la coordination infirmière par des forfait spécifiques, les IK, le DMP, la messagerie sécurisée, la télémédecine, la reconnaissance de l’éducation à la santé et de la coordination médico-sociale par les Idels ». Pour Ghislaine Sicre (Convergence infirmière) aussi, de nombreux sujets seraient à aborder. Par exemple « élargir le droit de prescription des Idels aux compléments alimentaires, aux perfusions sous-cutanées et au sérum physiologique ; créer un nouveau rôle sur protocole pour la prise en charge de la douleur, des AVK et de la iatrogénie ; obtenir l’égalité des tarifs entre AIS et AMI ; réécrire la NGAP pour la faire coller vraiment aux réalités du terrain ; reconnaître le rôle d’éducation du patient et enfin préserver le régime de l’assurance vieillesse… » Pour l’Onsil enfin, par la voix d’Élisabeth Maylie, la priorité est d’abord d’interroger ses adhérents afin de savoir précisément quelles revendications ils souhaitent défendre. Une chose est sûre cependant, son syndicat souhaite s’opposer au projet du BSI « tant qu’il est lié à une notion de temps ». En effet, à ses yeux, le projet présenté est « une simplification administrative mais pas intellectuelle, qui reviendrait à un simple flicage de la profession… ».

(1) Articles L162-12-2 et L 162-33.

(2) Le seuil de 10 % aux URPS figure parmi les critères de représentativité (articles R162-54-1 et 2 du Code de la Sécurité sociale).