POLÉMIQUE > Médecins du Monde a lancé mi-juin une campagne contre les prix “révoltants” des médicaments innovants. L’association veut que l’État régule ces prix pour éviter une explosion de notre système de protection sociale.
« Avec l’immobilier et le pétrole, quel est l’un des marchés les plus rentables ? La maladie. » C’est l’un des slogans de la campagne de Médecins du Monde, visible sur le site www.leprixdelavie.fr et dont la pétition a été signée par plus de 214 000 personnes à l’heure de notre bouclage (lire aussi l’encadré). L’association, à l’instar de la Ligue contre le cancer, se dresse contre les prix très élevés des antiviraux à action directe contre l’hépatite C (Sovaldi par exemple) et de certains anticancéreux. La cherté de ces traitements thérapeutiques met en danger la solvabilité de l’Assurance maladie. Le coût du Sovaldi (41 000 euros pour trois mois de traitement) a aussi conduit à un « rationnement des patients », comme l’a souligné Françoise Sivignon, présidente de Médecins du Monde, lors de son audition par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 22 juin. Certes, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, s’est engagée le 25 mai pour l’accès universel aux traitements contre l’hépatite C. Elle a d’ailleurs demandé au Comité économique des produits de santé (CEPS) de renégocier les prix de ces médicaments. Mais cela ne suffit pas à régler le problème de l’inflation des prix des innovations qui arrivent sur le marché.
En France, les prix des médicaments remboursables sont administrés, mais ils sont négociés entre le laboratoire pharmaceutique et le CEPS, ce dernier ayant le dernier mot. Certains critères sont appliqués comme le niveau de l’amélioration du service médical rendu (ASMR) et les prix des médicaments comparables. Des remises sur les volumes sont aussi fixées. Mais toutes ces discussions se déroulent à huis clos. D’où une certaine opacité. De plus, en raison des remises, dont on ne connaît pas le montant exact, le prix facial est différent du prix réellement payé par la collectivité. « Des chercheurs ont estimé récemment qu’en moyenne le taux de rabais dans les pays de l’OCDE s’élève à 23 %, relève Olivier Maguet, délégué au plan stratégique de Médecins du Monde. Ce qui ramènerait le prix du Sovaldi à plus de 30 000 euros. Mais, par rapport aux 100 euros de coût de production évalués par Andrew Hill, un chercheur de l’université de Liverpool, le prix est encore bien trop élevé ! » L’autre problème est effectivement le manque de transparence sur les coûts de production et de recherche et développement.
« Le marché du médicament est mondial, mais le prix d’un même médicament est différent d’un pays à l’autre, car il est en partie fonction de la richesse du pays », remarque d’ailleurs Jean-Pierre Thierry, membre du comité d’expert du Lien, représentant du Ciss (Collectif interassociatif sur la santé) et des associations de patients à la Commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Pour Olivier Maguet, les prix des médicaments « ne sont pas fondés sur les investissements, mais sur la valeur de la vie ». Et c’est ce que veut dénoncer Médecins du Monde : la maximisation du profit sur cette valeur de la vie. « La réalité, c’est que le prix d’un médicament ne reflète pas un coût mais également un risque et un délai de mise au point particulièrement long. Les profits dégagés par les industriels ne financent pas la recherche passée, mais servent à soutenir la recherche présente pour construire les innovations thérapeutiques de demain », explique Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les entreprises du médicament). Jean-Pierre Thierry rappelle le contexte de financiarisation du secteur d’activité, à savoir rémunération des actionnaires et cotation en bourse : « La rentabilité des laboratoires leur assure une cotation boursière élevée. Ce qui leur permet d’acquérir des sociétés innovantes et d’acheter des brevets. C’est ce qu’a fait Gilead qui a acheté le brevet du Sovaldi à une entreprise créée par une université américaine. Les laboratoires ont donc besoin de sortir énormément d’argent, mais nous sommes néanmoins dans une dérive d’envolée des prix. »
Quelles sont les solutions pour revoir les prix des nouveaux médicaments ? Médecins du Monde réclame la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur la fixation des prix. Le Ciss demande aussi plus de transparence. Les représentants du Leem ont proposé, lors de leur audition par la Commission des affaires sociales le 22 juin, que les usagers du système de santé participent au processus de fixation des prix à titre consultatif. « Nous entendons les demandes des associations de patients qui considèrent le système actuel comme imparfait. Nous trouvons ce débat légitime et nous sommes prêts à échanger sur le sujet avec l’ensemble des parties prenantes », commente Philippe Lamoureux. Médecins du Monde souhaite également la mise en œuvre de licences d’office par l’État sur les antiviraux à action directe contre l’hépatite C, qui permettraient de fabriquer des génériques. Ce qui n’est pas une solution pour Philippe Lamoureux : « Les licences d’office priveraient les industriels du fruit de leurs investissements et de leurs recherches. Elles auraient immédiatement pour conséquence de stériliser la recherche. Les premières victimes en seraient les patients. » Le Leem souhaite en revanche mettre en place des plans de diffusion pour les innovations de rupture, les molécules réellement novatrices, ce qui appellera « au développement de l’ambulatoire, à la mise en place de programmes d’observance et d’éducation thérapeutique, au repositionnement du rôle de l’hôpital, observe Philippe Lamoureux. Ce n’est qu’à partir du moment où nous serons capables de rendre notre système de soins plus efficient que nous pourrons dégager des marges propres à garantir la soutenabilité financière de notre système, auquel nous sommes tous attachés. » Mais, pour Médecins du Monde et le Ciss, la priorité est la baisse des prix des nouveaux traitements. « Il faut réguler les prix des médicaments innovants. Les gouvernements vont entrer dans des négociations avec les laboratoires qui risquent d’être dures, mais il faut entrer dans une nouvelle phase », estime Jean-Pierre Thierry. Le rapport du Sénat sur la politique du médicament, adopté le 29 juin, aidera-t-il à modifier le système ? Les sénateurs proposent de définir, avec les principaux partenaires européens de la France, un cadre commun de négociation du prix des médicaments les plus onéreux. Quoi qu’il en soit, pour Olivier Maguet, « on part pour un combat de longue haleine ».
La campagne de Médecins du Monde devait s’afficher dans le métro et sur les abribus, mais l’ensemble des réseaux d’affichage a refusé. L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a émis le 13 juin un avis consultatif à la suite de la demande d’un afficheur, préconisant « des modifications destinées à permettre la mise en conformité de la campagne avec les règles déontologiques en vigueur ». Concrètement, il s’agissait de citer les sources des chiffres. En fait, selon l’ARPP, la campagne risquait aussi de susciter des réactions négatives de la part des industriels du médicament…
Médecins du Monde a décidé de procéder à un affichage sauvage. Quant aux chiffres, l’explication de leurs calculs est sur www.leprixdelavie.fr (il suffit de cliquer sur chaque visuel). À noter qu’aucun laboratoire ne les a contestés.