L'infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016

 

Le débat

Sophie Magadoux  

Diabète, maladies cardiovasculaires, cancers… Les campagnes de dépistage se multiplient. Cet outil de santé publique est basé sur la communication, la qualité des examens et leur interprétation. Mais l’analyse du service rendu diverge…

Claude Rambaud

Juriste formée en gestion du risque, vice-présidente du Collectif interassociatif sur la santé et de l’association Le Lien, co-auteure de Trop soigner rend malade(1)

Les campagnes de dépistage améliorent-elles vraiment la qualité de vie ?

Difficile de se prononcer, dans la mesure où il n’existe pas à l’heure actuelle d’indicateurs rendant compte des résultats des traitements mis en œuvre à la suite d’un dépistage. C’est une faiblesse lorsqu’il s’agit d’orienter les politiques de dépistage.

Le dépistage peut s’avérer utile pour une population donnée, mais une campagne de dépistage organisée, systématique, ce n’est pas si sûr. Dans le cas du cancer du col de l’utérus, le taux de guérison est élevé, c’est efficace. Concernant le cancer du sein, face au nombre de faux positifs, il pourrait être intéressant pour des femmes qui ne se surveillent pas. Tandis que, dans le cas du cancer de la prostate, une surveillance active est mieux indiquée. Mais le dépistage n’est pas la prévention qui se joue en amont, au niveau des comportements.

Les campagnes de dépistage présentent-elles des risques de surdiagnostic ?

Clairement ! Les détections de plus en plus fines engendrent surdiagnostics et surtraitements. Ceux-ci sont aussi dus aux effets de seuil des examens biologiques : les taux de “normalité” n’ont cessé de baisser ces dernières années, signalant prédiabète, pré-cancer ou risque d’hypertension. Alors que les traitements engagés n’ont pas nécessairement démontré leur intérêt. Exemple : avec une tension de 13,les effets secondaires du traitement sont supérieurs au bénéfice qu’on pourrait en attendre. Le calibrage des tests nous vient souvent d’outre-Atlantique, diffusé par les sociétés savantes dont les études sont financées par l’industrie du médicament. La question est dans le camp des scientifiques.

L’accès aux informations scientifiques suffit-il pour juger du rapport bénéfice/risque lors d’une décision médicale, notamment pour que les patients puissent y participer ?

Non, c’est seulement une fois en vie réelle que l’on découvre les risques. Et l’accès aux données brutes des études scientifiques est défaillant.

Depuis la loi Kouchner de 2002(2), les associations de patients se sont organisées, mais il ne faut pas confondre le milieu associatif, militant, et le grand public. En France, il y a un grand retard en termes d’éducation “populaire”. Le patient fait confiance au médecin et aux médicaments. Ce n’est pas dans notre culture de questionner et encore moins de recourir à un deuxième avis médical.

Jacques Raynaud

Conseiller scientifique à la fondation ARC pour la recherche sur le cancer

Les campagnes de dépistage améliorent-elles vraiment la qualité de vie ?

Oui, elles l’améliorent : s’il n’y a pas de signal, elles rassurent la personne et, s’il y en a un, confirmé par le diagnostic, elles augmentent les chances de guérison. Par exemple, dans le cas du cancer du sein, plus la détection de la tumeur est précoce, moins il y a de probabilité qu’elle n’envahisse les ganglions ou d’autres tissus sains ; le traitement sera aussi plus limité, donc les séquelles moindres. Mais la décision de se soumettre à un dépistage, organisé ou individuel, doit être prise en dialoguant avec son médecin traitant, selon l’âge, l’état de santé général et les antécédents familliaux.

Les campagnes de dépistage présentent-elles des risques de surdiagnostic ?

Le risque de surdiagnostic, et donc de surtraitement, existe. Mais ne pas proposer de dépistage revient à placer la personne devant un risque qui peut aller jusqu’à la mort. Ainsi, le risque de surdiagnostic de cancer du sein est de 3 à 10 %, selon les sources, mais la mortalité est de 10 à 20 % moins élevée dans la population dépistée. Le surdiagnostic est le résultat d’une attitude de précaution : alors que les méthodes de détection sont toujours plus sensibles, on détecte de plus nombreux cas, sans avoir toujours la possibilité, en l’état actuel de nos connaissances, de distinguer une tumeur agressive d’une tumeur peu évolutive. Grâce aux efforts de la recherche, la gravité et le taux d’agressivité seront mieux évalués à l’avenir. Dans cinq à dix ans, maximum, la médecine de précision proposera des tests moins invasifs, plus sûrs et moins coûteux, à l’instar de la biopsie liquide(3).

L’accès aux informations scientifiques suffit-il pour juger du rapport bénéfice/risque lors d’une décision médicale, notamment pour que les patients puissent y participer ?

Aujourd’hui, les associations et les organismes officiels, comme l’INCa dans le cadre du cancer, font un travail d’éducation dans de bonnes conditions, respectant l’objectivité scientifique des informations proposées et réalisant une communication adaptée. Cela permet de limiter le risque de mauvaises interprétations, que ce soit en termes de dépistage ou de traitement. Et puis les médecins suivent désormais l’actualité médicale de façon permanente et pertinente. Quant au choix du traitement, le patient a la possibilité de demander un deuxième avis médical.

(1) Claude Rambaud et Dr Jean-Pierre Thierry, Trop soigner rend malade, Albin Michel, 2016. Les auteurs apportent de multiples éléments pour étayer le dialogue soigné-soignant et font la chasse à la surmédicalisation et à ses conséquences.

(2) Loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

(3) Détection des cellules cancéreuses par une simple prise de sang.