Comment se construit la mémoire traumatique ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016

 

RECHERCHE

Actualité

Véronique Hunsinger  

“13-NOVEMBRE” > Un programme de recherche coordonné par l’Inserm et le CNRS va tenter de comprendre l’imbrication des mémoires collectives et individuelles après un attentat.

C’est un programme de recherche inédit aux confins des neurosciences et des sciences humaines et sociales qui a débuté à la suite des attentats de novembre dernier à Paris. Le programme “13-Novembre”, porté par le CNRS et l’Inserm, a pour but de suivre la construction des mémoires individuelles et collectives sur une période de douze ans. Un programme monté et validé dans un temps record qui a pu débuter dès le mois de mai dernier. « Au-delà de la dimension citoyenne de ce programme, ce qui a beaucoup intéressé les décideurs scientifiques et politiques est d’avoir des outils d’aide à la décision sur un champ, les mémoires traumatiques, où il manque encore beaucoup de données », explique le Pr Francis Eustache, neuropsychologue et codirecteur du programme avec l’historien Denis Pechanski. Comment une victime d’un attentat qui a développé un stress post-traumatique va-t-elle percevoir un nouvel attentat ? Va-t-elle le vivre comme un nouvel attentat pour elle ou réussir à le mettre à distance ?

Ampleur inédite

D’une ampleur inédite pour ce type de sujet, le programme comprend plusieurs volets. Ainsi, l’étude “1 000” consiste au suivi sur une période de dix ans à raison de quatre entretiens filmés de 1 000 volontaires faisant partie de quatre cercles : les victimes directes, témoins et personnes intervenues lors des attentats du 13 novembre, les habitants ou personnes travaillant dans les arrondissements concernés, les Parisiens et les Franciliens et enfin les habitants de trois villes témoins (Caen, Metz et Montpellier). Les premiers entretiens ont débuté à Caen en mai.

En outre, 180 de ces participants sont également inclus à l’étude biomédicale “Remember”. « Il s’agit d’examens psychopathologiques et d’un protocole d’IRM fonctionnel d’activation pour mesurer le cœur de l’état de stress post-traumatique, c’est-à-dire la capacité des personnes à lutter contre des images intrusives », indique le Pr Eustache. Concrètement, on apprend par exemple une association d’images simples aux participants (du type maison/bateau) puis on leur fait passer une IRM en leur demandant d’essayer d’inhiber volontairement l’association dans leur esprit.

Ces témoignages et ces résultats seront également mis en perspective avec des enquêtes d’opinion réalisées par le Credoc, des études de sciences politiques sur les dispositifs de crise de l’État et des études de type “big data” à partir d’enregistrements de la couverture des attentats par la télévision, les journaux et Twitter. « La mémoire d’un individu se construit toujours dans un contexte familial et social, souligne le Pr Eustache. C’est la manière dont les mémoires collectives et les mémoires individuelles se construisent que nous cherchons à comprendre. Les résultats donneront aussi peut-être des clés aux pouvoirs publics pour construire une réponse appropriée à ce type d’événements tragiques. » Des premiers résultats devraient être dévoilés dès l’automne 2017 et les résultats finaux sont prévus pour 2028, deux ans après la réalisation des derniers entretiens. L’équipe est toujours actuellement en recherche de volontaires.

En savoir plus : www.memoire13novembre.fr

Prise en charge précoce

Une autre étude a été conduite par l’agence Santé publique France (ex-Institut de veille sanitaire) sur la prise en charge des personnes exposées lors des attentats de janvier 2015 à Paris. Elle a été menée entre juin et octobre 2015 par des psychologues sous forme d’entretiens avec 190 “civils” et 232 professionnels. Les premiers résultats de cette étude “Impacts”* publiés au début de l’été montrent que, six mois après les faits, près de quatre personnes sur dix présentaient toujours au moins un trouble de la santé mentale, surtout des troubles anxieux (30 %), un état de stress post-traumatique (20 %), voire une dépression caractérisée (10 %). À noter que les personnes ayant bénéficié d’une prise en charge psychologique précoce ont deux fois moins de troubles à six mois que les autres. Une autre étude épidémiologique de Santé publique France a aussi été lancée en collaboration avec le programme “13-Novembre” afin d’analyser par un questionnaire Web l’impact psychotraumatique des attentats sur les personnes directement exposées et la validité des circuits de soins par lesquels elles sont passées.

* Investigation des manifestations traumatiques post-attentats et de la prise en charge thérapeutique et de soutien.