Les troubles bipolaires - L'Infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016

 

Cahier de formation

Savoir

Classé parmi les dix pathologies les plus invalidantes par l’Organisation mondiale de la santé, le trouble bipolaire toucherait 1 à 2 % de la population française, mais ce chiffre serait sous-évalué(1). Mieux connu, ce trouble de l’humeur est aujourd’hui décliné sous plusieurs formes, ce qui permet des traitements plus adaptés, mais le diagnostic reste souvent tardif.

Le trouble bipolaire est considéré comme l’une des pathologies psychiatriques les plus graves. Un malade sur deux fera au moins une tentative de suicide dans sa vie et 15 % décèderont par suicide. Dans le même temps, certains spécialistes ont souligné une augmentation équivoque de la prévalence des troubles bipolaires (lire la sous-partie « Le trouble bipolaire fait débat » p. 36).

DÉFINITION

Le trouble bipolaire est classé parmi les troubles de l’humeur. Cette pathologie chronique de l’humeur se manifeste par l’alternance d’épisodes d’excitation et de dépression. Le terme “bipolaire” se réfère aux deux pôles entre lesquels fluctue l’humeur de la personne. Différentes formes de trouble bipolaire sont aujourd’hui distinguées. L’ancienne appellation “psychose maniaco-dépressive”, toujours employée par certains professionnels de santé, a été remplacée par “trouble bipolaire de type 1”. Le patient présente en alternance :

→ des épisodes d’hypomanie ou manie (lire plus loin), caractérisés par une augmentation de l’humeur, de l’énergie et des activités ;

→ des épisodes de dépression dominés par une diminution de l’humeur, et une baisse ou une perte de l’intérêt et du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités ;

→ des intervalles plus ou moins longs dans un état psychique plus stable, proche d’un état “normal”, qui peuvent exister entre les épisodes de (hypo) manie et de dépression.

PHYSIOPATHOLOGIE

Selon l’hypothèse actuelle, le trouble bipolaire résulterait d’interactions entre :

→ un dysfonctionnement des systèmes de régulation du stress (contrôle sérotoninergique des stimuli noradrénergiques centraux) ;

→ une vulnérabilité génétique : le risque de développer un trouble bipolaire est multiplié par dix lorsqu’un parent du premier degré est atteint (prévalence de 10 % dans ce cas contre 1 à 2 % dans la population générale). Une théorie plus psychanalytique met en avant un contexte éducatif qui pourrait « transmettre » une humeur bipolaire. À l’exemple d’un enfant qui ressentirait en alternance des sentiments d’attention intense et d’abandon de la part d’« une mère, un père ou une autre personne très proche [qui] peuvent avoir été eux-mêmes la proie de changements d’humeur brusques, souvent terrifiants et imprévisibles pour l’enfant »(2) ;

→ des facteurs environnementaux : événements de vie, personnels ou professionnels, positifs ou négatifs (séparation, deuil, promotion professionnelle, déménagement, perte d’emploi…), stress répétés (surmenage, manque de sommeil…), et consommation d’alcool, de tabac et/ou de drogues sont des facteurs précipitants. Même si un trouble bipolaire peut également se développer sans ces facteurs.

SYMPTÔMES

Sur un mode alternatif

Le trouble bipolaire fait fluctuer l’humeur de la personne atteinte entre :

→ des épisodes d’excitation appelée hypomanie ou manie, en fonction de leur intensité. Ils sont caractérisés par une augmentation de l’humeur, de l’énergie et des activités ;

→ des épisodes de dépression caractérisés par une diminution de l’humeur, ainsi que de l’intérêt et du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités ;

→ des intervalles plus ou moins longs dans un état psychique plus stable (“normal”).

Selon les cas, l’une ou l’autre des polarités, maniaque ou dépressive, sera dite dominante et influencera le choix du traitement (lire plus loin).

Intensités variables

L’intensité, la durée et la fréquence des épisodes bipolaires varient d’une personne à l’autre. Les épisodes symptomatiques sont classés selon leur intensité par les classifications internationales(3).

Caractéristiques des épisodes maniaques

Trois niveaux d’intensité peuvent être distingués pour les épisodes maniaques : l’hypomanie, la manie sans symptômes psychotiques et la manie avec symptômes psychotiques.

Des caractéristiques communes

Sont retrouvés, quel que soit le niveau d’intensité des épisodes maniaques : un sentiment intense de bien-être et d’efficacité physique et psychique, une augmentation de la sociabilité, du désir de parler, de la familiarité ou de l’énergie sexuelle et une réduction du sommeil.

Les épisodes hypomaniaques

Les épisodes hypomaniaques sont caractérisés par une élévation légère, mais persistante, de l’humeur, de l’énergie et de l’activité. Les symptômes, qui doivent être présents au moins sur quatre jours consécutifs, ne sont pas assez marqués pour entraver les activités professionnelles ou pour entraîner un rejet social. Ils ne sont pas forcément ressentis comme pathologiques par la personne atteinte.

Les épisodes maniaques sans symptômes psychotiques

Les épisodes maniaques sont caractérisés par une élévation de l’humeur disproportionnée par rapport à la situation, et vont d’une jovialité insouciante à une agitation pratiquement incontrôlable. L’augmentation de l’estime de soi est fréquente, accompagnée d’idées “de grandeur” et de surestimation de ses capacités. Des conduites imprudentes, déraisonnables, inappropriées ou déplacées dues à la levée des inhibitions sociales normales sont possibles. L’épisode maniaque doit durer au minimum une semaine(3) pour poser le diagnostic.

Les épisodes maniaques avec symptômes psychotiques

Aux caractéristiques des épisodes maniaques cités ci-dessus, sont associés un ou plusieurs symptômes psychotiques sous forme d’idées délirantes, le plus souvent “de grandeur”, d’hallucinations, comme une voix s’adressant directement au sujet, ou de “fuite des idées” marquée par un enchaînement rapide et parfois illogique des idées. Ces symptômes rendent la personne incompréhensible ou hors d’état de communiquer normalement.

Caractéristiques des épisodes dépressifs

Les trois niveaux d’intensité

L’épisode dépressif sera qualifié de léger, moyen ou sévère en fonction du nombre et de la sévérité des symptômes suivants constants sur une période de deux semaines(3) :

→ abaissement de l’humeur, de l’énergie et de l’activité ;

→ perte d’intérêt et altération de la capacité à éprouver du plaisir ;

→ diminution de la capacité à se concentrer ;

→ fatigue importante fréquente, même après un effort minime ;

→ troubles du sommeil et diminution ou perte de l’appétit ;

→ diminution de l’estime de soi et de la confiance en soi ;

→ idées de culpabilité ou de dévalorisation ;

→ ralentissement psychomoteur important ou agitation ;

→ perte de la libido.

La présence de symptômes psychotiques

Ils peuvent être associés au manque d’estime de soi et aux idées de dévalorisation dans les épisodes dépressifs sévères sous forme d’hallucinations, d’idées délirantes, de ralentissement psychomoteur ou de stupeur empêchant les activités sociales habituelles.

Cas particuliers des épisodes mixtes

Ils se manifestent par la présence simultanée de symptômes maniaques et dépressifs, et cela presque tous les jours pendant une semaine. Seront par exemple réunis une diminution de l’estime de soi et de la confiance en soi avec des idées de culpabilité (symptômes dépressifs) et une élévation de l’humeur, de l’énergie et de l’activité (symptômes maniaques). Pour correspondre aux critères des classifications internationales, la perturbation de l’humeur dans les épisodes mixtes doit être suffisamment sévère pour perturber de façon significative les activités sociales et/ou professionnelles.

Risque suicidaire

Il est quinze fois plus élevé que celui de la population générale et doit être systématiquement recherché en cas de trouble bipolaire. C’est la pathologie psychiatrique qui conduit le plus fréquemment aux tentatives de suicide. Selon les études(2), 25 à 60 % des patients bipolaires feront au moins une tentative de suicide dans leur vie. Parmi eux, 4 à 19 % en décéderont.

DIFFÉRENTES FORMES DE TROUBLE BIPOLAIRE

Trouble bipolaire de type 1

Le type 1 est essentiellement caractérisé par la survenue d’un ou plusieurs épisodes maniaques ou mixtes. Les personnes présentent souvent également un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs. C’est la forme la plus classique, qui correspond à “l’ancienne” psychose maniaco-dépressive.

Trouble bipolaire de type 2

Avec des symptômes maniaques moins sévères, le type 2 est caractérisé par la survenue d’un ou de plusieurs épisodes dépressifs majeurs accompagnés d’au moins un épisode hypomaniaque. L’existence d’un épisode maniaque ou mixte exclut le trouble bipolaire de type 2 et signe un trouble bipolaire de type 1.

Autres types

D’autres formes de troubles bipolaires sont décrites :

→ le trouble bipolaire de type 3 pour lequel la polarité maniaque est révélée par la prise d’antidépresseur prescrit pour ce qui semblait être une dépression ;

→ le trouble bipolaire de type 4 : c’est le trouble cyclothymique marqué par une variation de l’humeur entre excitation et état dépressif sans toutefois correspondre aux critères diagnostiques d’un épisode de manie, d’hypomanie ou de dépression majeure.

→ le trouble bipolaire de type 5 concerne les personnes qui vivent en permanence en état d’excitation, mais qui peuvent à tout moment basculer dans une phase dépressive.

Trouble unipolaire

Il s’agit d’un état dépressif appartenant aux troubles bipolaires, mais dont la cyclicité ne s’exprime cliniquement que dans le versant “dépressif”. De nombreuses dépressions résistantes ou récidivantes seraient des troubles unipolaires nécessitant un traitement par un médicament thymorégulateur (lire “Traitement médicamenteux” p. 35).

DIAGNOSTIC

Le diagnostic d’un trouble bipolaire est avant tout clinique et nécessite souvent plusieurs évaluations successives. Un bilan spécialisé dans un Centre expert troubles bipolaires permet de faire et de préciser le diagnostic (lire l’interview page ci-contre).

En pratique

Face à un épisode maniaque

Lorsque la maladie débute par un épisode maniaque bien identifié, le diagnostic est plus facile à poser. Un épisode maniaque inaugural est une urgence psychiatrique et nécessite une hospitalisation. Sachant que, chez l’adolescent, l’humeur maniaque n’est pas toujours joviale ou euphorique et peut se manifester par de l’irritabilité, de l’agressivité ou de la violence.

Face à un épisode dépressif avec antécédent d’épisode maniaque

Le diagnostic de trouble bipolaire peut être posé.

Face à un épisode dépressif sans antécédent d’épisode maniaque

Le risque est alors de diagnostiquer une dépression au lieu d’un trouble bipolaire et de prescrire un antidépresseur. « L’antidépresseur augmente le niveau de l’humeur et peut faire flamber la note maniaque du trouble bipolaire », prévient le Pr Jean-Michel Azorin, médecin psychiatre, coordonnateur du Centre expert troubles bipolaires à Marseille (Bouches-du-Rhône), avec les risques que cela comporte, y compris un risque suicidaire. Dans cette situation, il est donc recommandé de prendre les précautions qui suivent.

Rechercher un antécédent d’épisode hypomaniaque

Plus difficile à repérer qu’un antécédent d’épisode maniaque, y compris par le patient, car cet épisode est souvent de durée brève, avec des symptômes et des répercussions fonctionnelles plus faibles(3).

Rechercher des indicateurs de bipolarité

Certains indicateurs(3) peuvent évoquer une évolution possible de la dépression vers une bipolarité :

→ épisode dépressif avant 25 ans ;

→ antécédents d’épisodes dépressifs multiples (trois ou plus) ;

→ antécédents familiaux de troubles bipolaires ;

→ épisode dépressif survenant dans le post-partum ;

→ caractéristiques atypiques de l’épisode dépressif (hyperphagie, hypersomnie…) ;

→ réponse atypique à un antidépresseur : non-réponse thérapeutique, aggravation des symptômes, agitation, hypomanie même brève. Un épisode maniaque sous antidépresseur suffit pour diagnostiquer un trouble bipolaire.

Rechercher des indicateurs plus spécifiques chez les adolescents

Il s’agit principalement de modifications comportementales en rupture avec le fonctionnement antérieur :

→ prises de substances psychoactives ;

→ conduites à risque (fugue, transgressions, notamment sexuelles) ;

→ repli sur soi ;

→ décrochage scolaire.

Difficultés du diagnostic

En pratique, il s’écoule en moyenne dix ans entre le début de la maladie et l’instauration d’un traitement adapté(3). Plusieurs raisons rendent le diagnostic du trouble bipolaire complexe. Les différents épisodes du trouble ne se manifestent pas de la même manière. Les épisodes dépressifs sont prédominants et les épisodes de manie, et encore plus d’hypomanie, peuvent passer inaperçus pour le médecin comme pour la personne qui les vit. D’autre part, le trouble bipolaire, qui débute le plus souvent précocement, peut être associé à d’autres troubles comme des addictions, des troubles anxieux ou des troubles de conduite. Il peut parfois être confondu avec une autre pathologie, la schizophrénie par exemple.

Diagnostics différentiels

Trouble de la personnalité borderline

Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le DSM 4(3), le tableau de la personnalité borderline, considéré à un instant donné, peut ressembler à un épisode d’un trouble de l’humeur. Le diagnostic doit prendre en compte l’évolution du trouble sur une longue période. La caractéristique essentielle de la personnalité borderline est une instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects qui peut ponctuellement ressembler aux variations des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects du trouble bipolaire. Cette instabilité s’accompagne d’une impulsivité marquée dans des domaines potentiellement dommageables (dépenser de manière irresponsable, utiliser des drogues, s’engager dans des pratiques sexuelles dangereuses ou conduire de manière imprudente). Une attitude qui peut être ponctuellement confondue avec l’engagement excessif dans des activités agréables mais potentiellement dommageables observé lors d’un épisode maniaque d’un trouble bipolaire.

Caractéristiques

La personnalité borderline est définie par au moins cinq manifestations suivantes(3) :

→ des efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés ;*

→ des relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par l’alternance entre idéalisation excessive et dévalorisation ;

→ une instabilité marquée et persistante de l’image ou de la notion de soi ;

→ une impulsivité potentiellement dommageable dans au moins deux domaines comme les dépenses, la sexualité, la toxicomanie, une conduite automobile dangereuse, des crises de boulimie ;

→ la répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d’automutilations ;

→ une réactivité marquée de l’humeur : dysphorie épisodique intense, irritabilité ou anxiété durant quelques heures ou plus rarement quelques jours ;

→ des sentiments chroniques de vide ;

→ des colères intenses et inappropriées : fréquentes manifestations de mauvaise humeur, colère constante ou bagarres répétées ;

→ idées de persécution transitoires ou symptômes dissociatifs sévères dans des situations de stress.

Traitement

La prise en charge est surtout psychothérapique. Des traitements symptomatiques peuvent être prescrits : des antidépresseurs en cas de symptômes dépressifs ou des antipsychotiques si les états de colère dominent.

Trouble de la personnalité histrionique

Le comportement de la personnalité histrionique, ou hystérique, est fait de réponses émotionnelles et de quête d’attentions excessives et envahissantes. Ce trouble, qui apparaît au début de l’âge adulte, est présent dans des contextes divers. Dans sa polarité maniaque, le trouble bipolaire peut être marqué par une plus grande communicabilité que d’habitude ou un désir de parler constamment, une activité orientée vers un but sexuel ou des conduites sexuelles inconséquentes.

Caractéristiques

Présents chez de nombreuses personnes, les traits caractéristiques de la personnalité histrionique ne constituent une personnalité histrionique que lorsqu’ils sont inadaptés, persistants, et qu’ils causent une altération significative du fonctionnement ou une souffrance subjective. La personnalité histrionique est définie par au moins cinq manifestations suivantes(3) :

→ le sujet est mal à l’aise s’il n’est pas au centre de l’attention d’autrui ;

→ comportement de séduction sexuelle inadaptée ou attitude provocante dans les interactions avec autrui ;

→ expression émotionnelle superficielle et rapidement changeante ;

→ utilise régulièrement son aspect physique pour attirer l’attention sur soi ;

→ manière de parler trop subjective mais pauvre en détails ;

→ dramatisation, théâtralisme et exagération de l’expression émotionnelle ;

→ facilement influençable par autrui ou par les circonstances ;

→ les relations avec autrui sont considérées plus intimes qu’elles ne le sont en réalité.

Traitement

Ici encore, la prise en charge est surtout psychothérapique. Des traitements symptomatiques peuvent être prescrits ponctuellement.

Diagnostics différentiels des épisodes maniaques

Traitements psychostimulants

Des symptômes semblables à ceux d’un épisode maniaque ou mixte peuvent être déclenchés par la prise d’un produit psychostimulant (des médicaments tels des antidépresseurs, corticostéroïdes, agonistes dopaminergiques, hormones thyroïdiennes, certains anti-inflammatoires non stéroïdiens…), mais également par d’autres traitements antidépresseurs comme la sismothérapie ou la photothérapie(3). Si l’épisode persiste de manière autonome sur une longue période après l’arrêt du traitement, il doit conduire au diagnostic de trouble bipolaire.

Prise de toxiques

Des symptômes semblables à ceux d’un épisode maniaque, mixte ou hypomaniaque peuvent être déclenchés par la consommation d’une substance psychostimulante comme, entre autres, le cannabis, la cocaïne, les opiacés, l’ecstasy. L’épisode maniaque dure le plus souvent le temps de l’intoxication. « Le diagnostic n’est pas très difficile pour un médecin expérimenté, mais l’attitude sous l’emprise de toxiques peut induire en erreur », remarque le Pr Azorin. Sachant qu’un « comportement maniaque dû à une prise de toxiques s’interrompt avec l’arrêt des toxiques. Si la manie d’un trouble bipolaire a été révélée par la prise de toxiques, la symptomatologie persistera après l’arrêt de la consommation ». Lorsque le comportement maniaque n’apparaît qu’avec la prise de toxique, la cocaïne par exemple, le DSM 4 propose de diagnostiquer « un trouble de l’humeur induit par la cocaïne ».

Pathologies somatiques sous-jacentes

Des épisodes maniaques, mixtes et hypomaniaques, mais également des épisodes dépressifs, peuvent être déclenchés par une affection médicale générale (par exemple, poussée inflammatoire de sclérose en plaques, accident vasculaire cérébral, hypothyroïdie…). De même, certains syndromes confusionnels peuvent s’accompagner de symptômes maniaques. Devant tout premier épisode maniaque, cette éventualité doit faire réaliser les examens cliniques et paracliniques nécessaires.

Manies du trouble schizo-affectif

Il est souvent difficile de distinguer le trouble schizo-affectif du trouble bipolaire avec caractéristiques psychotiques(3). Dans le trouble schizo-affectif, les symptômes de la schizophrénie, idées délirantes et hallucinations, persistent entre les épisodes thymiques prononcés. Si les symptômes psychotiques surviennent exclusivement au cours de l’épisode thymique, le diagnostic est celui d’un trouble bipolaire avec caractéristiques psychotiques.

PRISE EN CHARGE

Le traitement du trouble bipolaire repose sur un traitement médicamenteux des troubles, qui sera associé à un accompagnement psychologique.

Traitements médicamenteux

Traitement des épisodes aigus

Ils peuvent nécessiter une hospitalisation en fonction de la sévérité de l’épisode.

→ En cas d’épisode dépressif, un antidépresseur est prescrit, associé à un thymorégulateur pour éviter le virage maniaque et prévenir une rechute. En cas de dépression très résistante, des séances d’électroconvulsothérapie peuvent être proposées.

→ En cas d’épisode maniaque, un ou plusieurs neuroleptiques sont prescrits pour “tasser” la manie, qu’ l’on associe à un thymorégulateur pour prévenir une rechute. Certains neuroleptiques appelés “antipsychotiques” ont un effet thymorégulateur et remplissent les deux objectifs.

Traitement de fond

La prévention des rechutes se fait par des thymorégulateurs parfois associés à des benzodiazépines ou des neuroleptiques pour leurs effets sédatifs. Une bithérapie - voire une trithérapie - est fréquente afin de trouver la combinaison thérapeutique la mieux adaptée à chaque patient. « En général, la prescription médicamenteuse est maintenue à vie car, dans 90 % des cas, il y a une rechute à l’arrêt du traitement, souvent sur un mode plus sévère que les épisodes antérieurs, prévient le Pr Jean-Michel Azorin. Le risque d’une interruption du traitement est pris en fonction de la demande de la famille et du patient, et de l’intensité du trouble. »

Traitements non médicamenteux

Associer au traitement médicamenteux psychothérapie, psychoéducation ou éducation thérapeutique du patient est un moyen de compléter et de renforcer la prise en charge d’un trouble bipolaire. En effet, cela peut soutenir le patient ainsi que les proches et aider le patient à devenir acteur de sa prise en charge.

Psychoéducation

Elle fait partie intégrante de la prise en charge du trouble bipolaire. Les programmes d’information et de psychoéducation adaptés au patient sont autant destinés au patient qu’à ses proches, avec pour objectifs, entre autres :

→ d’améliorer la compréhension du trouble bipolaire et l’adhésion au traitement ;

→ de développer la capacité à détecter les signes précurseurs d’un épisode maniaque ou dépressif ;

→ d’améliorer le fonctionnement psychosocial et la qualité de vie ;

→ d’encourager une régularité des rythmes de vie (régulation du sommeil, des rythmes sociaux).

Psychothérapie de soutien

Indispensable pour améliorer l’observance du traitement et lutter contre le découragement et le sentiment d’échec personnel des patients, en particulier lors de rechutes, une psychothérapie de soutien peut être effectuée par le médecin traitant, un psychiatre ou par un psychologue clinicien.

Autres psychothérapies

D’autres approches psychothérapiques peuvent être envisagées, telles les psychothérapies d’inspiration psychanalytique, comportementales et cognitives ou familiales et systémiques.

Hospitalisation en psychiatrie

Lors d’un épisode thymique, maniaque ou dépressif, l’hospitalisation peut être nécessaire pour la protection du patient et/ou de ses biens.

Motifs d’hospitalisation

Elle est envisagée en cas de(2) :

→ risque suicidaire élevé ;

→ épisode maniaque ou mixte ;

→ agitation violente, troubles du comportement majeurs ;

→ épisode dépressif sévère ;

→ complications médico-légales (vols, escroqueries…) ;

→ isolement social et familial, épuisement des proches.

Avec ou sans le consentement du patient

L’hospitalisation libre avec le consentement du patient est privilégiée. Dans certains cas, la gravité des troubles, parfois associée à la non-reconnaissance de ses troubles par le patient, peut justifier une hospitalisation sous contrainte, sans le consentement du patient (lire l’encadré p. 32).

RÔLE INFIRMIER

→ Assurer la continuité des soins à la sortie de l’hôpital.

→ Aider à la prise du médicament si besoin.

→ Observer et signaler les effets indésirables du traitement.

→ Observer et signaler une variation de l’humeur qui pourrait être le début d’un épisode maniaque ou dépressif.

(1) Haute Autorité de santé, “Troubles bipolaires : diagnostiquer plus tôt pour réduire le risque suicidaire”, 6 octobre 2015 (via le lien raccourci bit.ly/1Ll8hXY).

(2) Darian Leader, Bipolaire, vraiment ?, Éditions Albin Michel, avril 2014.

(3) D’après la Classification statistique internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé (CIM 10) et le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie (DSM, versions 4 et 5).

Question de patient

Qu’appelle-t-on troubles de l’humeur ?

Ce sont des troubles dont la caractéristique principale est une perturbation jugée excessive et pathologique de l’humeur avec des répercussions significatives sur la vie quotidienne.Ils concernent les troubles dépressifs, les troubles bipolaires et les troubles de l’humeur induits par une affection médicale générale ou par une substance.

Épidémiologie

En France, la prévalence est habituellement estimée à 1 % dans la population générale. En 2012 en France(1) :

→ 166 000 personnes couvertes par le régime général d’Assurance maladie ont été prises en charge pour des troubles bipolaires ;

→ près de 92 000 patients ont été hospitalisés et/ou suivis en ambulatoire pour troubles bipolaires : 21 % exclusivement hospitalisés, 52 % exclusivement suivis en ambulatoire et 27 % hospitalisés et suivis en ambulatoire ;

→ la prévalence est plus élevée pour les femmes que pour les hommes(2).

(1) D’après la Drees, « L’état de santé de la population en France », 2015 (lien raccourci bit.ly/1RxUily).

(2) De nombreux autres documents évoquent toutefois une équivalence de prévalence entre les hommes et les femmes.

Difficultés et intérêt d’un diagnostic précis

Pr Jean-Michel Azorin, médecin psychiatre, coordonnateur du Centre expert troubles bipolaires à Marseille (Bouches-du-Rhône)

Y a-t-il un sous-diagnostic des troubles bipolaires ?

Selon les points de vue, les troubles bipolaires sont sous-diagnostiqués ou sur-diagnostiqués. Il y a eu une tendance à surdiagnostiquer des troubles bipolaires mineurs, dits “de type 2”, notamment aux dépens des états limites ou borderline et des troubles de la personnalité hystérique. Le sous-diagnostic quant à lui relève de plusieurs causes dont un début le plus fréquent sur un versant dépressif qui peut orienter à tort vers une dépression. À l’inverse, les symptômes psychotiques qui peuvent accompagner un épisode maniaque inaugural peuvent évoquer un autre trouble délirant comme la schizophrénie.

Pourquoi diagnostiquer la forme de trouble bipolaire ?

En fonction de la forme du trouble bipolaire, de la polarité prédominante, maniaque ou dépressive, le choix du traitement médicamenteux sera différent. Lorsque les épisodes dépressifs dominent, la lamotrigine ou les antipsychotiques comme la quétiapine sont plus adaptés pour prévenir les récidives. Si la polarité maniaque domine, le lithium ou la Dépamine sont préférés.

Quel est le rôle des centres experts* dédiés aux troubles bipolaires ?

Les neuf centres experts proposent des outils diagnostiques plus complets qu’une simple intuition clinique. Ils ont été créés par le ministère de la Santé pour aider les psychiatres en charge du patient mais ne s’y substituent pas. Après une première consultation spécialisée, le patient est reçu pour un bilan durant une journée et demi en hôpital de jour par une équipe composée d’un psychiatre, d’un psychologue, d’un neuropsychologue et d’une infirmière. L’évaluation permet de confirmer ou d’infirmer le diagnostic de trouble bipolaire et surtout d’en préciser le type.

* Liste des centres experts sur le site Internet de l’association fondaMental, www.fondation-fondamental.org

Question de patient

Quand doit-on consulter pour un trouble de l’humeur ?

En cas de changements d’humeur ou d’une excitation ou au contrairede ralentissement psychologique empêchant de fonctionner normalement avec des difficultés à assumer vos responsabilités sociales, professionnelles ou familiales. Parlez-en à votre médecin ou consulter un spécialiste, psychiatre ou psychologue.

Les modes d’hospitalisationen psychiatrie*

Hospitalisation avec consentement du malade Le malade est en “soins psychiatriques libres”. Fin de l’hospitalisation sur décision du malade ou du praticien. Le malade est libre de sortir contre l’avis du médecin en signant une décharge de responsabilité.

Hospitalisation sans consentement du malade

 →La demande d’hospitalisation

Elle peut émaner :

- d’un tiers, membre de la famille du malade ou personne ayant un intérêt à agir comme un tuteur ou un curateur, par lettre manuscrite adressée au directeur de l’établissement choisi pour l’hospitalisation ;

- d’un médecin extérieur à l’établissement d’accueil en cas de péril imminent (pour la santé ou la vie du malade) ou d’impossibilité de recueillir une demande d’admission d’un tiers (tiers inconnu ou refus de la famille de demander l’hospitalisation) ;

- du préfet lorsque le malade compromet la sûreté des personnes ou porte gravement atteinte à l’ordre public.

→ Maintien de l’hospitalisation

L’hospitalisation se poursuit au-delà de douze jours sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD), saisi par le directeur de l’établissement.

→ Fin de l’hospitalisation

Sur décision :

- du psychiatre de l’établissement qui constate la disparition des troubles chez le patient ;

- du JLD de sa propre initiative ou sur demande de la famille, du malade ou du procureur de la République ;

- du préfet.

* Retrouver les détails de l’hospitalisation en psychiatrie sur www.service-public.fr (lien raccourci bit.ly/1GU6Wln).

« Développer le suivi à domicile par les infirmières libérales »

Annie Labbé, présidente d’Argos 2001, association d’aide aux personnes bipolaires et à leurs proches

La prise en charge des troubles bipolaires progresse-t-elle ?

Oui, les troubles bipolaires sont de mieux en mieux traités. Aujourd’hui, avec plus de médicaments à disposition, il est possible d’en minimiser les effets indésirables par des choix adaptés au patient. Il faut inciter les patients à retourner vers leur médecin référent lorsque des effets indésirablesles gênent. Il y a des possibilités d’agir, même s’il faut souvent du temps pour trouver le bon traitement, et même s’il existe encore des personnes qui ne répondent pas bienaux médicaments.

Les médicaments suffisent-ils pour traiter un trouble bipolaire ?

Non, un suivi est indispensable pour prendre en charge un trouble bipolaire, tant l’observance régulière du traitement est compliquée. L’association Argos 2001 se bat depuis des années pour obtenir un remboursement des psychothérapies, indispensables à la prévention des rechutes. Hormis les quelques patients bénéficiant de psychothérapies proposées par des établissements qui sont prises en charge, les thérapies adaptées de type cognitivo-comportemental sont très onéreuses. Qu’ils s’agissent de séances individuelles ou de psychoéducation de groupe, il faut compter entre 80 et 120?euros à Paris. Pour quelqu’un qui vit avec l’allocation aux adultes handicapés de 807,25 euros par mois, il est par conséquent impossible de s’engager dans ces soins par manque de moyens évidents. Pourtant, cet accompagnement thérapeutique est indispensable pour favoriser la stabilisation des troubles et éviter les rechutes.

Les Idels peuvent-elles compléter les soins en ambulatoire ?

Oui, et nous plaidons pour un développement de ce suivi. Les personnes qui sortent de l’hôpital avec un traitement parfois compliqué à assimiler doivent être accompa-gnées soit par le centre médico-psychologique, soit par des Idels. Surtout en cas d’isolement qui peut être anxiogène après la sortie de l’hôpital où la personne était entourée par des soignants, même si l’hospitalisation n’est pas toujours bien perçue par les patients. Sans accompagnement en ambulatoire, les alternances hôpital/ domicile sont difficiles à gérer pour le patient.

« Respecter certains horaires propres au rythme de vie du patient »

Jessyca Danyach, infirmière libérale dans le VIIIe?arron-dissement de Marseille (Bouches-du-Rhône)

Comment avez-vous décidé de prendre en charge des patients de psychiatrie en libéral ?

Mon associée et moi-même avons été formées en service ouvert et fermé de psychiatrie. Nous avons constaté que les patients revenaient à l’hôpital pour rechute par manque de soutienà domicile. L’unique infirmière du centre médico-psychologique se consacrait avec le psychiatre à la prise en charge en urgence des patients les plus en crise. Depuis dix ans, on a instauré un suivi quotidien à domicileà raison de deuxpassages par jour pour presque tous les patients. Ça s’est toujoursbien passé.

Quelles sont vos relations avec les services de psychiatrie ?

Les patients nous sont envoyés par les services de psychiatrie qui nous contactent. Le médecin prescrit un ou deux passages par jour selon les situations. Nous convenons d’une première visite et le médecin informe le patient de notre passage. Ces premiers rendez-vous ont toujours été respectés par les patients. Il n’y a pas eu de cas où le patient, après avoir donné son accord au médecin, refuse de nous ouvrir la porte le jour du rendez-vous. Sachant que les patients sortent de l’hôpital asymptomatiques et stables. Tout au long du suivi, nous travaillons en étroite collaboration avec les services et les médecins, avec des contacts téléphoniques et des réponses rapides. D’autant que les équipes de psychiatrie reconnaissent l’apport de nos visites dans le suivi en ambulatoire. Certains patients suivis à domicile n’ont plus jamais été hospitalisés.

Quelles particularités nécessitent ce type de prise en charge ?

Nous terminons les tournées vers 23 heures pour les prises des somnifères ou des médicaments qui favorisent le sommeil. C’est le cas des thymorégulateurs, et surtout les neuroleptiques qui aident à l’endormissement dans l’heure qui suit la prise. Respecter certains horaires propres au rythme de vie du patient nous permet de favoriser l’observance sans entrer dans une négociation pour chaque administration. La régularité est aussi importante pour le patient qui souffre de troubles de l’humeur. Pas question de changer les horaires toutes les semaines, il faut éviter le risque de rater des prises.

Quel âge ont vos patients suivis pour un trouble bipolaire ?

Nous suivons des patients jeunes de tout âge. Chez les plus jeunes, c’est l’observance du traitement qui justifie le passage de l’infirmière au domicile. Il faut parfois rappeler qu’il s’agit d’une maladie chronique et que les médicaments sont efficaces pour leur permettre une meilleure qualité de vie. Rappeler également les risques d’un arrêt du traitement qui pourrait entraîner une rechute, parfois plus grave que les épisodes précédents. Les parents, avec qui nous sommes en contact étroit, ont aussi régulièrement des questions sur la maladie et le traitement. Au cas où le patient maintient son opposition au traitement, il faut l’orienter vers le médecin ou avertir nous-mêmes le service référent.

Questions de patient

Qu’appelle-t-on “troubles bipolaires non spécifiés” ?

Cette expression est utilisée pour des troubles dont les épisodes maniaques et dépressifs ne remplissent pas les critères de durée minimale retenue pour le diagnostic ou lorsque les symptômes caractéristiques ne sont pas assez nombreux. Par exemple, une hypomanie qui dure moins de quatre jours n’est pas caractéristique pour le diagnostic.

Que signifie le terme “hypomanie” ?

L’hypomanie désigne une élévation de l’humeur, une excitation moins intense que celle observée lors d’une manie. Le terme “hypomanie” est formé à partir du grec hypo signifiant “en dessous”, et de mania signifiant “folie ou démence”.

Je cote à la nomenclature

Surveillance et observationd’un patient à domicile (titre XVI, chapitre I, article 10)

→ Administration et surveillance d’une thérapeutique orale au domicile des patients présentant des troubles psychiatriques avec établissement d’une fiche de surveillance, par passage : AMI 1.

Démarche de soins infirmiers (DSI)

→ Article 11 : soins infirmiers à domicile pour un patient, quel que soit son âge, en situation de dépendance temporaire ou permanente.

→ Séance de soins infirmiers liés aux fonctions d’entretien et de continuité de la vie, visant à protéger, maintenir, restaurer ou compenserles capacités d’autonomie de la personne. Par séance d’une demi-heure, à raison de quatre au maximum par 24 heures : AIS 3.