Cahier de formation
Savoir faire
L’infirmière libérale peut être sollicitée pour compléter le suivi d’un patient atteint de trouble bipolaire en ambulatoire. L’objectif étant de maintenir une bonne observance du traitement et de l’hygiène de vie indispensables à une stabilisation continue de l’humeur. De prévenir ainsi les rechutes en assurant la continuité des soins à la sortie de l’hôpital.
Vous passez chez Mme H., traitée avec du Dépakote depuis plusieurs années pour un trouble bipolaire, pour la prise du traitement du soir, et vous la trouvez un peu excitée. Elle vous dit qu’elle a arrêté le Théralène qu’elle prenait au coucher. Elle ajoute qu’elle dort moins mais se sent beaucoup mieux.
Vous lui demandez si elle a l’impression de reconnaître le même état que lors de son hospitalisation, mais elle vous répond que cela n’a rien à voir. C’est simplement qu’elle se sent bien. Vous lui faites remarquer que cela fait beaucoup de changements et qu’elle aurait intérêt à consulter son médecin. Vous lui conseillez de reprendre le Théralène dès maintenant avec le Dépakote. Et vous lui signalez que vous appellerez son médecin le lendemain pour savoir s’il y a lieu de remplacer le Théralène.
Les médicaments régulateurs de l’humeur, appelés aussi thymorégulateurs ou normothymiques, visent à atténuer les symptômes d’un épisode maniaque ou dépressif en cours et à réduire le risque de récidive.
Les thymorégulateurs étaient jusqu’alors réservés jusqu’au troisième épisode thymique d’un trouble bipolaire, conformément aux recommandations pour le lithium ; ils sont de plus en plus prescrits d’emblée, face à un premier épisode thymique caractérisé. Surtout si les symptômes ont des répercussions importantes sur la vie sociale et/ou professionnelle.
Plusieurs antiépileptiques et anti-psychotiques ont une action régulatrice de l’humeur. Ils ont l’indication pour le trouble bipolaire dans leur autorisation de mise sur le marché (AMM), ou normothymique. Ils sont prescrits en traitement de fond du trouble bipolaire, sachant que
→ un seul médicament est prescrit, si possible, mais une association est parfois nécessaire ;
→ le médicament met souvent plusieurs semaines à agir ;
→ deux ou trois médicaments peuvent être testés avant de trouver le plus efficace.
Antipsychotique normothymique, le carbonate de lithium (Téralithe) semble agir en mimant les effets du sodium au niveau des membranes cellulaires mais son mécanisme d’action n’est pas bien connu. C’est le traitement le plus ancien et le plus souvent utilisé dans le trouble bipolaire. Son effet se manifeste lentement, l’équilibre est atteint entre le cinquième et le huitième jour. , précise le Pr Jean-Michel Azorin, médecin psychiatre, coordonnateur du centre expert troubles bipolaires de l’hôpital Sainte-Marguerite à Marseille (Bouches-du-Rhône). « En pratique, dans d’autres cas, la gestion difficile du lithium et ses effets indésirables potentiels fait discuter le choix du traitement au profit d’autres régulateurs de l’humeur », ajoute le spécialiste.
La lithiémie minimale efficace recommandée est de 0,5 à 0,8 mEq/l mesurée le matin à jeun douze heures après la dernière prise pour forme à libération immmédiate et le soir pour la forme à libération prolongée. La posologie nécessaire pour maintenir un taux de lithium dans le sang (lithémie) efficace étant variable selon les individus, elle est individualisée selon les concentrations sanguines et la réponse clinique. Les dosages sanguins sont pratiqués deux fois par semaine en début de traitement. Une fois la lithiémie efficace atteinte, ils sont effectués toutes les semaines pendant le premier mois, puis tous les mois pendant le premier trimestre, puis tous les deux mois.
→ Téralithe comprimé sécable 250 mg : deux à trois prises par jour au cours des repas.
→ Téralithe LP comprimé sécable 400 mg : un à deux comprimés en une prise le soir.
Risque de troubles neurologiques, parfois irréversibles si surdosage (lire la suite) favorisé par l’insuffisance rénale, la déshydratation, un régime désodé ; troubles digestifs, endocriniens et métaboliques (hypo- ou hyperthyroïdie, prise de poids…), cardiaques.
Le lithium est un médicament à marge thérapeutique étroite. La frontière entre la dose efficace et la dose toxique étant étroite, il y a un risque de surdosage dont les signes les plus fréquemment rapportés sont : nausées, tremblements, soif et troubles de l’équilibre. La survenue de signe (s) de surdosage impose l’arrêt du traitement, l’évaluation de la lithiémie en urgence et une adaptation de la posologie. Ces signes sont habituellement réversibles avec une diminution de la dose ou à l’arrêt du traitement.
Pour éviter les fluctuations du taux de lithium dans le sang, il est essentiel de prendre régulièrement le médicament et de ne jamais doubler une prise en cas d’oubli de la prise précédente.
En cours de traitement, une surveillance régulière des fonctions cardiaques, rénales, thyroïdiennes est recommandée. Un bilan ophtalmologique est réalisé en cas de céphalées persistantes ou de troubles de la vision.
Le Dépakote (divalproate de sodium) et le Dépamide (valpromide), antiépileptiques et thymorégulateurs, ont une action thymorégulatrice qui pourrait être liée à un renforcement de la voie GABAergique qui a pour fonction de diminuer l’activité neuronale. Ces deux molécules sont indiquées dans le traitement aigu des épisodes maniaques du trouble bipolaire en cas de contre-indication ou d’intolérance au lithium. Par la suite, Dépakote et Dépamide peuvent être maintenus en traitement de fond chez les patients ayant répondu positivement lors de l’épisode aigu.
Dépakote comprimé 200 et 500 mg, et Dépamide comprimé 300 mg : 1 000 à 2 000 mg par jour en moyenne, en deux prises.
La plupart des effets indésirables ne sont pas graves et s’atténuent le plus souvent après les premières semaines de traitement. Les effets indésirables les plus fréquents sont : troubles digestifs (nausées, vomissements, troubles gingivaux, stomatite, douleurs épigastriques, diarrhées), prise de poids, troubles neurologiques (tremblements, sédation, troubles de la mémoire, céphalées, nystagmus, c’est-à-dire mouvements involontaires des deux yeux, état confusionnel, hallucinations, troubles extrapyramidaux), pertes d’audition, chute des cheveux passagère et/ou dose-dépendante, hémorragie, irrégularités menstruelles, troubles hématologiques (anémie, thrombopénie).
Entre autres :
→ contrôle biologique des fonctions hépatiques avant le traitement et pendant les six premiers mois ;
→ examen hématologique recommandé avant le traitement, à quinze jours et en fin de traitement, ainsi qu’avant une intervention chirurgicale et en cas d’hématomes ou de saignements spontanés.
Dépakote et Dépamide sont les thymorégulateurs les plus tératogènes. Ils entraînent également un risque de troubles neuro-développementaux chez les enfants exposés in utero. Le Dépakote ne doit être utilisé chez les patientes en âge de procréer ou enceintes qu’en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements. Les patientes doivent alors utiliser une contraception efficace pendant le traitement et être complètement informées des risques pendant la grossesse. Chez ces patientes, la prescription initiale valable un an est réservée aux psychiatres et doit être présentée pour chaque délivrance accompagnée d’un accord de soins (lire l’encadré ci-dessous). Le renouvellement est possible par tout médecin dans la limite d’un an.
La carbamazépine (Tégrétol), antiépileptique et normothymique, agit sur les canaux sodiques voltage-dépendant ; elle a un effet dépressif sur la régénération de dopamine et de noradrénaline. La molécule est indiquée dans le trouble bipolaire :
→ en prévention des rechutes dans le cadre des troubles bipolaires, traitement de deuxième intention du fait de ses effets indésirables potentiels et des nombreuses interactions médicamenteuses ;
→ dans le traitement des états d’excitation maniaque ou hypomaniaque.
Tégrétol comprimé sécable 200 mg ; suspension buvable 20 mg/ml ; Tégrétol LP comprimé 200 et comprimé sécable 400 mg :
→ traitement des états d’excitation maniaque ou hypomaniaque : 600 à 1 200 mg par jour en deux ou trois prises ;
→ prévention des rechutes : 400 à 800 mg par jour en moyenne en deux ou trois prises.
La plupart des effets indésirables ne sont pas graves et s’atténuent habituellement en quelques jours, soit spontanément, soit après une diminution transitoire de la posologie. Certains effets dose-dépendants sont fréquents à l’instauration du traitement, avec une dose initiale trop élevée ou chez les personnes âgées : vertiges, céphalées, ataxie, somnolence, fatigue, diplopie, troubles de l’accommodation, confusion, agitation, nausées, vomissement, diarrhée, constipation, anorexie, sécheresse de la bouche et réactions allergiques cutanées. Autres effets potentiels : hépatiques, hématologiques (leucopénie), métaboliques (prise de poids).
Un hémogramme et un bilan hépatique sont effectués avant le début du traitement puis après le premier mois de traitement et devant tout signe d’appel (infections…).
La lamotigrine (Lamictal) est un antiépileptique indiqué dans la prévention des épisodes dépressifs du trouble bipolaire de type 1 avec prédominance d’épisodes dépressifs pour son action sur les canaux sodiques voltage-dépendants (grosses protéines transmembranaires présentes dans les neurones). Ses mécanismes d’action thérapeutique sur les troubles bipolaires ne sont pas établis.
Lamictal comprimé dispersible ou à croquer 2 et 5, 25, 50, 100 ou 200 mg : instauration progressive et posologie adaptée à chaque patient et en fonction des traitements associés.
La plupart des effets indésirables ne sont pas graves et s’atténuent habituellement dès les premières semaines du traitement. Dans le traitement du trouble bipolaire, les effets indésirables les plus fréquents sont : troubles digestifs, rhumatologiques (arthralgies), éruptions cutanées potentiellement graves et pouvant conduire à l’arrêt du traitement (syndromes de Stevens Johnson et Lyell). Moins fréquemment : troubles psychiques et neurologiques (céphalées, somnolence, vertiges, risque d’idées suicidaires).
La survenue d’idées et comportements suicidaires doit être surveillée et prise en charge particulièrement à l’instauration du traitement ou lors de modifications posologiques. Arrêt du traitement en cas d’éruption cutanée, notamment si signes d’hypersensibilité associés (fièvre, adénopathies, œdème de la face…).
Certains antipsychotiques, encore appelés neuroleptiques de deuxième génération ou atypiques, indiqués dans les troubles bipolaires, ont une action thymorégulatrice (voir tableau ci-dessus). Ils agissent en bloquant les récepteurs dopaminergiques et sérotoninergiques. La plupart de leurs effets indésirables ne sont pas graves et s’atténuent habituellement dès les premières semaines du traitement.
Les conseils ci-dessous visent à diminuer les effets indésirables les plus fréquents des antipsychotiques, et donc à améliorer l’observance du traitement.
→ Surveillance régulière du poids dès le début du traitement : une fois par semaine le premier mois, puis mensuellement.
→ Bilan lipidique et glycémique.
→ Alimentation équilibrée ; éviter sodas, sucreries et grignotages entre les repas.
→ Pratiquer une activité physique.
→ Une prise de poids supérieure à 5 kilos après trois mois de traitement, ou de plus de 7 % du poids de départ, nécessite une consultation diététique.
→ Parler avec le médecin de la gêne ressentie pour ajuster l’heure de prise. En cas de lever difficile par exemple.
→ Prudence avec la conduite automobile.
→ Activité physique car l’exercice apporte de l’énergie.
→ Éviter la prise d’alcool qui aggrave la somnolence excessive et augmente les effets indésirables, le mal-être et l’angoisse.
Se relever lentement d’une position assise, passer par une position assise temporaire à partir d’une position couchée.
→ Boire fréquemment de petites quantités d’eau tout au long de la journée, sucer un glaçon, mâcher des chewing-gums sans sucre, salive artificielle en sprays (Artisial, Syaline spray, Aequasyal).
→ Maintenir une bonne hygiène bucco-dentaire avec au minimum un brossage des dents par jour, le soir, et une visite de contrôle chez le dentiste.
Prendre le traitement de préférence pendant un repas. Sauf la quétiapine, prise au moins une heure avant le repas.
→ Manger des fruits crus et des légumes verts.
→ Boire suffisamment d’eau, en particulier le matin à jeun.
→ Maintenir une activité physique.
Aménorrhée, petits saignements, galactorrhée sont possibles chez les femmes. Gynécomastie/tension mammaire, diminution de la libido et dysfonction érectile sont possibles chez les hommes.
Conseil au patient : signaler ces effets indésirables au médecin pour envisager une amélioration.
Les symptômes extrapyramidaux sont rares aux doses utilisées dans le trouble bipolaire et plus rares avec les antipsychotiques qu’avec les neuroleptiques classiques :
→ signaler au médecin des symptômes de type rigidité musculosquelettique, contractions musculaires involontaires (dyskinésie), tremblement, incapacité de pouvoir se mettre ou de demeurer en position assise ou syndrome des jambes sans repos (akathisie), faciès figé ou spasme facial ;
→ une modification du traitement et/ou une correction de ses effets peuvent être nécessaires, notamment avec des médicaments indiqués dans les syndromes parkinsoniens induits par les neuroleptiques : bipéridène (Akineton) ; trihexyphénidyle (Artane, Parkinane LP) ; tropatépine (Lepticur).
C’est un effet exceptionnel qui doit être connu car le syndrome malin des neuroleptiques est potentiellement mortel. En cas d’apparition brutale de fièvre (supérieure à 38 °C), l’absence de toute autre cause d’état fébrile, associée à des symptômes moteurs (rigidité, myoclonies et tremblements), une hypersudation, une tachycardie, prévenir le médecin en urgence.
→ Poids, indice de masse corporelle, pression artérielle : à un mois de traitement, à trois mois puis une fois par trimestre.
→ Surveiller le tour de taille : une fois par an.
→ Faire une glycémie à jeun : à trois mois puis une fois par an.
→ Réaliser un bilan lipidique : à trois mois puis tous les cinq ans.
« Un antidépresseur peut être prescrit dans le trouble bipolaire à condition que le risque de réveiller la polarité maniaque soit couvert par un thymorégulateur ou un antipsychotique avec un effet thymorégulateur », avertit le Pr Jean-Michel Azorin.
Ainsi, face à une symptomatologie dépressive, un antidépresseur peut être prescrit pour prévenir les rechutes dépressives. Il sera associé à un antipsychotique qui préviendra à la fois les rechutes maniaques et un éventuel “virage maniaque”. Dans tous les cas, ils doivent toujours être utilisés avec prudence, en étant vigilant sur le risque de survenue d’un épisode maniaque.
* “Troubles bipolaires” sur www.ameli-sante.fr, via bit.ly/2bBWNRK
Jessyca Danyach, infirmière libérale dans le VIIIe arrondissement de Marseille (Bouches-du-Rhône)
« Nous ne prenons en charge un patient de psychiatrie que dans le cadre d’une démarche de soins infirmiers. Cela est bien compris par les psychiatres et la caisse de l’Assurance maladie. Ensuite, la cotation est adaptée au suivi des patients. Soit un AIS 3 pour l’administration des médicaments et la surveillance, soit deux AIS 3 au cas où il y a un entretien infirmier ou des soins somatiques annexes. Deux AIS 3 également pour certains patients chez qui il y a un risque de mauvaise observance, de sous ou sur-consommation de médicaments. Dans ce cas, nous récupérons le traitement à la pharmacie, nous le conservons en ne laissant sur place qu’une dose de secours. »
En raison des effets tératogènes et du risque élevé de malformations congénitales liés à l’utilisation des médicaments à base de valproate et dérivés (Dépakote et Dépamide dans le cadre du trouble bipolaire) pendant la grossesse, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a formulé de nouvelles conditions de prescription et de délivrance et publié trois documents
→ un guide d’information à l’adresse des médecins sur les mesures de minimisation des risques lors d’un traitement par valproate ;
→ une brochure d’informations à remettre aux femmes en âge de procréer en cas de prescription de valproate ;
→ un formulaire d’accord à remplir par le médecin et la patiente en âge de procréer qui déclare entre autres :
- utiliser une contraception efficace ;
- ne pas envisager de grossesse ;
- demander une consultation avant d’envisager de concevoir un enfant ;
- consulter immédiatement en cas de suspicion de grossesse.
* Ces documents de mai 2015 sont disponibles sur le site de l’ANSM via le lien raccourci bit.ly/1eMzl5u Antipsychotiques avec indication dans le trouble bipolaire
Quel est votre rôle dans la prise en charge d’un trouble bipolaire ?
Il s’agit principalement de maintenir une observance régulière du traitement. Cela passe par l’observation et la prise en charge des effets secondaires des traitements qui peuvent, à un moment ou à un autre, faire obstacle à la prise du traitement. Le repérage de la survenue de symptômes d’un éventuel épisode thymique, maniaque ou dépressif, qui restent possibles même avec un traitement efficace. Et également la prise en charge des fragilités liées à l’âge ou à des pathologies associées. Quand il y a un risque de dénutrition, on prend le temps de jeter ensemble un coup d’œil dans le frigo.
Quels sont par exemple les signes à repérer ?
La prise de poids est l’effet indésirable majeur, surtout que nous suivons plus de femmes. Là, ça coince. Il faut trouver le médicament qui provoque le moins de prise de poids, tout en rappelant que les médicaments ne font pas grossir mais ouvrent l’appétit. C’est l’appétit qu’il faut gérer. D’un autre côté, si un patient me dit ne pas dormir depuis trois nuits, je l’invite à revoir le médecin pour ajuster le traitement. J’avertis les soignants référents car, lorsqu’un épisode maniaque se profile, le patient peut se sentir “trop bien” et éviter d’en parler au médecin, alors que plus le temps va passer, plus l’excitation va monter, et plus la prise en charge sera compliquée. De la même manière, il faudra repérer les signes d’une dépression, car, dans tous les cas, un épisode thymique peut avoir des conséquences graves.