L'infirmière Libérale Magazine n° 329 du 01/10/2016

 

SE SÉPARER

Votre cabinet

Me Geneviève Beltran*   Véronique Veillon**  

Travailler ensemble présente souvent bien des avantages. Mais, lorsque l’on ne s’entend plus, les petits inconvénients du début deviennent soudain de gros problèmes, sources de conflits qui peuvent parfois dégénérer, au point d’avoir recours aux tribunaux. D’où l’importance de prévoir, dès le début, les modalités d’une éventuelle séparation.

Il est très difficile de travailler seule dans votre profession. Vous êtes tenue à la continuité des soins et, dès lors que vous avez accepté de prendre en charge un patient, vous devez assurer tous ses soins, le matin, le soir et les week-ends. Or, bien évidemment, vous devez vous reposer, vous former, prendre des vacances. Vous êtes donc dans l’obligation de confier vos patients à une collègue. Vous commencez par faire appel à une remplaçante et, vos besoins de vous faire remplacer devenant récurrents, vous décidez de prendre une collaboratrice. Certaines d’entre vous vont même jusqu’à tenter l’expérience d’une association. Mais certains rapprochements peuvent se terminer en crise.

Comment alors se séparer dignement, comment éviter le conflit grave, délétère pour toutes les parties ? Examinons ensemble les différentes possibilités que vous pouvez rencontrer.

Que dit le contrat ?

Tout d’abord, il convient de se reporter au contrat signé, s’il y en a eu un, ou à défaut, aux échanges écrits qui ont précédé le travail en commun.

La collaboration

La loi du 2 août 2005 qui régit les contrats de collaboration dispose que le contrat doit être établi par écrit et doit préciser, entre autres, les conditions et les modalités de la rupture, dont un délai de préavis. Les co-contractants restent donc libres de prévoir la façon dont ils vont se séparer.

Le plus souvent, si le contrat a été établi pour une durée indéterminée, il suffira d’adresser à l’autre partie une lettre recommandée avec avis de réception sans avoir à justifier sa décision. Quant à la durée du préavis, deux à trois mois est le laps de temps généralement prévu. Si le contrat est à durée déterminée, il est préférable de prévoir les causes qui justifieraient une fin anticipée.

Rappelons que cette même loi indique que le collaborateur peut, pendant la durée de la collaboration, se constituer une clientèle personnelle. Il paraît donc délicat de prévoir une clause de non-concurrence géographique que le collaborateur serait tenu de respecter à la fin du contrat. Mieux vaut prévoir une clause de “loyauté” par laquelle le collaborateur s’engagerait pendant un certain temps à ne pas solliciter et à ne pas répondre aux demandes qui émaneraient de patients de la clientèle de l’infirmière titulaire.

Le remplacement

Un contrat doit être établi dès lors que le remplacement dure plus de vingt-quatreheures ou s’il est inférieur à ce délai mais répété (R4312-43 du Code de la santé publique, CSP, et article 5.2.3 de la convention). Ce contrat aura comme échéance la fin du remplacement. Il est possible de penser à un contrat “cadre” précisant les droits et obligations de chaque partie si plusieurs périodes de remplacement sont envisagées et des avenants mentionneront les dates de remplacement. Là encore, mieux vaut prévoir les modalités de sa résiliation et fixer une durée raisonnable de préavis. Ces contrats peuvent comporter une clause de non-concurrence qui sera limitée dans le temps, dans l’espace, ne pas être disproportionnée et ne pas apporter de restriction excessive à la liberté d’exercer. À défaut de clause de non-concurrence prévue, l’article R4312-47 du CSP prévoit qu’« un infirmier ou une infirmière qui a remplacé un autre infirmier ou une autre infirmière pendant une durée totale supérieure à trois mois ne doit pas, pendant une période de deux ans, s’installer dans un cabinet où il pourrait entrer en concurrence directe avec l’infirmier ou l’infirmière remplacé, et éventuellement avec les infirmiers ou les infirmiers exerçant en association avec celui-ci, à moins que le contrat de remplacement n’en dispose autrement ».

L’association

→ Si vous êtes membre d’une société civile, société professionnelle ou société civile de moyens, par exemple, vous pouvez en sortir en cédant vos parts ou vous en retirer sans avoir trouvé de successeur. L’article 1869 du Code civil mentionne qu’« un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues dans les statuts, ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice ». Les parts du retrayant devront alors être rachetées par ses associés ou la société, à moins qu’un repreneur ne soit trouvé. Les intérêts entre le retrayant et les associés restants étant le plus souvent opposés, ce départ sera souvent source de conflit. L’article 1843-4 du Code civil mentionne que la valeur des droits sociaux peut être déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné par les parties ou, à défaut d’accord entre elles, par les tribunaux. Cet expert est tenu d’appliquer les règles et modalités de determination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties, lorsqu’elles existent. Si ces règles n’existent pas, l’expert sera libre d’estimer selon des critères que vous ne maîtriserez pas, car il peut retenir le mode de calcul de son choix. Par conséquent, il est vivement conseillé de relire vos statuts, surtout s’ils sont anciens, et, si ces règles n’ont pas été envisagées, de vous rapprocher d’un juriste pour procéder à une modification des statuts.

→ Si vous avez décidé de régir vos rapports avec vos associés par le biais d’un contrat d’exercice en commun, créateur d’une société de fait ou non, vous n’aurez pas manqué de prévoir une clause précisant les modalités du départ. Si vous ne l’avez pas fait, prévoyez-le par avenant. Et ce n’est pas se défier de son (ou ses) associé (s) que de discuter des modalités de séparation alors que votre association est au beau fixe. Cela peut éviter nombre de déchirements. La clef pour réussir son association est le dialogue. Mais que prévoir ? Tout dépend de chaque situation. Qui est locataire des murs du cabinet ? Qui possède le bail qui n’a pas été modifié lors de la venue des autres : tous les associés, ou seulement l’un d’entre eux ? Ne faudrait-il pas prévoir, en cas de séparation et afin de ne pas avantager certains par rapport à d’autres, qu’aucun membre de l’association ne récupère le local ? Quid de la ligne téléphonique, qu’elle soit fixe ou nomade ? Ne conviendrait-il pas de la résilier en cas de séparation afin qu’aucun associé ne soit privilégié, et ce, d’autant plus que cela serait une ligne “historique”, connue depuis de nombreuses années des patients d’un des associés ? Autre réflexion à avoir : comment se partager la patientèle ? Certes, le patient a le libre choix de son soignant, mais rien n’empêche de prévoir entre futurs ex-associés un partage des patients en tenant compte de la valeur financière des soins donnés afin que le partage soit équilibré et en prévenant les patients qu’à compter de telle date, cela sera l’un des associés, et pas les autres, qui continuera à se présenter à son domicile. Bien évidemment, le patient aura la possibilité d’accepter ou de préférer suivre la collègue, choix qu’il faudra respecter, quitte à proposer à la collègue de prendre en charge un des patients qui lui avait été attribué dans le partage.

Et s’il n’y a pas de contrat ?

En l’absence de contrat, le délai de prévenance pour quitter son (ou ses) associé (s) devra être suffisant pour que vos collègues aient le temps de s’organiser. Il faudra essayer de le déterminer au cas par cas. Il est cependant évident que le comportement qui consisterait à prévenir son collègue, par mail ou par SMS, le soir, que l’on ne prendra pas la tournée le lendemain a de forte chance d’être sanctionné, soit par votre ordre professionnel, soit par les tribunaux dans le cas où votre collègue n’aurait pas apprécié la “plaisanterie”…

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