L'infirmière Libérale Magazine n° 329 du 01/10/2016

 

Cahier de formation

Savoir

Commercialisés en France en 2009 dans la prévention des accidents thrombotiques liés aux chirurgies de la hanche et du genou, les anticoagulants oraux directs (AOD) ont vu leurs indications d’autorisation de mise sur le marché (AMM) s’étendre ces dernières années.

RAPPELS SUR LA COAGULATION

La formation de fibrine

→ Lorsqu’une lésion vasculaire se produit, une succession de différents mécanismes permet de colmater la brèche pour stopper l’émission de sang.

→ Tout d’abord, un spasme vasculaire entraîne une vasoconstriction localisée visant à réduire le flux sanguin, suivie d’une étape d’hémostase primaire (ou agrégation plaquettaire) aboutissant à la formation du clou plaquettaire (ou caillot blanc encore appelé “thrombus instable”).

→ Puis une étape d’hémostase secondaire (ou coagulation) aboutissant, après une succession de réactions enzymatiques catalysées par les facteurs de coagulation, à la formation de fibrine, permet de renforcer le caillot blanc. La fibrine emprisonne en effet dans ses filaments le clou plaquettaire mais aussi des globules rouges. La coagulation aboutit donc à la formation du caillot rouge, également appelé “thrombus stable”.

Les facteurs de coagulation

→ Il existe plusieurs facteurs de coagulation, identifiés par un chiffre romain, qui s’activent mutuellement au cours de la coagulation pour synthétiser la fibrine. Une fois activés, les facteurs sont usuellement désignés par leur chiffre romain, suivi de l’indice “a”. Ainsi, à titre d’exemple, le facteur II (alias prothrombine) est activé en facteur IIa (alias thrombine).

→ Les facteurs de coagulation sont des glycoprotéines synthétisées par le foie et secrétées dans le sang. La synthèse des facteurs II, VII, IX et X est dite “vitamine K-dépendante” dans le sens où elle requiert des réactions de gamma-carboxylation catalysées par la vitamine K.

→ La plupart des facteurs sont procoagulants, c’est-à-dire qu’ils favorisent la coagulation et la synthèse de fibrine.

→ Mais certains sont au contraire anticoagulants et empêchent la synthèse de fibrine, à l’instar du facteur III (alias antithrombine) qui inactive le facteur Xa et le facteur IIa.

Les médicaments anticoagulants

→ Contrairement aux médicaments antiagrégants plaquettaires (aspirine, clopidogrel, prasugrel ou ticagrélor), qui empêchent l’hémostase primaire et la formation du clou plaquettaire, les anticoagulants empêchent, quant à eux, la coagulation et la synthèse du réseau de fibrine.

→ En fonction de leur voie d’administration injectable ou orale, on différencie différentes familles d’anticoagulants.

Anticoagulants injectables

Les héparines et le fondaparinux agissent au niveau du sang et potentialisent l’effet de l’antithrombine pour inactiver le facteur Xa (héparines de bas poids moléculaire, HBPM, et fondaparinux) et le facteur IIa (héparines non fractionnées).

Anticoagulants oraux

→ Les antivitamines K (ou AVK) agissent au niveau du foie et inhibent la synthèse des facteurs II, VII, IX et X.

→ Les anticoagulants oraux directs ou AOD (anciennement appelés Naco pour “nouveaux anticoagulants oraux”) agissent au niveau du sang sur les mêmes cibles que les héparines. Mais, contrairement à ces dernières, ils inactivent directement le facteur Xa ou IIa, sans agir par l’intermédiaire de l’antithrombine, d’où leur récente appellation d’anticoagulants oraux directs.

LES DIFFÉRENTS ANTICOAGULANTS ORAUX

Les AVK

Exemples

Sintrom et Minisintrom (acénocoumarol) et Coumadine (warfarine) sont des dérivés coumariniques. Previscan (fluindione) est un dérivé de l’indanedione.

Pharmacodynamie

Mode d’action

Les AVK agissent au niveau du foie en inhibant la vitamine K réductase, enzyme permettant d’activer la vitamine K. Ils vont de ce fait inhiber, lors de la synthèse hépatique vitamine K-dépendante des facteurs II, VII, IX et X, leur possibilité d’être actifs. Cela perturbe la cascade de coagulation et inhibe la formation de fibrine.

Délai d’action

Du fait de leur mode d’action, les AVK agissent après un délai de deux à trois jours, car ils n’ont pas d’action sur les facteurs de coagulation déjà synthétisés et présents dans le sang. En pratique, leur efficacité complète s’observe en cinq jours environ. Ce ne sont donc pas des médicaments d’urgence, contrairement aux héparines qui agissent immédiatement.

Indications

→ Traitement des thromboses veineuses profondes et des embolies pulmonaires en relais des héparines.

→ Prévention secondaire des récidives thrombo-emboliquess.

→ Prévention primaire des événements thrombo-emboliques dans le cas de la fibrillation auriculaire ou en cas de valvulopathies et chez les patients porteurs de prothèses valvulaires cardiaques.

Effets indésirables

→ Les AVK sont les médicaments les plus incriminés dans la survenue d’accidents iatrogènes (17 000 hospitalisations annuelles en France).

→ Ils peuvent induire des hémorragies, qui représentent la complication la plus fréquente du traitement. Il peut s’agir d’hématomes, d’épistaxis, de gingivorragies ou, plus gravement, d’hémorragies cérébrales, intra-abdominales ou intra-articulaires. Chaque année en France, près de 6 000 décès sont dus à des hémorragies liées aux AVK.

→ Plus rarement, des manifestations immuno-allergiques (éruption cutanée, voire œdème de Quincke ou neutropénie) peuvent être observées. Elles sont non dose-dépendantes et imposent l’arrêt du traitement.

→ Les AVK peuvent également induire des troubles intestinaux de type diarrhées et plus rarement une alopécie (moins d’un patient sur mille).

Antidote

L’antidote des AVK est la vitamine K. En cas d’hémorragie grave, du concentré de complexe prothrombinique (CPP), anciennement appelé PPSB, est administré en urgence en association à la vitamine K.

Pharmacocinétique

Une marge étroite

→ Les AVK sont des médicaments à marge thérapeutique étroite. C’est-à-dire que ce sont des médicaments pour lesquels la concentration plasmatique efficace est proche de la concentration plasmatique toxique (au-delà de laquelle apparaissent les signes de surdosage).

→ De ce fait, ce sont des médicaments exposant facilement le patient au risque de sous-dosage et donc de thrombose en cas d’inefficacité thérapeutique, mais aussi au risque de surdosage et donc d’hémorragie. Les AVK sont ainsi particulièrement sensibles à l’effet de médicaments inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques, susceptibles de modifier leur métabolisme hépatique (les inducteurs potentialisant le métabolisme des AVK et réduisant leur efficacité par diminution de leurs concentrations plasmatiques et les inhibiteurs augmentant à l’inverse l’effet des AVK).

Une forte affinité pour l’albumine

Les AVK sont des médicaments à forte affinité pour les protéines plasmatiques, en particulier pour l’albumine. Ainsi, dans le sang, plus de 90 % des AVK circulent liés à l’albumine. Cette particularité pharmacocinétique n’est pas dénuée de conséquences.

→ Premièrement, ceci contribue (outre leur mécanisme d’action) à expliquer leur délai d’action : il faut en effet que les AVK se détachent de l’albumine pour pouvoir franchir les parois vasculaires, quitter le sang et gagner leur organe cible qui est le foie.

→ D’autre part, les AVK peuvent être impliqués dans des interactions médicamenteuses par déplacement de liaison à l’albumine : deux médicaments à forte affinité pour les protéines plasmatiques entrent en compétition pour se fixer sur l’albumine. Si l’AVK est déplacé de ses liaisons à l’albumine par un autre médicament à forte affinité pour cette protéine (comme les sulfamides hypoglycémiants - gliclazide, Diamicron ; glimépiride, Amarel – et les antifongiques imidazolés - miconazole, Daktarin ; fluconazole, Triflucan), l’AVK circulera davantage dans le sang sous forme libre (non liée à l’albumine) et sera plus actif, car plus susceptible de quitter le sang et de gagner le foie. Ceci expose donc le patient à un risque hémorragique. À savoir : la forme active d’un médicament est la forme libre, non liée à l’albumine.

→ Enfin, les AVK exercent leur effet à des doses plus faibles chez le patient âgé, en particulier dénutri. La dénutrition est associée à une hypoprotidémie, et en particulier à une hypoalbuminémie. Ainsi, les AVK circulent davantage sous forme libre avec un risque majoré de surdosage. Or 2 à 4 % des seniors de 60 à 80 ans vivant à domicile sont dénutris.

Chez la femme enceinte ou allaitante

→ Contrairement aux héparines, les AVK passent la barrière hémato-placentaire et sont tératogènes (risques de malformations des os propres du nez et de ponctuations épiphysaires). Ils peuvent induire des fœtopathies cérébrales et des hémorragies fœtales et/ou néonatales. Ils sont donc déconseillés pendant la grossesse et une contraception est souhaitable chez les femmes sous AVK en âge de procréer.

→ Les AVK passent dans le lait maternel et exposent le nourrisson allaité à un accident hémorragique. De ce fait, l’allaitement est contre-indiqué sous fluindione (Previscan). Sous dérivés coumariniques (Sintrom, Minisintrom et Coumadine), l’allaitement est en revanche possible car les coumariniques passent en très faible quantité dans le lait maternel, à condition de supplémenter le nourrisson en vitamine K en cas d’allaitement exclusif.

Demi-vie

→ La demi-vie des AVK est plus longue que celle des héparines (huit heures pour l’acénocoumarol, considéré comme un AVK à demi-vie courte, trente pour la fluindione et quarante en moyenne pour la warfarine).

→ Ainsi, l’action anticoagulante des AVK persiste plusieurs jours après l’arrêt du traitement, la vitesse de correction étant fonction des capacités de synthèse hépatique des facteurs de coagulation et de la demi-vie de l’AVK.

Contre-indications

→ Insuffisance hépatique sévère.

→  Grossesse. D’après le résumé des caractéristiques du produit, « chez la femme enceinte, la prescription d’AVK doit être exclusivement réservée au cas où l’héparine ne peut être utilisée ».

→ Allaitement (fluindione).

Principales interactions

→ Associations médicamenteuses contre-indiquées

Les AVK sont contre-indiqués :

→ avec l’aspirine aux doses anti-inflammatoires (≥ 1 g par prise et/ou ≥ 3 g par jour), ou, en cas d’antécédent d’ulcère gastro-duodénal aux doses antalgiques/antipyrétiques (≥ 500 mg par prise et/ou > 3 g par jour) en raison d’un risque majoré d’hémorragie par addition d’effets indésirables de même nature ;

→ avec le miconazole par voie générale ou même sous forme buccale (Daktarin, Loramyc) en raison d’une augmentation de l’effet anticoagulant par diminution du métabolisme hépatique de l’AVK par l’antifongique et aussi par déplacement de liaison à l’albumine ;

→ avec le millepertuis (même présenté en tisane) en raison d’un risque de diminution de l’efficacité de l’AVK et de thrombose, par augmentation de son métabolisme hépatique sous l’influence du millepertuis, qui est un puissant inducteur enzymatique.

Associations médicamenteuses déconseillées

Les AVK sont déconseillés :

→ avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), l’aspirine à dose antalgique (≥ 500 mg par prise et/ou > 3 g par jour) en l’absence d’antécédent d’ulcère, ou à dose anti-agrégante (50 à 375 mg par jour) en cas d’antécédent d’ulcère gastro-duodénal, en raison d’une majoration du risque hémorragique ;

→ avec certains anticancéreux (comme le fluorouracile) du fait d’une augmentation de l’effet de l’AVK et d’un risque hémorragique.

Interférences alimentaires

Certains aliments contiennent de la vitamine K et peuvent interférer avec l’effet des AVK.

Il s’agit principalement des choux, choux de Bruxelles, brocolis, épinards, asperges, de la laitue, du cresson et du chou-fleur, mais aussi de certains aliments fermentés comme la choucroute et le nato (soja fermenté) et des abats (foie de veau notamment). Si ces aliments ne sont pas interdits au patient sous AVK, ils doivent être consommés avec modération et répartis régulièrement dans l’alimentation afin d’éviter des apports massifs et brutaux en vitamine K.

Suivi de l’anticoagulation

→ Le suivi biologique des patients traités par AVK repose sur l’INR (intervalle cible : entre 2 et 3 dans la plupart des cas). Lors de l’instauration du traitement, des contrôles d’INR sont fréquemment pratiqués pour déterminer la dose d’AVK permettant d’atteindre à plusieurs reprises l’INR cible. Une fois le traitement stabilisé, l’INR est contrôlé au minimum une fois par mois.

→ Du fait des nombreuses interactions impliquant les AVK, dès qu’un autre médicament doit être débuté, modifié ou supprimé, l’INR doit être contrôlé trois jours après la modification du traitement et, si besoin, sur prescription médicale, la posologie de l’AVK adaptée en conséquence.

Les AOD

Exemples

À ce jour, trois AOD sont commercialisés en France : l’apixaban (Eliquis), le rivaroxaban (Xarelto) et le dabigatran étexilate (Pradaxa).

Pharmacodynamie

Mode d’action

→ À l’instar des héparines et du fondaparinux, les AOD agissent au niveau du sang et non pas au niveau du foie comme les AVK. Mais, à la différence des héparines, ils ne potentialisent pas l’effet de l’antithrombine : ce sont des inhibiteurs directs de certains facteurs de coagulation.

→ L’apixaban et le rivaroxaban (identifiés par leur dénomination commune internationale, DCI, se terminant par le suffixe -xaban) sont inhibiteurs directs et spécifiques et réversibles du facteur Xa.

→ Le dabigatran est quant à lui un inhibiteur direct compétitif et réversible de la thrombine, c’est-à-dire du facteur IIa.

Délai d’action

Contrairement aux AVK qui nécessitent deux à trois jours pour exercer pleinement leur effet, le délai d’action des AOD est court (quelques heures). Ils peuvent donc être utilisés dans des situations aiguës et ne nécessitent généralement pas d’instaurer une anticoagulation par héparine en attendant leur pleine efficacité.

Effets indésirables

→ Comme les autres anticoagulants, l’utilisation des AOD est associée à un risque hémorragique. Les surveillances nationale et internationale des AOD n’ont globalement pas mis en évidence un taux d’hémorragie supérieur à celui lié aux AVK. Après les avoir comparés à la warfarine (Coumadine) dans le traitement de la fibrillation auriculaire, les auteurs de trois études cliniques (RE-LY, Rocket et Aristotle) ont mis en évidence une réduction des accidents hémorragiques intra-crâniens avec les AOD, mais une augmentation du taux d’hémorragies digestives sous dabigatran. Plus récemment, deux études de pharmaco-épidémiologie en vie réelle, portant sur une utilisation courte (trois et quatre mois) des AOD, menées par la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), et dont les résultats ont été publiés en juillet 2014, n’ont pas montré non plus d’augmentation du risque hémorragique avec les AOD par rapport aux AVK. Mais, selon l’ANSM, ces études n’ont pas retrouvé de différences statistiquement significatives concernant les localisations digestives et cérébrales des effets indésirables hémorragiques selon le type d’anticoagulant, contrairement aux résultats des essais cliniques.

→ Les AOD peuvent également être responsables de troubles digestifs à type de nausées le plus fréquemment, ou de diarrhées (notamment sous dabigatran) et de douleurs abdominales.

→ Ils peuvent induire des troubles hématologiques à type notamment de diminution du taux d’hémoglobine et d’anémie.

→ Des atteintes hépatiques et des augmentations des transaminases sont aussi fréquemment observées, en particulier avec le rivaroxaban.

→ Le rivaroxaban expose en outre au risque fréquent de vertiges (en alerter les conducteurs d’engins ou de véhicules) et de céphalées.

→ Plus rarement, des cas d’éruptions cutanées et de prurit, d’angiœdème et d’hypersensibilité ont été rapportés.

Surveillance renforcée

Les AOD figurent sur la liste des médicaments à surveillance renforcée (liste disponible sur le site de l’ANSM et accessible au grand public) publiée tous les mois par l’EMA (agence européenne du médicament). Ce dispositif de surveillance par les autorités compétentes s’inscrit dans le cadre des nouvelles dispositions de 2012 relatives à la sécurité des médicaments.

Si tous les médicaments font certes l’objet d’une surveillance après l’octroi d’AMM, dans le cadre de la pharmacovigilance, certains (nouveaux ou dont l’inocuité à long terme doit être évaluée) sont surveillés plus étroitement que d’autres : c’est la surveillance renforcée. Ces médicaments sont identifiables par un triangle noir inversé sur la notice, accompagné de la mention « ce médicament fait l’objet d’une surveillance supplémentaire qui permettra l’identification rapide de nouvelles informations relatives à la sécurité » et qui invite les professionnels de santé et les patients à déclarer les effets indésirables.

Antidotes

Antidotes et autres moyens d’antagonisation non spécifiques

→ En cas d’administration récente de l’AOD, le charbon actif permet de limiter son absorption.

→ Le dabigatran, dont le taux de liaison aux protéines plasmatiques est relativement faible, est dialysable. L’hémodialyse n’a d’intérêt que pour le dabigatran.

→ Des agents hémostatiques non spécifiques sont proposés en cas d’hémorragie grave sous AOD : les concentrés de complexe prothrombinique non activé (CCP) ou activé (Feiba) ou du facteur VII activé recombinant (rFVIIa). Mais ils sont coûteux et leur efficacité n’est pas établie ; ils exposent en outre à un risque thrombotique (rFVIIa en particulier).

Antidotes spécifiques

→ L’idarucizumab (Praxbind), agent de réversion spécifique au dabigatran, est le premier antidote spécifique d’un AOD. L’idarucizumab se lie en effet au dabigatran et neutralise ses effets anticoagulants. Il bénéficie d’une ATU (autorisation temporaire d’utilisation) en cas de saignements menaçant le pronostic vital et/ou fonctionnel d’un organe et en cas d’urgence chirurgicale ne pouvant être différée de plus de huit heures et n’est disponible qu’à l’hôpital.

→  En revanche, à l’heure actuelle, il n’existe pas encore d’antidote spécifique aux xabans (AOD inactivant le facteur Xa). L’andexanet alfa est en cours d’étude : c’est le facteur Xa inactivé qui agirait comme un leurre pour l’apixaban et le rivaroxaban.

Particularités pharmacocinétiques

Des substrats de la P-gp

→ Les AOD sont des substrats de la glycoprotéine P (P-gp), une protéine d’efflux, qui empêche les médicaments d’entrer dans les entérocytes, mais augmentent leur élimination rénale.

→ Les AOD sont de ce fait impliqués dans certaines interactions médicamenteuses avec des médicaments inhibiteurs puissants de la P-gp, qui facilitent l’absorption digestive des AOD, augmentent leur biodisponibilité, et entravent aussi leur excrétion urinaire. Ces inhibiteurs de la P-gp (comme l’amiodarone, la quinidine ou le vérapamil) tendent ainsi à augmenter les concentrations plasmatiques d’AOD, exposant au risque de surdosage et d’hémorragie.

Une métabolisation par le CYP3A4

L’apixaban et le rivaroxaban sont fortement métabolisés par l’isoforme 3A4 des cytochromes P450 et sont donc sensibles aux interactions avec les médicaments qui empruntent également cette voie de métabolisation :

→ les médicaments inhibiteurs : antifongiques imidazolés ou inhibiteurs de protéase du VIH par exemple. Ils augmentent les concentrations plasmatiques de l’apixaban et du rivaroxaban et exposent au risque hémorragique ;

→ les inducteurs du CYP3A4 : rifampicine, certains anti-épileptiques, millepertuis… Ils diminent les concentrations plasmatiques de l’apixaban et du rivaroxaban et exposent au risque de thrombose.

Une élimination rénale

→ Les AOD étant éliminés par le rein (à différents degrés selon les molécules), leur cinétique varie en fonction de la fonction rénale du patient.

→ Le dabigatran, à élimination rénale majoritaire sous forme non métabolisée, est contre-indiqué en cas d’insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine inférieure à 30 mL/min). Les posologies d’apixaban et de rivaroxaban doivent être adaptées chez l’insuffisant rénal.

Chez la femme enceinte ou allaitante

Il existe peu de données cliniques concernant l’utilisation des AOD chez la femme enceinte ou allaitante. Mais les études menées chez l’animal ont mis en évidence une toxicité du rivaroxaban et du dabigatran sur la reproduction et un passage du rivaroxaban et de l’apixaban dans le lait maternel. Une grossesse doit être évitée chez une femme en âge de procréer traitée par AOD.

Demi-vie

→ La demi-vie plasmatique des AOD est comprise entre neuf et quinze heures.

→ Leur durée d’action est beaucoup plus courte que celle des AVK (plusieurs heures contre plusieurs jours avec les AVK).

Contre-indications

→ Insuffisance hépatique ou atteinte hépatique associée à une coagulopathie et à un risque de saignement cliniquement significatif.

→ Saignement évolutif, lésion ou maladie à risque de saignement majeur.

→ Insuffisance rénale (IR) sévère (dabigatran).

 Grossesse.

→ Allaitement.

→ Port de prothèses valvulaires cardiaques (le dabigatran, ayant fait l’objet d’évaluations dans cette indication, a montré un manque d’efficacité dans cette situation et un risque majoré d’hémorragie).

Principales interactions

Associations médicamenteuses contre-indiquées

→ Un traitement concomitant anticoagulant est contre-indiqué (sauf dans le cas de certains relais, lire la partie Savoir faire p. 40, ou en cas d’administration d’héparines non fractionnées (HNF) aux doses nécessaires au maintien de la perméabilité d’un cathéter veineux ou artériel).

→ Tous les AOD sont contre-indiqués avec l’aspirine aux doses anti-inflammatoires, ou, en cas d’antécédent d’ulcère gastro-duodénal, aux doses antalgiques/antipyrétiques en raison d’un risque majoré d’hémorragie par addition d’effets indésirables de même nature.

→ Plus spécifiquement, le dabigatran est contre-indiqué avec la ciclosporine (Néoral, Sandimmun), le tacrolimus (Advagraf, Prograf), l’itraconazole (Sporanox), en raison d’une majoration du risque hémorragique par doublement des concentrations plasmatiques de dabigatran.

Associations médicamenteuses déconseillées

→ L’association d’un AOD aux AINS, à l’aspirine à dose antalgique ou anti-agrégante (en cas d’antécédent d’ulcère gastro-duodénal), et au défibrotide, est déconseillée en raison d’une addition d’effets de type saignements.

→ Leur association aux anticonvulsivants inducteurs enzymatiques ou à la rifampicine, exposant au risque de diminution des concentrations plasmatiques d’AOD et de diminution de son effet, est également déconseillée.

→ L’association d’inhibiteurs puissants du CYP3A4 aux xabans est déconseillée (risque hémorragique du fait d’une augmentation des concentrations plasmatiques des xabans).

Suivi de l’anticoagulation

Avec les AOD, il n’existe pas de surveillance biologique de l’anticoagulation en routine. Il est à noter que l’absence de test de routine ne permet pas de contrôler l’observance du traitement.

UTILISATION DES AOD

Consommation

Décroissance des AVK

→ Selon l’ANSM, dans son état des lieux sur les anticoagulants publié en avril 2014, les ventes d’AVK, après avoir doublé de 2000 à 2011, ont commencé à chuter en 2013.

→ Cette décroissance paraît corrélée à l’arrivée des AOD (le dabigatran et le rivaroxaban ont obtenu une AMM européenne en 2008, l’apixaban en 2011).

Progression des AOD

→ D’après le rapport de l’ANSM, les ventes d’AOD ont progressé très rapidement depuis leur commercialisation en France en 2009, et plus particulièrement depuis 2011.

→ En effet, la vente des AOD est passée de 1 million de dose définie journalière en 2009 à 117 millions en 2013.

→ Cependant, cette augmentation s’est ralentie en avril 2013 pour se stabiliser en octobre 2013. « Cette tendance semble être le résultat des actions de sensibilisation », menées par la Haute Autorité de santé (HAS), l’ANSM et la Cnam auprès des médecins, selon l’ANSM.

→ Fin 2013, 30 % des anticoagulants oraux prescrits en France étaient des AOD.

→ « En trois ans, nous avons vu le nombre de nos patients traités par AVK diminuer par trois et nous voyons de plus en plus de prescriptions d’AOD, pour différentes raisons, dont la principale est la non-stabilisation de l’INR sur le long cours », indique Cécile Vouloir, infirmière en service de soins infirmiers à domicile à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).

Indications

Les AOD ont d’abord été indiqués dans la prévention des événements thrombo-emboliques veineux (TEV) après pose de prothèse totale de hanche ou de genou. Puis leurs indications ont été élargies :

→ à la prévention de l’accident vasculaire cérébral (AVC) et de l’embolie systémique (ES) dans la fibrillation auriculaire (FA) non valvulaire (en revanche, ces molécules n’ont pas démontré leur efficacité dans la FA liée à une pathologie valvulaire, ni dans la prévention des thromboses de valve) associée à des facteurs de risque (antécédent d’AVC, insuffisance cardiaque symptomatique, âge supérieur à 75 ans ou supérieur à 65 ans en présence de diabète, d’hypertension artérielle ou de coronaropathie) ;

→ au traitement de la thrombose veineuse profonde (TVP) et de l’embolie pulmonaire (EP) et à la prévention des récidives.

Le rivaroxaban au dosage 2,5 mg (non commercialisé en France à ce jour) a une autorisation d’indication dans la prévention des événements athérothrombotiques à la suite d’un syndrome coronarien aigu en association avec un traitement anti-agrégant plaquettaire.

Place des AOD dans la FA

→ « Les études menées par l’ANSM et la Cnam n’ont pas retrouvé de différences en termes d’efficacité : dans l’indication de fibrillation auriculaire chronique, il n’y a pas de différence en 90 jours de traitement, en termes de survenue d’AVC ischémique, entre AVK et AOD », précise Jean-Michel Race, directeur des médicaments en cardiologie à l’ANSM.

→ Selon la HAS, sur les trois AOD, celui qui a le mieux démontré son intérêt dans la FA par rapport à la warfarine est l’apixaban. Et le dabigatran pourrait être associé à une augmentation du risque de syndrome coronaire aigu et d’hémorragie digestive par rapport à la warfarine. Les données disponibles sur chacune des molécules a permis de différencier leur service médical rendu (SMR).

→ Le SMR reste important pour Eliquis et Xarelto, et modéré pour Pradaxa.

→ Concernant l’amélioration du SMR (ASMR), la Commission de transparence estime que, par rapport aux AVK, l’ASMR de l’apixaban est mineure et elle a conclu, début 2012, à l’absence d’amélioration (ASMR V) pour le rivaroxaban et le dabigatran.

→ Le 1er septembre 2015, le taux de remboursement du dabigatran est passé de 65 à 30 % du fait d’un service médical rendu jugé faible par la Commission de transparence (avis du 17 décembre 2014).

→ Pour la HAS, dans le traitement de la FA, « il n’existe aucun argument scientifique justifiant de remplacer un traitement par un antivitamine K efficace et bien toléré par un autre anticoagulant oral. Dans la plupart des cas, les AVK restent les anticoagulants oraux de référence. Les anticoagulants oraux non AVK sont une alternative ».

→ Leur prescription peut notamment s’envisager chez des patients dont l’INR n’est pas dans l’intervalle cible en dépit d’une observance correcte du traitement AVK, ou en cas de contre-indications ou de mauvaise tolérance à l’AVK, ou encore chez des patients qui acceptent mal les contraintes de l’INR.

Patient type

→ Les patients sous AOD sont légèrement plus jeunes que ceux traités par AVK (âge moyen respectivement de 71,3 ans contre 73,7 ans). Selon l’ANSM, ceci peut s’expliquer par le fait que le traitement AVK des patients stabilisés soit maintenu et donc poursuivi chez des sujets avançant en âge, tandis que les initiations de traitement anticoagulant par AOD peuvent concerner une population plus jeune, notamment dans la prévention de thrombose veineuse après chirurgie orthopédique.

→ Néanmoins, même si les patients sous AOD semblent plus jeunes, l’âge moyen reste relativement élevé et la proportion de sujets âgés de plus de 80 ans s’élève à 30,3 % pour les AOD. Les professionnels de santé doivent donc rester particulièrement vigilants tant en termes de prescription et de dispensation que d’administration et de surveillance de traitement, afin de prévenir au mieux les accidents iatrogènes hémorragiques, davantage susceptibles de survenir chez un patient âgé, polymédicamenté et à la fonction rénale altérée.

Bientôt un quatrième AOD en France

Dans les semaines à venir, un quatrième anticoagulant oral direct devrait être commercialisé en France, l’edoxaban (nom de marque Lixiana). Il sera indiqué :

→ en prévention de l’accident vasculaire cérébral (AVC) et de l’embolie systémique chez les patients atteints de fibrillation atriale non valvulaire et présentant un facteur de risque (comme un âge supérieur à 75 ans, un diabète, un antécédent d’AVC ou d’accident ischémique transitoire, une insuffisance cardiaque congestive, de l’hypertension artérielle) ;

→ dans le traitement de la thrombose veineuse profonde et celui de l’embolie pulmonaire et en prévention de leurs récidives.

Dans ces deux indications, l’edoxaban sera utilisé à la posologie de 60 mg en une prise par jour.

Facteurs de risque de saignements sous AOD

Les facteurs de risque de surdosage et d’accidents hémorragiques sous AOD sont :

→ l’insuffisance rénale ;

→ l’âge supérieur à 75 ans ;

→ un faible poids corporel (inférieur à 50 kg) ;

→ certaines comorbidités associées à un risque hémorragique élevé ;

→ certaines associations médicamenteuses : notamment avec des inhibiteurs de la glycoprotéine P (P-gp) et du CYP3A4 .

Point de vue

« La surveillance renforcée des AOD est une mesure de précaution »

Jean-Michel Race, direction des médicaments en cardiologie à l’ANSM

« L’infirmière libérale doit rassurer le patient. Il lui faut expliquer que si les AOD font l’objet d’une surveillance renforcée, c’est parce que ce sont des médicaments d’introduction encore récente pour lesquels on manque encore de recul sur le long terme, pas à cause d’une dangerosité particulière qui aurait été signalée. Dans le cas des AOD, la surveillance renforcée est une mesure de précaution qui a pour but de mieux surveiller ces médicaments, dont on ne connaît peut-être pas la totalité des effets secondaires, contrairement à des médicaments plus anciens pour lesquels le profil de sécurité est mieux connu. La surveillance renforcée des AOD n’est pas vouée à perdurer : ces molécules pourront sortir de la liste, dès que la connaissance de leur profil de sécurité - y compris en ce qui concerne des effets indésirables rares - apparaîtra consolidée. »

Point de vue

« Il est inadmissible de ne pas contrôler la fonction rénale »

Pr Ludovic Drouet, responsable du Centre de référence et d’éducation des antithrombotiques d’Île-de-France

« Si on respecte les indications, c’est-à-dire les pathologies pour lesquelles l’efficacité des AOD est démontrée comme, notamment, la fibrillation auriculaire non valvulaire et la thrombose veineuse profonde (en dehors des thromboses veineuses liées au syndrome des phospholipides ou à une tumeur), et si on respecte les contre-indications, et principalement celles liées à la fonction rénale, l’efficacité des AOD est comparable, voire supérieure, à celle des AVK et le risque hémorragique est du même ordre, voire inférieur. Les accidents surviennent en cas de non-vérification de l’état rénal, ce qui est inadmissible. »

Point de vue

« Les chiffres d’hospitalisation et de décès liés aux AOD seront connus en 2017 »

Jean-Michel Race, direction des médicaments en cardiologie à l’ANSM

« Au vu des dernières études menées en vie réelle, on peut dire que les risques hémorragiques et thrombotiques liés aux AOD sont comparables à ceux sous AVK, sous réserve des résultats d’études menées sur le long terme, qui paraîtront dans le courant de l’année 2017. Ces résultats porteront sur la sécurité, l’efficacité, les effets indésirables et éventuellement l’observance des AOD. Les chiffres d’hospitalisation et de décès liés aux AOD seront également publiés. Mais, avec les résultats dont on dispose aujourd’hui, rien ne permet d’affirmer qu’une des classes d’anticoagulants oraux possède une balance bénéfice/risque plus favorable au regard du risque hémorragique. Il n’y a pas de différence significative en termes d’efficacité ou de complication hémorragique dans les indications communes aux AOD et aux AVK. »

Point de vue

« Les prescriptions d’AOD ne cessent d’augmenter »

Dr Stéphane Tchikirian, pharmacien d’officine à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine)

« Nous recevons de plus en plus d’ordonnances d’AOD. Cela est sans doute dû non seulement au fait qu’ils soient pour les patients moins contraignants en termes de suivi, puisqu’il n’ y a pas d’INR à contrôler tous les mois comme avec les AVK, et qu’ils ne présentent pas d’interférences avec l’alimentation, mais aussi bien sûr aux différentes extensions d’indications d’AMM obtenues depuis leur mise sur le marché. Et puis, peut-être aussi que la mise à disposition récente d’un antidote pour le dabigatran permet aux médecins de le prescrire avec moins de réticence, même si, pour l’instant, on manque de recul sur l’idarucizumab. »

Point de vue

« Chez une personne âgée, il faut s’assurer que la fonction rénale reste stable »

Dr Rachid Mahamdia, gériatre, praticien hospitalier, groupe hospitalier Sainte-Périne, AP-HP

« À ce jour, il existe des données non négligeables sur l’évaluation à la fois de l’efficacité et de la sécurité des AOD chez les personnes âgées. La HAS préconise cependant l’usage des AOD en deuxième intention après les AVK. En tant que gériatre, avant d’initier un traitement par AOD chez une personne âgée, je fais attention à l’âge supérieur à 80 ans, au poids et à la fonction rénale du patient qui est primordiale. Il faut recontrôler la fonction rénale tous les trois mois pour s’assurer qu’elle reste stable et la clairance supérieure à 30 mL/min. Il est important aussi de s’assurer de l’absence de certaines associations médicamenteuses comme certains antifongiques par voie systémique. »

Je cote à la nomenclature

→ Surveillance et observation d’un patient lors de la mise en œuvre d’un traitement ou de la modificationde celui-ci, sauf pour les patients diabétiques insulino-dépendants, avec établissement d’une fiche de surveillance, avec un maximum de quinze jours, par jour : AMI1

→ Séance de surveillance clinique infirmière et de prévention

Cet acte comporte :

- le contrôle des principaux paramètres servant à la prévention et à la surveillance de l’état de santé du patient ;

- la vérification de l’observance du traitement et de sa planification ;

- le contrôle des conditions de confort et de sécurité du patient ;

- le contrôle de l’adaptation du programme éventuel d’aide personnalisée ;

- la tenue de la fiche de surveillance et la transmission des informations au médecin traitant ;

- la tenue de la fiche de liaison et la transmission des informations à l’entourage ou à la tierce personne qui s’y substitue.

Séance hebdomadaire d’une demi- heure : AIS 4 (fait l’objet d’une DSI).

→ Séance hebdomadaire de surveillance clinique et de prévention, d’une durée d’une demi-heure, pour un patient insulinotraité de plus de 75 ans : AMI4