À l’approche de la trentaine, Jean-Baptiste Bargues a décidé de profiter de la vie. Entre passion de la photo et conduite sportive, il entretient son énergie au profit de ses collègues et de ses patients. En juillet 2015, il a embarqué l’un d’eux pour un rallye automobile sur route.
Rendez-vous devant la gare de Brive-la-Gaillarde, j’arriverai en Mini », indique Jean-Baptiste Bargues au téléphone. À l’heure dite, il surgit à l’angle de la rue, au volant de son bolide : carrosserie aux lignes sportives, moteur 1.6 turbo, 218 chevaux sous le capot, etc. Vraiment étonnant, ce rendez-vous infirmier au cœur du Limousin. « L’an dernier, à peu près à la même époque, début juillet, on faisait la une de La Montagne, le journal local », informe l’homme, tout sourire, visage rond, pas très grand, surnommé “le p’tit JB” par ses collègues – « l’assise basse ne me pose pas de problème », s’amuse-t-il.
À bord de la Mini, un coupé deux places, bien calé dans son siège en cuir tout confort, au ras de l’asphalte, dans l’esprit kart, l’infirmier s’insère dans le trafic urbain, direction le quartier Nord. Il stoppe devant l’un des nombreux cabinets de la ville. « Le chef-lieu de la Corrèze est Tulle, à trente minutes d’ici, mais Brive-la-Gaillarde est plus peuplée, tandis qu’alentour c’est très rural. La population du Limousin est la plus âgée de France et la deuxième d’Europe », commente Jean-Baptiste, venu s’y installer en 2012. « J’ai étudié ici à l’Ifsi. C’est le plus proche de Saint-Céré, dans le Lot, dont je suis originaire », précise-t-il. Son orientation, il la doit à son épouse. « Aujourd’hui, elle est infirmière “psy” à domicile. De cinq ans mon aînée, elle était en Ifsi avant moi, mais en région parisienne. Si je n’avais pas travaillé dans la santé, je serais devenu prof de biologie. » Le libéral est arrivé deux ans après son diplôme, plus tôt qu’il ne l’avait envisagé. « J’étais dans un service de réanimation. J’avais décidé d’acquérir cinq ans d’expérience avant de me lancer. Seulement, les relations avec ma cadre ont coupé court au programme », confie-t-il. Toutefois, dès le départ, c’était son projet, de « tout gérer de A à Z, du soin à la relation avec la famille et le médecin, et l’aspect administratif ». C’est ce qu’il a fait et le résultat se trouve derrière la vitrine personnalisée : un cabinet flambant neuf, le “bureau” comme il l’appelle.
« Au cabinet, aujourd’hui, on est quatre, deux femmes et deux hommes : Lucie, Élodie, un deuxième Jean-Baptiste et moi-même », présente Jean-Baptiste. Il y a un an, ils ont décidé de se fédérer autour d’un projet, une façon de partager plus que des patients. En 2014, ils étaient devenus propriétaires des murs de leur cabinet – « on louait notre ancien local et il fallu attendre deux ans pour que le propriétaire se décide à installer l’eau chaude… ». Cette fois, ils ont réfléchi ensemble à comment organiser l’espace en fonction de leurs besoins. « On a tout refait nous-mêmes, ça rapproche. » Le quatuor s’est installé dans les 48 m2 en novembre dernier, après avoir installé une salle d’attente-bureau, « comme à la maison », une petite salle de soin, un espace d’archives, une salle de bain et même un espace douche. « L’année prochaine, on installera la clim’ », annonce-t-il, l’œil rivé sur les vingt-sept degrés affichés au thermomètre. Les associés, tous la trentaine, couvrent l’agglomération briviste en binômes, chacun sur un secteur. « On tourne de 7 à 13 heures et de 15 h 30 à 20 heures. On réalise trente-cinq à quarante passages par tournée, et le tout une semaine sur deux, du lundi au dimanche. C’est un compromis pour préserver le bien-vivre et un cabinet qui tienne la route. Brive reste une ville de province où il fait bon vivre, pas trop chère et centrale, à environ deux heures de Bordeaux et Toulouse et quatre heures de Paris. »
L’équipe entend bien développer sa complémentarité. « Élodie possède un DU douleur qu’elle utilisait au quotidien jusque-là, en secteur hospitalier, Lucie a le projet de suivre un DU en diabétologie, “l’autre” Jean-Baptiste est infirmier sapeur-pompier volontaire et son DU urgence est en cours, et moi, j’ai suivi un DU plaies et cicatrisation l’an dernier », énumère le soignant. Pour le reste, les diverses tâches se répartissent entre les uns et les autres : gestion de la société civile de moyens, bureautique, gestion des fournitures, informatique…
2014, une année charnière à bien des égards pour Jean-Baptiste. Sa vie professionnelle est lancée. La construction de sa maison à 10 kilomètres de la ville démarre. Il est père d’une petite fille de 4 ans. De temps en temps, il joue un poker avec les copains… Seulement, l’un d’entre eux décède brutalement. « Je me suis vu à sa place. Profiter de la vie est devenu une urgence », confie l’infirmier. Et d’ajouter : « Nous avons un métier dur, la course automobile est devenue mon exutoire. »
La Mini GP2 équipée pour la course a remplacé le spacieux Qashqai. « Même si nous avons un remplaçant qui prend le relais au cabinet pendant nos vacances et nos formations, j’ai arrêté le sport en raison des risques de blessure. Jusque-là, je jouais au rugby et pratiquais le judo, deux des sports parmi les plus accidentogènes. D’ailleurs, Jean-Baptiste, mon collègue, revient tout juste de trois semaines d’arrêt maladie : mauvais coup au football lors d’une garde chez les pompiers. »
« Depuis toujours, ajoute Jean-Baptiste, je suis passionné de photo. Mon oncle m’a transmis le virus et il y avait un laboratoire de photographie argentique au lycée. Un copain qui faisait de la piste automobile m’a proposé de couvrir un week-end de rencontre organisé par l’association Gentlemen drivers
À Brive-la-Gaillarde, c’est une autre affaire. « Quand je pars en tournée à six heures du matin, les gendarmes pensent voir un jeune qui sort de boîte. Je me fais souvent arrêter pour un contrôle, sans suite », raconte le pilote. À l’inverse, chez les patients, « je compte quatre ou cinq fans, dont Antoine – son père était carrossier –, mon patient depuis 2014 », raconte le soignant. Parler mécanique « change les idées. Avec la maladie chronique, le patient et le soignant deviennent comme un vieux couple ». Cela donne aussi des idées : « Tony – c’est comme ça que tout le monde appelle Antoine – me parlait sans arrêt d’une course à une heure d’ici, la montée historique de Saint-Bonnet-Elvert
À part un coup de pouce de BMW, les sponsors ne se sont pas bousculés autour de l’équipage composé de Jean-Baptiste et de son patient paraplégique. « Un garagiste a parfaitement adapté l’assise de Tony. Le caler au niveau des genoux, bricoler une ceinture de sécurité… », explique Jean-Baptiste avec son regard de soignant. Le Jour J, sur le pont, il y avait « sa sœur et sa nièce, ma femme, mon père, un ami à la photo et Jean-Baptiste à l’assistance sanitaire… ». Le 4 juillet, l’an dernier, parmi les quatre-vingt autres véhicules, voilà nos deux coureurs automobiles, casques sur la tête, en manches longues. « Au démarrage, j’avais l’impression d’être dans un Boeing », se régale encore le co-pilote. Il en reste quarante-et-une minutes en CD, réalisé par l’infirmier, un mix entre des images de la caméra embarquée, fixée en alternance à l’intérieur et sur le pare-choc, et des photos. Tony le visionne sur son écran grand format au pied de son lit médicalisé et, même les mauvais jours, cela éclaire son visage. Une expérience inoubliable pour l’un comme pour l’autre, car, ce qu’apprécie Jean-Baptiste par-dessus tout dans ce métier, c’est qu’« on n’est pas dans un rôle, on peut être authentique ».