L'infirmière Libérale Magazine n° 330 du 01/11/2016

 

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Monique Chahmirian-Belrose  

INTERVIEW > Une altération du microbiote intestinal (MI) favoriserait des maladies auto-immunes, métaboliques et peut-être même certaines affections psychiatriques. Explications du Pr Philippe Seksik, gastro-entérologue à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP) et chercheur à l’Inserm.

L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE : Quelle est la situation actuelle de la transplantation de microbiote fécal (TMF) ?

PHILIPPE SEKSIK : La TMF consiste à introduire les selles d’un donneur sain dans le tube digestif d’un patient receveur afin de reconstituer une nouvelle flore intestinale. Elle est indiquée notamment par la société savante européenne des maladies infectieuses dans le traitement des infections récidivantes à Clostridium difficile (IRCD), première cause de diarrhées infectieuses nosocomiales de l’adulte, avec une efficacité de plus de 90 %. Alors qu’aux Pays-Bas, la première banque de selles congelées vient d’être créée afin de faciliter les TMF, en France, la congélation des selles est à l’étude. Des gélules composées de matière fécale congelée ont été proposées pour une TMF simplifiée par voie orale. Au-delà de l’IRCD, différents essais cliniques ont démontré que cette pratique pourrait avoir une action préventive ou curative dans certaines maladies métaboliques comme l’obésité, le diabète, dans le cancer colorectal et des désordres neuropsychiatriques tels que l’autisme, la dépression.

L’ILM : En quoi la TMF pourrait-elle traiter un désordre neuropsychique ?

P.S. : Les recherches font apparaître une possible implication de la flore intestinale sur la fonction cérébrale. L’une des voies qui connecte le tube digestif au cerveau est le système sanguin via la perméabilité des parois intestinales. Des études démontrent que certaines pathologies neuro-psychiques seraient liées à l’anomalie de cette perméabilité. Étant donné que la protection de la muqueuse intestinale est une des fonctions du microbiote, sa perturbation permettrait à certaines molécules du tube digestif de circuler dans le sang, provoquant le dysfonctionnement de différents organes, dont le cerveau. Dans ce cas, le microbiote dysfonctionnel entraînerait un défaut de stimulation du nerf vague, qui relie le cerveau à l’intestin. La TMF pourrait alors corriger cette stimulation par l’apport de MI fonctionnel.

L’ILM : Quel rôle l’Idel peut-elle jouer ?

P.S. : En 2014, afin d’encadrer cette pratique et minimiser les risques associés lors d’essais thérapeutiques, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a considéré la TMF comme un médicament dans la mesure où elle est utilisée à visée curative à l’égard de maladies humaines. Dans ce cadre, les enjeux de l’Idel sont non seulement d’inciter les patients porteurs d’IRCD à consulter un gastro-entérologue ou un infectiologue pour accéder à cette pratique, mais aussi de les informer des risques de transmission d’agents infectieux si la TMF n’est pas réalisée en centre hospitalier de manière encadrée selon les recommandations du Groupe français de transplantation fécale. À ce jour, aucun effet indésirable grave à court terme n’a été rapporté.

L’ILM : Comment se déroule une TMF ?

P.S. : Elle se déroule strictement à l’hôpital. Après un questionnaire et un bilan de dépistage, le donneur est sélectionné selon certains critères afin d’éviter toute transmission de pathologies infectieuses. Il transmet ses selles généralement le jour de la TMF. Le don est gratuit, anonyme ou dirigé (parent proche). Les selles recueillies sont mixées avec du sérum physiologique, filtrées puis administrées par une IDE au patient éveillé à l’aide de seringue de 60 ml soit par voie haute à l’aide d’une sonde naso-duodénale du nez vers l’estomac, soit par voie trans-anale lors d’un lavement ou d’une coloscopie. La greffe, dont la durée est de trente minutes, permet d’éradiquer l’agent pathogène de patients souffrant d’IRCD, invalidés par une diarrhée chronique.

L’ILM : Quel est l’avenir de cette thérapeutique ?

P.S. : Une meilleure connaissance de l’écosystème permettra de développer des alternatives à la transplantation fécale. Certains micro-organismes du MI pourraient être administrés de manière ciblée en fonction des dysbioses (déséquilibres du MI) observées dans plusieurs pathologies, en transportant via l’intestin les métabolites produits par certaines bactéries bénéfiques. Cette voie très prometteuse permettrait de développer la production de médicaments dérivés de bactéries intestinales.