Numérique LE “BIG DATA” EN SANTÉ, DES DONNÉES TROP LIBRES ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 330 du 01/11/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 330 du 01/11/2016

 

Le débat

Sandra Mignot  

De plus en plus de services génèrent des données personnelles numériques relatives à la santé. Alors que la confidentialité des données produites par le système sanitaire et les professionnels du soin est légalement garantie, faut-il également protéger les citoyens contre la libre circulation de ces data ?

Muriel Londres et Claude Chaumeil

Respectivement coordinatrice et l’un des administrateurs du collectif (Im) patients, chroniques et associés

La confidentialité des données de santé est-elle menacée, notamment avec la création de produits d’assurance “au comportement”?(1) ?

Il faudrait d’abord redéfinir ce que sont les données de santé. Beaucoup d’objets connectés collectent des données qui sont plutôt qualifiés comme relevant du bien-être (volume d’exercice physique, alimentation, qualité du sommeil, etc.). Or, selon l’OMS, la santé, c’est l’état de bien-être. Et qui peut dire quelle utilisation de ces données sera faite dans le futur ? Les prestataires collectant des données de santé doivent avoir des hébergeurs agréés et protégées, mais qu’en est-il des autres ? Imaginons que, demain, une réelle assurance au comportement soit autorisée en France, que feront les assureurs avec les données collectées au préalable grâce à des programmes incitatifs ? Le vrai danger avec de tels produits, c’est de sortir de la mutualisation.

Les Français sont-ils suffisamment informés des enjeux liés à la gestion de leurs données ?

Même les associations n’en sont pas suffisamment conscientes. Les gens voient l’aspect ludique des applications connectées. S’ils trouvent une valeur d’usage à ces services (dont l’impact sur la santé n’est pas démontré), ils les achètent. Ils disent souvent qu’ils n’ont rien à cacher, mais si on les informe de la finalité réelle et de la façon dont leurs données peuvent être utilisées, ils se montrent plus craintifs.

Comment se préparer à cette gestion sur le plan individuel ?

Nous avons, en tant que collectif, un travail à faire. Il y a une réflexion interassociative sur le sujet. Le Collectif interassociatif sur la santé a ainsi publié ses positions pour une e-santé qui respecte les priorités du patient(2). Mais il faudra aussi passer par la voie législative. Par exemple pour qu’à la souscription de tout service connecté, une information claire soit donnée à l’utilisateur sur les données collectées, leur usage, les partenaires avec lesquels elles seront partagées, un éventuel droit de rétractation, etc. Les patients ont à gagner avec le développement de la e-santé, c’est pourquoi nos associations s’engagent dans ces innovations. Mais ils doivent garder la maîtrise de leurs données, savoir quand et pour quoi elles sont utilisées. Et être informés des résultats de leur exploitation.

Jérome Béranger

Chercheur associé à l’Inserm / Université Paul-Sabatier de Toulouse (Haute-Garonne), co-fondateur du label éthique Adel

La confidentialité des données de santé est-elle menacée, notamment avec la création de produits d’assurance “au comportement” ?

L’émergence du Big Data a remis en cause le principe même de confidentialité.

Demain, tout sera numérisable et numérisé. Le numérique pose des questions quant à la protection des données personnelles, et sur une éventuelle “sur-mathématisation” du monde, c’est-à-dire le nombre de plus en plus grand des décisions prises par des machines. Les assureurs ne sont d’ailleurs pas seuls à collecter des données sur le comportement de leurs clients : banques, commerces, institutions font de même via les applications de nos smartphones, nos connexions Internet, nos achats, etc. Il ne faudrait donc pas élaborer un cadre restrictif pour les assurances ou les banques et laisser le champ libre aux autres acteurs. Ce qui met à mal la confidentialité, c’est la multiplicité des sources et acteurs produisant ces données, et leurs croisements.

Les Français sont-ils suffisamment informés des enjeux liés à la gestion de leurs données ?

Cela reste insuffisant mais, depuis quelques années, j’observe une progression. Il y a sept ans, les réflexions concernaient seulement l’aspect technique ; désormais, les questions éthiques sont de plus en plus souvent exposées. Selon certaines études, 81 % des Français se disent préoccupés par la protection de leurs données personnelles(3), et 91 % préféreraient stocker leurs données chez eux et non en ligne(4).

Comment se préparer à cette gestion sur le plan individuel ?

Le bon usage et la protection de ces données passent par une réflexion éthique menée par les pouvoirs publics sur des procédures de contrôle et d’encadrement, afin de préserver la confidentialité et la confiance envers les producteurs et fournisseurs d’information. Les données numériques, c’est un peu comme la révolution industrielle qui a généré de la pollution, des maladies… Il faut sensibiliser aux conséquences à tous les niveaux de la société. Pour ma part, j’ai co-fondé Adel(5) autour du traitement des données numériques en santé. Notre comité scientifique va rédiger, d’une part, une fiche destinée au citoyen, sur les enjeux et les risques autour de l’usage des données numériques de santé à caractère personnel et, d’autre part, un livre blanc pour les acteurs du numérique.

(1) En 2017, Generali proposera aux entreprises un contrat santé/prévoyance qui récompensera les salariés aux comportements jugés vertueux en matière d’alimentation, sommeil, tabac, activité sportive (cf. l’interview d’un responsable de l’assureur via bit.ly/2f6V0KX).

(2) “Pour un patient acteur de la qualité de son parcours de santé. Le numérique en santé”, www.leciss.org/esante-conseilsciss

(3) “Les Français & la protection des données personnelles”, CSA pour Orange, 2014.

(4) “Les Français et le stockage de données numériques”, OpinionWay pour Lima, 2015.

(5) Pour Algorithm Data Ethics Label, www.adel-label.com