« Accès partiel », opposition totale - L'Infirmière Libérale Magazine n° 331 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 331 du 01/12/2016

 

PROFESSIONS

Actualité

Aveline Marques  

DIRECTIVE EUROPÉENNE > Le Haut Conseil des professions paramédicales a voté contre le projet d’ordonnance introduisant un accès « partiel » aux professions de santé réglementées. Pour l’Ordre infirmier, le texte ne devrait en aucun cas s’appliquer à la profession infirmière.

Y aura-t-il des demi-infirmières bientôt en France ? C’est en tout cas ce que permet le projet d’ordonnance soumis le 27 octobre par le ministère de la Santé à l’avis consultatif du Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP). Le texte transpose la directive européenne 2013/55/UE visant à faciliter la circulation des professionnels au sein de l’Union européenne, via une carte professionnelle européenne, un mécanisme d’alerte imposant aux États « de communiquer à l’ensemble des autres États membres l’identité des professionnels dont l’exercice a été restreint ou interdit » et enfin « l’accès partiel », qui rend possible, sous conditions(1), « l’exercice d’une partie seulement des activités relevant d’une profession réglementée ». « Une professionnelle qui serait dénommée infirmière dans son pays pourrait venir exercer en France comme infirmière alors même qu’elle n’aurait pas été formée et n’aurait donc aucune compétence pour réaliser certains des actes infirmiers reconnus en France dans le cadre réglementaire de compétences », résume l’Ordre national des infirmiers (ONI) dans un communiqué de presse daté du 25 octobre(2).

Risque de dumping social

Le projet d’ordonnance a suscité l’opposition des organisations membres du HCPP. Après avoir obtenu un report de son examen fin septembre, le HCPP a voté contre le texte à une quasi-unanimité (23 contre, une abstention) au terme de deux heures de « questions à charge » et de « non-réponses » du ministère, rapporte Olivier Drigny, vice-président de l’ONI.

« Pour tous les représentants, l’ordonnance va désorganiser le système de santé français et introduire des soins low cost. Là où il manquera des infirmières ou des kinés, on aura recours à des professionnels en exercice partiel. Il y aura deux niveaux de qualité de prise en charge », redoute Olivier Drigny. Bien que l’ordonnance imposera aux soignants européens d’informer les patients des actes qu’ils sont habilités à pratiquer, pour l’ONI, cela rendra l’offre de soins à la fois opaque et incompréhensible. « Dans une équipe qui tourne en trois huit, avec le turn-over que l’on connaît, comment faire la différence entre une infirmière en exercice partiel et une infirmière en exercice total ? », relève le vice-président, qui craint les glissements de tâches. Les syndicats membres du HCPP ont également souligné le risque de dumping social induit par l’arrivée de moins qualifiés, donc moins payés.

Des professionnels inégaux

Pour l’ONI, l’exercice partiel ne devrait en aucun cas s’appliquer à la profession infirmière, « l’une des rares à bénéficier de la reconnaissance automatique ». À la demande de la Commission européenne, les États membres se sont en effet efforcés ces dernières années d’harmoniser la formation en soins infirmiers au sein de l’Union européenne. Pour se conformer au socle commun qui a été défini, la Belgique a récemment allongé d’un an la formation infirmière. « Le ministère a reconnu qu’aucun des quatorze pays de l’Union européenne qui avaient déjà transposé la directive n’avait pas inclus les infirmières », souligne Olivier Drigny. Pour ce dernier, si une soignante n’a pas les qualifications requises pour exercer en tant qu’infirmière, elle peut exercer en tant qu’aide-soignante. « Et si elle a un niveau intermédiaire, il peut y avoir un complément de formation. »

Le ministère a précisé que d’autres textes réglementaires viendraient encadrer le dispositif et a rappelé que les autorisations d’exercice seront données au cas par cas. À charge pour les ordres professionnels de tenir un tableau particulier, mentionnant les actes que le soignant sera habilité à pratiquer. « Il y aura autant de profils que d’inscrits », prédit le vice-président de l’ONI. Et de nombreuses inégalités en perspective.

(1) Avoir un titre professionnel légalement reconnu pour l’exercice de la profession dans son pays d’origine ou bien justifier d’un temps d’exercice donné.

(2) Lien internet raccourci : bit.ly/2gfKvSP

Un refus également syndical

« Nous refusons que des auxiliaires de vie des pays de l’Est puissent faire un exercice partiel de la profession infirmière en France », tance le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI, CFE-CGC). Précisant : « Nous refusons de voir arriver des métiers intermédiaires entre aide-soignant et infirmière, type auxiliaire en plaies et cicatrisation ou assistant de soins en diabétologie, qui ne reposeraient sur aucune formation française. » « Une déqualification rampante de la profession d’infirmier anesthésiste est en marche si cette ordonnance voit le jour sous cette forme », estime quant à lui le Syndicat national des infirmiers anesthésistes. L’exercice partiel faisait partie des mots d’ordre de la mobilisation du 8 novembre, notamment, pour les Idels, du côté du Sniil et de la FNI.