Allergies, coups de chaleur, infections, problèmes respiratoires, stress thermique… : même si certaines données manquent encore, les preuves des effets du changement climatique sur la santé humaine s’accumulent. Rendant indispensable la prévention, au cœur du métier des Idels.
La santé a vraiment été la grande oubliée de la Conférence des parties (COP) 21 qui s’est tenue à Paris fin 2015 tout comme de la COP 22 qui vient de se dérouler en novembre à Marrakech au Maroc. Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le changement climatique pourrait entraîner à partir de 2030 près de 250 000 décès supplémentaires par an imputables au paludisme, aux maladies diarrhéiques, au stress thermique et à la dénutrition. Les populations les plus exposées sont les plus vulnérables, à savoir celles qui vivent dans des petits États insulaires, dans des pays en développement qui n’ont pas de bonnes infrastructures de santé. Les enfants, les femmes et les personnes âgées seront aussi les premiers touchés.
Un tableau vraiment sombre, même si la science impose la prudence. « Les effets du changement climatique sur la santé humaine sont avérés, mais nous manquons encore de données car les séries qui mettent en parallèle la santé et les variables du climat sont rares », précise Isabella Annesi-Maesano, docteur et directeur de recherche à l’Inserm, université Pierre-et-Marie-Curie, directeur de l’équipe Epar (Épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires). Si un vent d’optimisme soufflait sur la question climatique depuis l’entrée en vigueur le 4 novembre de l’Accord de Paris, onze mois seulement depuis l’adoption du texte quand il a fallu huit ans au protocole de Kyoto, l’élection de Donald Trump aux États-Unis a créé un froid sur les discussions en cours à Marrakech. La dynamique semble tout de même irréversible et beaucoup espèrent que la force des initiatives de la société civile, tout comme l’engagement des entreprises privées et des collectivités territoriales, constitueront un rempart à l’immobilisme sur ce sujet. Petit tour d’horizon des effets en cours et des actions possibles dans le secteur de la santé.
Selon Météo France, on constate depuis 1850 une tendance claire au réchauffement, et même son accélération. La température moyenne de la Terre a augmenté de 0,85 °C entre 1880 et 2012. En France, les canicules ont été deux fois plus nombreuses entre 1985 et 2015 qu’entre 1947 et 1979. Et on estime que les épisodes caniculaires pourraient devenir habituels dès la moitié du XXIe siècle puisque, après 2050, la température serait au moins égale à celle de 2003 environ un été sur deux… N’en déplaise aux “climatosceptiques” (qui mettent en doute l’influence des activités humaines sur le climat, voire, pour les plus durs, le réchauffement climatique lui-même), l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur est bien à l’ordre du jour. Et ce, avec un impact direct sur la santé. « Le changement climatique aggrave les risques sanitaires déjà présents, souligne Mathilde Pascal, épidémiologiste et chargée du programme Santé et environnement à Santé publique France. Il est important de rappeler que les canicules de 2003 puis de 2006 et 2015 ont causé respectivement 15 000, 2 000 et 3 300 décès supplémentaires en quelques jours en France. Il faut y ajouter le phénomène des îlots de chaleur urbains qui peuvent augmenter la température locale de plusieurs degrés au cœur des zones urbanisées où se concentrent une activité humaine intense et un environnement absorbant la chaleur. L’adaptation à la chaleur est une nécessité. De nombreux efforts sont faits dans ce domaine, notamment avec la mise en place du Plan canicule. » Depuis 2004, ce Plan comporte quatre niveaux d’alerte. Il est activé du 1er juin au 31 août afin de définir les actions à mettre en œuvre sur les plans local et national pour prévenir et limiter les effets sanitaires. Rappelons que la canicule se définit comme un niveau de très fortes chaleurs le jour et la nuit pendant au moins trois jours consécutifs.
« Les professionnels de santé ont une place et un rôle à jouer dans la prévention et l’adaptation à la chaleur, poursuit Mathilde Pascal. Il y a beaucoup de conseils et de pédagogie sur le sujet et une bonne partie de la population les suit. Mais très peu de personnes se considèrent à risque et les gestes à adopter ne sont pas encore des réflexes. » L’INPES (intégré depuis à l’agence Santé publique France) a d’ailleurs édité en mars 2015 un document sur les fortes chaleurs destiné aux professionnels de santé
En parallèle, les vagues de chaleur plus fréquentes peuvent être associées à une augmentation de l’exposition au rayonnement ultraviolet (UV). Avec, à la clé, pour les personnes exposées (volontairement ou non), un vieillissement prématuré de la peau et le développement des mélanomes ou des cancers de la peau. Bien que réel, l’impact du changement climatique sur l’incidence de ces maladies est difficile à quantifier, d’autant que les UV ont aussi des effets bénéfiques sur la santé, notamment en permettant la synthèse de la vitamine D.
« D’une certaine manière, nous subissons déjà les effets du changement climatique, estime Jean-François Bouscarain. Lors des intempéries, il nous faut adapter notre pratique professionnelle au quotidien. » Selon les experts, le réchauffement climatique favorise la survenue et l’intensité d’événements climatiques et météorologiques extrêmes, comme les inondations, les tempêtes ou même certaines intempéries. Des phénomènes qui entraînent des dégâts matériels mais pas seulement. « Les inondations ont un impact sanitaire direct avec les décès, par noyades ou crises cardiaques, et les blessés, rappelle Mathilde Pascale. Mais il ne faut pas oublier l’impact sur le plus long terme avec les troubles anxieux et le stress post-traumatique. » En février 2010, la tempête Xynthia a provoqué la mort de 47 personnes et en octobre 2015 vingt personnes ont perdu la vie dans les violentes inondations des Alpes-Maritimes. Pour Pierre Souvet, cardiologue à Vitrolles (Bouches-du-Rhône) et président de l’association Santé environnement France, « le stress entraîne trois fois plus de risques de maladies cardiovasculaires, il est donc important d’identifier et de suivre les personnes fragilisées par ces événements et les personnes en situation de précarité ». Au-delà de ces effets, les événements extrêmes ont des conséquences sur les infections. « Une augmentation de la température de la surface de l’eau de l’ordre de 0,4 à 0,5 °C entraîne un développement des formes bactériennes ou virales dans les zones côtières, précise le professeur Jean-François Guégan, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement, à Montpellier (Hérault). Les “épisodes cévenols” [baptisés ainsi à l’origine car typiques de la région], à savoir des pluies brèves mais très intenses, déversent de l’eau douce dans un système d’eau saumâtre, créant un nouvel environnement favorable à la pullulation et la prolifération des bactéries. Certaines d’entre elles entrent dans la chaîne alimentaire via les coquillages, comme les huîtres, les palourdes ou les moules, qui seront consommés par les populations en occasionnant des gastro-entérites. » Pris très au sérieux, le phénomène est observé grâce à des stations de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) installées sur tout le littoral. « Le changement climatique s’exprime dans un temps court avec un environnement qui se modifie à une saison donnée mais aussi dans un temps long ; or, sur ce dernier point, nous manquons vraiment de données », poursuit-il.
Les vagues de chaleur entraînent des pics de pollution, notamment à l’ozone. Les chercheurs ont démontré que le changement climatique, combiné à la pollution, forme un cocktail explosif pour les maladies respiratoires. Selon l’OMS, en 2012, plus de sept millions de personnes sont décédées prématurément, soit une sur huit au niveau mondial, du fait de l’exposition à la pollution de l’air - 4,3 millions de morts du fait de la pollution de l’air intérieur et 3,7 millions en raison de la pollution atmosphérique. En septembre 2016, à la suite de son dernier rapport, l’Organisation a mis en exergue le fait que 92 % de la population mondiale est exposée à une mauvaise qualité de l’air ambiant. À l’échelle française, l’étude publiée en juin 2016 par Santé publique France
Michel Thibaudon, directeur du Réseau national de surveillance en aérobiologie : « De manière schématique, il y a la pollution “noire” causée par l’industrie. Ce sont essentiellement les polluants gazeux et les particules fines qui sont des aérosols organiques dont le diamètre est inférieur à 2,5 micromètres et les particules ultra fines, plus petites encore, qui sont très rarement mesurées. Et puis il y a la pollution “verte”, celle des pollens. Le changement climatique modifie les aires de répartition des espèces végétales mais ce point est à modérer en fonction de la photopériode
« Nous assistons clairement à une remontée géographique réelle du moustique mais il ne faut pas oublier qu’il y avait du paludisme à la Grande Motte, près de Montpellier, il y a cinquante ans », souligne Vincent Ronin, médecin au pôle de veille sanitaire de l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes et spécialiste des arboviroses
En France, les autorités sanitaires mettent en œuvre une surveillance entomologique renforcée du 1er mai au 30 novembre dans les zones où le moustique-tigre est présent ou susceptible de s’implanter, une surveillance des cas humains, une sensibilisation des personnes résidant dans les zones où la présence du moustique est avérée, et un dispositif de lutte anti-vectorielle (préfectures et ARS) contre le risque de dissémination de la dengue et du chikungunya dans les départements où les moustiques constituent une menace pour la santé de la population
(1) “Fortes chaleurs : prévenir les risques sanitaires chez la personne âgée », document réalisé dans le cadre du Plan canicule, Santé publique France, mars 2015, à lire via le lien raccourci bit.ly/2fSIvOA
(2) “Impacts de l’exposition chronique aux particules fines sur la mortalité en France continentale et analyse des gains en santé de plusieurs scénarios de réduction de la pollution atmosphérique”, étude de Santé publique France, 21 juin 2016, à télécharger via bit.ly/28LKdBB
(3) Le rapport entre la durée du jour et de la nuit propre à chaque plante.
(4) Maladies infectieuses transmises par des vecteurs, principalement moustiques, moucherons, poux, punaises et tiques.
(5) Maladies transmises par piqûres de moustiques et de tiques.
(6) Ententes interdépartementales pour la démoustication : www.eid-med.org ; signalement : www.signalement-moustique.fr
• Il y a un an, l’Accord de Paris…
L’Accord de Paris, premier accord universel sur le climat, vise à limiter bien en dessous des 2 °C l’augmentation des températures moyennes d’ici à 2 100 par rapport à l’époque pré-industrielle. Adopté le 12 décembre 2015 lors de la COP 21, il a été depuis ratifié par 111 pays (représentant plus de 77 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales) dont la Chine, les États-Unis, le Canada, les pays membres de l’UE, l’Inde, le Japon, l’Australie, l’Arabie Saoudite, le Brésil… Reste maintenant à garder la cadence : à la fin de la COP 22 à Marrakech, les délégations se sont fixé pour objectif de finaliser en 2018 les discussions et les règles de mise en œuvre de l’Accord de Paris.
Originaire d’Amérique du Nord, Ambrosia artemisiifolia est apparue en France en 1863, vraisemblablement introduite par un lot de semences fourragères. Les graines de cette espèce ne sont pas pourvues des dispositifs habituels permettant leur transport par le vent. C’est donc en lien avec l’homme et ses activités qu’elles se déplacent via la terre transportée par les semelles et les pneus de tous les engins qui travaillent le sol. « Grâce aux capteurs du Réseau national de surveillance aérobiologique implantés sur le territoire, nous avons désormais une idée assez précise de la présence des pollens dans l’air, explique Gilles Bidet, responsable du pôle Risques sanitaires et prévention à l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes. D’ici à 2050, le taux de personnes allergiques à l’ambroisie pourrait atteindre 30 %. Le réchauffement climatique induit déjà une extension de la période de pollinisation qui était classiquement d’août à septembre. Il permet également à la plante de se développer sur des zones où elle n’était pas présente (en plus haute altitude) et vers le Nord de la France. Par ailleurs, l’augmentation en teneur de CO2 dans l’air développe les caractères allergisants des pollens en les rendant plus agressifs.
Les symptômes (rhinite, conjonctivite, trachéite, asthme, urticaire, eczéma) seront plus prononcés. Face à l’implantation massive dans la Région, l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes a mis en place un plan de lutte contre l’ambroisie qui implique fortement les collectivités locales avec la désignation de référents ambroisie dans les communes. Dans l’Ain, 95 % des communes ont un référent. Des actions de sensibilisation sont menées auprès des médecins, des pharmaciens et des professionnels de santé dans le cadre des contrats locaux de santé. La surveillance est de plus en plus précise, il faut développer la vigilance et former encore davantage de personnes sur le terrain. Depuis 2015, il existe aussi un outil interactif de signalement
* À consulter via le lien raccourci bit.ly/2fu85wt
Le réchauffement climatique a-t-il une influence sur les moustiques ?
Les trois premiers stades du moustique sont aquatiques, et le dernier est aérien. Si la température augmente, cela réduit le temps de génération du moustique. Avec 25 °C, on compte environ dix jours entre l’éclosion des œufs et l’émergence du moustique adulte. Avec 28 °C, sept jours. En cas de transmission, elle sera plus rapide puisque les générations seront plus courtes.
Les zones concernées vont-elles évoluer ? Le changement climatique étend l’aire de distribution des moustiques. En Europe, sur le pourtour méditerranéen, il y aura de plus en plus de maladies vectorielles. Aujourd’hui, nous avons des transmissions autochtones avec des moustiques locaux, c’est-à-dire qu’une personne infectée (après un voyage par exemple) et présente sur le territoire français peut être piquée par un moustique sensible à l’infection, qui diffuse le virus en piquant ultérieurement d’autres personnes.
Est-ce inquiétant ? Dans le monde, il existe 3 500 espèces de moustiques et toutes ne piquent pas l’homme. Le paludisme est bien la première maladie vectorielle. Selon l’OMS, la maladie a tué en 2015 435 000 personnes, dont 90 % en Afrique subsaharienne. Le Zika et le chikungunya ne tuent pas. Les décès sont liés à des surinfections chez des personnes affaiblies par des pathologies.
« Il faut être formée pour pouvoir répondre à ces nouvelles maladies »
Lucienne Claustres Bonnet et Catherine Kirnidis, respectivement présidente et vice-présidente de l’URPS-infirmières Paca et Idels à L’Isle-sur-Sorgue et Avignon (Vaucluse)
« Le réchauffement climatique n’est pas quelque chose auquel nous pensons dans notre travail quotidien. En revanche, nous exerçons dans une région où il fait chaud, et les principaux gestes à appliquer et les surveillances à mettre en œuvre sur ce point sont totalement intégrés dans notre pratique professionnelle. De leur côté, les populations sont également bien informées sur ce sujet, même s’il est toujours opportun de faire des piqûres de rappel. Aujourd’hui, la prise en compte des effets du réchauffement climatique sur la santé relève davantage d’une approche citoyenne et d’une démarche personnelle. Nous devons chercher nous-mêmes les informations. Bien sûr, la prévention fait partie intégrante du métier d’Idel. Mais, pour être en capacité de valider un discours, pour pouvoir apporter des réponses claires et précises aux patients sur de nouvelles maladies (vectorielles, allergies…), il faudrait être formées. Or nous manquons cruellement d’outils pour cela ! Nous sommes sensibilisées en tant que citoyennes mais pas en tant que professionnelles de santé. Et si l’une d’entre nous suit une formation sur le Zika, c’est grâce à son réseau personnel. »
• LIVRES
→ Impacts sanitaires de la stratégie d’adaptation au changement climatique, par le Groupe Adaptation et prospective du Haut Conseil de la santé publique, Jean-François Toussaint, Documentation Française, HCSP, 2015.
→ Toxique ? Santé et environnement : de l’alerte à la décision, par Francelyne Marano, Robert Barouki, Denis Zmirou, éd. Buchet Chastel, 2015.
→ 200 alertes santé environnement, par le Dr Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France, Guy Trédaniel Éditeur, septembre 2016.
• RAPPORTS, ÉTUDES, BULLETINS
→ “Changements climatiques 2014 : incidences, adaptation et vulnérabilite”, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Giec (en français) : lien Internet raccourci bit.ly/2gdrORX
→ “Troisième Plan national santé-environnement 2015-2019” : bit.ly/2fUqG5l
→ “Conférence environnementale de 2016 : feuille de route gouvernementale pour la transition écologique 2016”, ministère de l’Environnement : bit.ly/2buLZsD
→ “Plan national d’adaptation au changement climatique 2011-2015, actions dans le secteur de la santé”, ministère de l’Écologie : bit.ly/2gczpkD
→ Revue médicale britannique The Lancet, recueil d’articles sur la santé et les changements climatiques (en anglais) : bit.ly/2eWEpEb
À l’occasion de la COP 22, la revue a lancé avec l’OMS et Wellcome Trust, une initiative intitulée “Lancet : compte à rebours : suivi des progrès en matière de santé et de changement climatique”. Elle démarre par une consultation publique de trois mois qui doit identifier les facteurs à surveiller pour évaluer l’effet du changement climatique sur la santé : lancetcountdown.org
→ “Chiffres clés du climat France et monde”, ministère du Développement durable, édition 2017 : bit.ly/2fRmyR3
→ “Climat et santé”, Actualité et dossier en santé publique, revue du Haut Conseil de la santé publique, n° 93, décembre 2015.
→ “Changements climatiques et santé : nouveaux défis pour l’épidémiologie et la santé publique”, BEH n° 38-39, InVS, 24 novembre 2015.
→ “Identifier et surveiller les impacts sanitaires du changement climatique pour s’y adapter”, BEH n° 12-13, InVS, 20 mars 2012.