L'infirmière Libérale Magazine n° 331 du 01/12/2016

 

# SOIGNE ET TAIS-TOI

Actualité

Caroline Coq-Chodorge  

MOBILISATION > Les infirmières ont réussi leur pari : unies, elles ont défilé le 8 novembre à Paris et dans plusieurs grandes villes. Mais le sentiment de mépris persiste. Les syndicats libéraux ont refusé la rencontre au ministère, faute de ministre… Les annonces faites seront-elles suffisantes ?

Soigne et tais-toi était le slogan affiché par les infirmières qui ont défilé, exceptionnellement unies, mardi 8 novembre, à Paris. Seize organisations professionnelles infirmières se sont mobilisées, représentant les salariés et les libéraux, les infirmières scolaires, puéricultrices, anesthésistes, du bloc opératoire, les étudiants et les cadres, tous « à bout de souffle » en raison de la dégradation de leurs conditions de travail. 10 000 infirmières ont manifesté à Paris selon les syndicats, 3 500 selon la préfecture de police. Des rassemblements se sont aussi tenus à Bordeaux, Clermont-Ferrand, Lyon, Marseille, Montpellier, Rennes, Strasbourg. Le Sniil avait aussi rédigé une lettre-type que les Idels pouvaient télécharger sur son site et envoyer à Marisol Touraine.

« Considérées comme des figurantes dévouées »

Sur le pavé parisien, où ont aussi défilé quelques policiers solidaires, le sentiment d’un manque de reconnaissance était largement partagé, en particulier par les Idels. Leurs griefs sont nombreux : transferts de tâches vers les aides-soignantes ou les pharmaciens, patientèle captée à la sortie de l’hôpital par l’hospitalisation à domicile, etc. En ville, « notre système de santé doit faire face à l’augmentation des maladies chroniques, rappelle Philippe Tisserand, président de la FNI. Quelle logique y a-t-il à faire reposer le système sur les médecins généralistes, qui ne sont plus présents dans de nombreux territoires ? Les infirmières, elles, sont présentes, mais sont considérées, non comme des actrices du système de santé, mais comme des figurantes dévouées ».

C’est encore du mépris qu’ont ressenti les infirmières devant le ministère de la Santé. Seuls le directeur adjoint du cabinet de Marisol Touraine et la directrice générale de l’offre de soins ont accepté de les recevoir. Tous les syndicats libéraux ont refusé cette rencontre : « Moitié moins nombreux, les médecins auraient été reçus par la ministre », s’agace Annick Touba, présidente du Sniil. « Marisol Touraine n’était pas en déplacement, c’est offensant de ne pas être reçu au moins par le directeur de cabinet, renchérit Philippe Tisserand. Nous avons pourtant réussi une belle mobilisation et nous avions des questions importantes à aborder : la sécurité, la rémunération, les conditions de travail. »

La liste des DM prescriptibles élargie

Plusieurs annonces ont été faites aux autres syndicats, certaines concernent les libérales. Fin novembre devait être présentée aux professionnels de santé « une stratégie nationale qui déclinera des actions concrètes pour améliorer la qualité de vie au travail ». Puis en décembre débuteront les travaux sur la pratique avancée infirmière. La vaccination par les infirmières doit être élargie, « au-delà de la vaccination contre la grippe ». La liste des dispositifs médicaux prescrits par les infirmières sera aussi complétée. « Aurons-nous enfin un rôle plein et entier dans la vaccination ?, s’interroge Philippe Tisserand. Nous ne savons rien de plus, car nous n’avons pas été consultés. » Il regrette également que la convention infirmière soit renvoyée par la ministre au premier semestre 2017 : « L’enquête de représentativité syndicale n’est même pas lancée, cela signifie qu’il ne se passera rien avant la présidentielle. »

« Foutez-nous la paix, laissez-nous soigner ! »

Avec un discours accusateur vis-à-vis de l’État et volontiers alarmiste à l’attention des patients, une autre mobilisation, interprofessionnelle cette fois et essentiellement libérale, était annoncée le 24 novembre dans douze villes, à l’initiative notamment de l’Union française pour une médecine libre, issue du mouvement des “médecins pigeons” et récemment constituée en syndicat, connue pour son discours franc-tireur, par exemple par la formule « Foutez-nous la paix, laissez-nous soigner ! ». « Nous voulons avoir un poids politique dans l’élection à venir », affirme Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière qui, comme l’Onsil ou encore le groupe Unidel, a appelé à cette “Journée des soignants”. Un mouvement accompagné d’un appel à des “nuits blanches de la santé”.

Paroles d’Idels en manif

Pauline, Saint-Maur- des-Fossés, Val-de-Marne

« Nous manifestons par solidarité avec nos collègues hospitalières à la suite des suicides qui ont eu lieu cet été. Je suis en libéral depuis deux ans, après avoir fait deux ans à l’hôpital, où j’avais l’impression de remettre mon diplôme en jeu tous les jours. Malheureusement, en ville, je trouve qu’on n’a aucune reconnaissance non plus. La Sécu n’a pas l’air de se rendre compte de tout ce que nous faisons au quotidien. C’est un vrai ras-le-bol de ne jamais être entendu qui s’exprime aujourd’hui. »

Stéphane, Hendaye, Pyrénées-Atlantiques

« Je suis en libéral depuis cinq ans et je constate que nous avons de moins en moins de libertés dans notre exercice. Par ailleurs, on assiste à des glissements de fonction inquiétants : les toilettes qui vont à des auxiliaires de vie, les prises de tension et les dextro réalisées par des aides-soignants et maintenant les pharmaciens qui veulent pratiquer les vaccinations. Je n’ai plus le sentiment qu’on puisse encore prendre en charge les patients de façon cohérente.

C’est toute une série de petites choses accumulées qui font qu’on commence vraiment à en avoir marre. »

Elvira, Fontainebleau, Seine-et-Marne

« Je manifeste car mes conditions de travail se sont beaucoup dégradées en dix ans de libéral. Notre nomenclature est devenue complètement ahurissante. Comment accepter de réaliser des soins d’une demi-heure à une heure qui ne nous sont pas payés au bout du troisième. Il y a aussi toute une série de soins qui sont pourtant indispensables pour le maintien des personnes âgées à domicile qui ne figurent même pas à la nomenclature. À cela, il faut ajouter la pression de la CPAM et les charges de l’Urssaf et de la Carpimko qui sont de plus en plus lourdes. »

Martine, Angoulème, Charente

« Je suis dans la rue pour faire savoir que notre profession se dégrade : on nous demande de plus en plus de choses et on nous paye de moins en moins. On passe trop de temps à faire de l’administratif, à remplir des papiers en ayant moins de temps à consacrer à nos patients pendant les visites. L’hôpital renvoie les gens de plus en plus tôt à domicile – pour faire faire des économies à la société – mais on ne tient pas compte de notre travail d’Idel qui est pourtant essentiel pour que le retour se passe dans de bonnes conditions. »

Carole, Montbazens, Aveyron

« Je suis de plus en plus inquiète par le développement des HAD, des Ssiad et des prestataires de soins à domicile de plus en plus présents dans mon département. On a l’impression que notre champ d’action se réduit sans cesse. Le plus scandaleux est que les patients n’ont pas toujours le choix. Après un épisode d’hospitalisation, ils sont systématiquement renvoyés chez eux via la HAD, alors qu’ils ne savent même pas ce que c’est. Ils se retrouvent chez eux avec un grand nombre d’intervenants qu’ils ne connaissent pas alors qu’ils avaient été suivis auparavant par les mêmes Idels parfois pendant des années. »

Cédric, banlieue de Nancy, Meurthe-et-Moselle

« Je suis en libéral depuis une quinzaine d’années après avoir exercé en psychiatrie. Je commence à regretter mon choix car aujourd’hui en ville, comme quand je suis parti de l’hôpital, j’ai l’impression de ne plus avoir les moyens de faire mon métier. Contrairement aux collègues hospitaliers, je ne suis pas dans la rue pour des questions de rémunération, mais parce qu’on ne nous laisse plus soigner les gens comme il faudrait. »

PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE HUNSINGER