Favoriser l’accès aux soins dentaires - L'Infirmière Libérale Magazine n° 331 du 01/12/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 331 du 01/12/2016

 

Docteur Julien Ventura, chirurgien-dentiste à Lyon (Rhône)

La vie des autres

Sophie Magadoux  

Julien Ventura, jeune chirurgien-dentiste, participe, au sein d’un réseau, à la prise en charge de la santé orale des personnes handicapées. À la fois curieux de l’avenir de sa profession et engagé pour la santé publique, il vit ses convictions.

Revêtu d’une blouse blanche, miroir et spatule à la main, Julien Ventura, 31 ans, se penche sur la bouche d’un patient allongé dans le fauteuil du cabinet dentaire lyonnais où il exerce depuis l’obtention de son diplôme en 2012. À cette pratique d’odontologie généraliste, qui l’occupe trois jours par semaine, il associe une autre activité : la prise en charge de patients confrontés à des difficultés d’accès aux soins, des personnes de tout âge présentant un fort handicap mental et physique, ou bien des personnes âgées dépendantes. En effet, il a choisi d’intervenir dans le cadre du réseau Santé bucco-dentaire et handicap Rhône-Alpes (SBDH-RA), notamment au sein de l’unité mobile.

« Génération loisir »

Depuis toujours, Julien Ventura fait montre d’une posture engagée : il a le besoin de penser les contours du métier, de participer à sa mutation et de lui donner du sens. Étudiant, il préside l’Union nationale des étudiants chirurgiens-dentistes ; dans sa thèse soutenue en 2012, il s’intéresse aux aspirations (mobilité, démographie et intérêts professionnels) de la nouvelle génération, la « génération loisir » telle qu’il la surnomme ; professionnel, il s’investit au sein de l’Union française de santé bucco-dentaire (UFSBD) Rhône, un organisme officiel de prévention et promotion qu’il a présidé jusqu’en octobre, en prenant alors la vice-présidence pour pouvoir aussi assurer le rôle de secrétaire général adjoint du réseau SBDH-RA.

« Les jeunes praticiens ne veulent plus travailler pour travailler, ni réaliser une moyenne de soixante-dix heures par semaine », affirme-t-il. Tout comme lui. D’où tire-t-il de la satisfaction dans l’exercice de l’odontologie ? « En soignant, au sein du réseau SBDH-RA, les personnes handicapées pour qui il y a des besoins criants et qui démontrent une reconnaissance authentique, plutôt que les patients en cabinet de ville avec qui une logique de consommation domine », assure-t-il.

Des soins adaptés au handicap

Pratiquer des soins dentaires, c’est « s’intéresser à la sphère buccale dans son ensemble, le siège de la mastication, de la parole et du sourire. Communément, les professionnels de santé agissent comme si la sphère oro-faciale ne faisait pas partie du corps. Pourtant, un couple de molaires en moins, c’est une perte de 80 % de la fonction masticatoire qui peut entraîner des troubles de la déglutition, puis du transit, et provoquer finalement une occlusion intestinale. Une mauvaise santé bucco-dentaire porte directement atteinte au capital santé de la personne – troubles respiratoires, hépatiques, rénaux, circulatoires… – et à sa qualité de vie, d’abord parce qu’elle perd le plaisir de manger », argue le spécialiste. D’où l’importance du suivi régulier assuré par le réseau SBDH-RA.

Le camion dentaire du réseau, pourvu d’un fauteuil et équipé pour la stérilisation du matériel et la radiologie, se rend deux fois par an en moyenne auprès de chacune des 83 structures conventionnées (Ehpad et structures d’accueil pour personnes handicapées). « Je vois environ huit patients par jour. Le plus souvent, ils ont besoin d’un détartrage, un traitement de carie, parfois une extraction de dent. Très rarement d’une prothèse. La perception de soi est altérée, les soins sont donc adaptés en fonction du handicap », explique le dentiste, qui intervient avec une assistante. Parfois sous anesthésie générale, si besoin sous anesthésie locale, et plus systématiquement sous anxiolytiques (en cas d’agitation et/ou de troubles du comportement), le travail se fait en lien avec les accompagnants, infirmière, éducateur ou aide-soignant. « Leur présence rassure la personne, ils peuvent aussi aider à la maintenir. »

En raison de soins intrusifs à l’aide d’instruments dangereux – la rotation de la turbine, ou “roulette”, peut atteindre les 400 000 tours par minute –, face à ce public aux réactions brusques, il a appris à « gérer un soin en deux minutes grâce à un geste précis et sûr », et à « décoder une attitude d’angoisse ou de douleur » ou « de compréhension d’une explication ». De plus, « une personne handicapée, ou même une personne âgée souffrant de troubles cognitifs, n’a souvent pas d’autre moyen que l’agressivité pour exprimer une douleur », rappelle-t-il.

Des matinées de dépistage en chambre et des actions de sensibilisation auprès des personnels sont également prévues. « Entre le dégoût de mettre les mains en bouche ou la peur de se faire mordre, il existe des solutions simples : des bains de bouches fluorés, des brosses à dents adaptées, ou des règles alimentaires simples – servir un sirop le soir avant de dormir, c’est gentil, mais c’est une aberration –, etc. », commente le thérapeute, qui pointe la difficulté d’actions pérennes en raison du turn-over du personnel des structures.

Maillage territorial

À présent, une nouvelle aventure l’attend. Bientôt, courant 2017, c’est en zone de revitalisation rurale, sous-dotée en termes de soins dentaires, qu’il commencera à pratiquer. Quelque part en Ardèche ou dans la Loire, il projette d’ouvrir sa propre structure. Une autre façon d’assumer ses convictions concernant l’accès au soin, cette fois en matière de maillage territorial.

Il dit de vous !

« Je suis surtout en relation avec les infirmières des établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes et des personnes en situation de handicap, où elles ont un rôle dans le maintien de l’hygiène bucco- dentaire. Comme elles sont souvent surchargées de travail, c’est l’hygiène bucco-dentaire la première sacrifiée. Je dois alors intervenir pour éviter que la situation ne se dégrade, qu’elle ne devienne de la maltraitance par négligence. Mais, dans ce contexte de course contre la montre, les échanges peuvent être délicats. Il faut trouver les mots pour valoriser le travail déjà en place et les moyens d’améliorer le quotidien des patients. Actuellement, il y a un manque de connaissance des compétences de l’autre. C’est dommage, nous avons besoin les uns des autres, d’une collaboration interprofessionnelle. Elle pourrait se développer grâce à un tronc commun de formation aux professions de santé. »

UFSBD RHÔNE-ALPES

Action pilote auprès des femmes enceintes

En partenariat avec la clinique de l’Union à Vaulx-en-Velin, dans une zone défavorisée en périphérie de Lyon, l’Union française de santé bucco-dentaire Rhône-Alpes organise une action pilote en impliquant douze praticiens de proximité, gynécologues, sages-femmes, médecins et dentistes. Ceux-ci sont informés des risques spécifiques liés à la grossesse (comme les modifications hormonales favorisant la plaque dentaire, l’impact des nausées fragilisant l’émail, la gingivite de la grossesse augmentant le risque d’accouchement prématuré), du meilleur moment pour réaliser les soins dentaires ou encore de la prise en compte de l’évolution des habitudes alimentaires. Pour cela, les professionnels préparés disposent d’un argumentaire. Quel que soit le premier consulté parmi eux, il sera à même de mieux orienter la femme enceinte pour une prise en charge globale personnalisée.