L'infirmière Libérale Magazine n° 331 du 01/12/2016

 

Cahier de formation

Savoir faire

M. L., 76 ans, est multipathologique : diabète, apnée du sommeil, troubles cardiaques, anxiété. Vous le suivez depuis quelques mois déjà, et il se plaint de fortes démangeaisons : « On dirait que j’ai de l’eczéma, ma peau n’est plus aussi souple qu’avant. À mon âge et avec tout ce que j’ai, il ne me manquait plus que ça. »

Vous rassurez le patient et lui expliquez qu’en vieillissant, la peau se dessèche et perd de son élasticité, en raison d’un certain nombre de modifications : amincissement de la peau, baisse des sécrétions, ou encore moindre renouvellement cellulaire. La peau, autrefois barrière puissante et premier rempart de l’organisme, devient plus fragile et sensible aux agents extérieurs : froid, microbes. Face à l’inconfort du patient, vous informez le médecin traitant qui lui-même réoriente M. L. vers un dermatologue. Un diagnostic de prurit sénile est posé, avec une prescription de traitements locaux : Diprosone sur les plaques d’eczéma + préparation magistrale remboursée, à usage thérapeutique, et en l’absence de spécialité équivalente disponible : Cold Cream fluide et glycérolé d’amidon à 10 %, deux flacons par mois.

LE PRURIT SÉNILE

Prurit de la personne qui vieillit

→ Il est potentiellement dû à de nombreuses pathologies, cutanées (gale, eczéma variqueux, lichen, toxidermies…), ou non (dysthyroïdies, cholestase, tumeurs solides, hémopathies malignes…).

→ En présence d’une simple xérose cutanée, avec des lésions eczématiformes prurigineuses mal limitées assez aspécifiques et en l’absence de signes associés, le diagnostic d’élimination conduit à parler de prurit sénile.

Prurit sénile n’est pas dermatite atopique

Attention, le prurit sénile et la dermatite atopique sont deux pathologies différentes, même si les principaux symptômes, le traitement de base et les principales mesures environnementales, d’hygiène et de soins, sont identiques. D’ailleurs, dans quelques rares cas, le prurit sénile est en réalité une dermatite atopique de révélation tardive.

LA PRISE EN CHARGE

La stratégie thérapeutique de base est la même que celle de la dermatite atopique, exposée précédemment : dermocorticoïdes sur les plaques d’eczéma, émollients partout ailleurs, antihistaminiques au besoin…

Insister sur les émollients

Galénique adaptée à chaque patient

Les produits hydratants sur le marché se distinguent tout d’abord par leur galénique, elle-même conditionnée par le taux de phase grasse.

→ Les baumes et les cérats sont les plus riches et les plus nourrissants, pour les peaux très sèches et/ou en hiver : Lipikar Baume AP+ (La Roche-Posay), Xemose Cérat relipidant anti-irritations (Uriage)…

→ Les émulsions et les laits, plus légers, sont adaptés aux peaux légèrement sèches et/ou en été : Exomega Lait émollient fluide (Aderma)…

→ La forme crème, plus polyvalente, s’utilise toute l’année : Xeracalm AD Crème relipidante (Avène)…

Notion de coût

Un autre point fondamental est le coût des émollients. « De nombreuses personnes âgées vivent avec peu de moyens et une petite retraite, elles ne peuvent pas s’acheter des émollients dermo-cosmétiques », constate Isabelle Habot, Idel depuis vingt-six ans à Marseille. La solution consiste ici à faire prescrire par le médecin une préparation magistrale remboursée.

Application du produit hydratant

Un seul mot d’ordre : partout et à volonté ! Insister sur les zones qui seraient plus sèches ou inconfortables. Les gestes doivent être amples et circulaires, à la manière d’un massage, de préférence le soir après la douche sur la peau encore légèrement humide. Attention, ne pas appliquer sur les plaques d’eczéma : le produit risque de “piquer” la peau, voire d’aggraver l’inflammation.

Conseils associés

Hygiène adaptée

Quelques règles générales

→ Préférer la douche pour limiter au maximum l’agression de la peau en raison du chlore et du calcaire présents dans l’eau du robinet. Le bain n’est pas interdit, surtout s’il s’inscrit dans un rituel et apaise la personne.

La douche idéale pour le patient atopique est tiède aux alentours de 32-33 °C et dure environ cinq minutes.

→ Sécher la peau délicatement en la tamponnant avec une serviette douce. La peau reste ainsi encore légèrement humide, non irritée par les frottements, et peut recevoir l’émollient ou le dermocorticoïde selon le cas.

À proscrire

Gant de toilette, fleur de douche et produits lavants inadaptés, ceux contenant par exemple des parfums ou au pH trop basique (plus de 8).

À privilégier

Des produits lavants doux, dont le pH est proche de celui de la peau, et enrichis en agents surgraissants comme par exemple un syndet, c’est-à-dire un “savon sans savon” : Lipikar Syndet (La Roche-Posay)… ; une huile : Exomega huile nettoyante émolliente (Aderma)… ; ou encore, pour ceux qui préfèrent la forme solide, un pain dermatologique : Atoderm Pain surgras (Bioderma)…

Conseils pour soulager

Le froid

→ C’est un bon moyen de limiter les démangeaisons car il envoie un nouveau message au cerveau.

→ Pour créer cette sensation, plusieurs possibilités : poches de froid (initialement utilisées pour lutter contre la douleur et disponibles en pharmacie) ; brume d’eau thermale ; dos d’une cuillère ou d’un galet (surface froide et lisse) ; éventail manuel ou électrique… Les traitements locaux du patient peuvent être placés au préalable au réfrigérateur pour soulager dès leur application.

→ Pour les adeptes du système D : penser au sachet de petits pois congelés qui permet d’obtenir une poche souple, froide et apaisante à moindre frais. Attention, pour éviter les brûlures par le froid, placer l’outil dans une housse protectrice ou un linge avant de l’appliquer sur la peau.

Se détendre et s’occuper

Pour lutter contre le prurit, il faut pouvoir se détendre, s’occuper l’esprit et les mains : musique, lecture, mots croisés, sport ou jardinage, en s’assurant que toutes les mesures sont prises pour ne pas abîmer un peu plus la peau… Certains patients portent des gants en coton la nuit pour ne pas se gratter.

Le truc en plus

Couper les ongles court pour limiter les lésions de grattage et les surinfections.

LA PRÉVENTION

Inspection cutanée

La peau fine et fragile des seniors peut poser un problème, notamment lorsque des fluidifiants sanguins, anticoagulants ou anti-agrégants plaquettaires sont prescrits : « Au moindre grattage, une lésion et/ou un hématome apparaissent », explique Isabelle Habot. La vigilance s’impose, par exemple en inspectant même brièvement la peau du patient lors de chaque visite.

Travailler le « culturel »

Un autre élément à prendre en compte est d’ordre plus culturel. Les personnes âgées, surtout celles qui n’ont jamais eu de problème de peau, ont en général moins l’habitude de prendre soin de leur peau, de la laver et de l’hydrater correctement et quotidiennement. « Face aux patients “réfractaires”, il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie et de patience, les comprendre sans les juger », souligne Isabelle Habot.

Questions de patient

Quand je sors de la douche, ma peau tiraille beaucoup, alors que j’utilise un savon surgras comme vous me l’aviez recommandé. Est-ce que cela peut venir de l’eau ?

L’eau du robinet est parfois très calcaire dans certaines régions. Le problème peut être résolu en optant pour une huile de douche pour neutraliser le calcaire de l’eau. Mais attention, une huile mousse peu voire pas du tout (certains patients n’apprécient pas et ont l’impression de ne pas bien se laver) et peut rendre la douche ou la baignoire glissante : à proscrire chez le sujet âgé qui se lave seul. Des adoucisseurs d’eau peuvent être branchés directement sur le robinet mais restent très onéreux. Enfin, retenir qu’une hygiène adaptée est indissociable de l’application d’un émollient : graisser la peau encore un peu humide immédiatement après la toilette.

La crème que j’ai achetée à la pharmacie me semble inefficace, ma peau est encore sèche comme si elle avait “bu” tout le produit.

C’est peut-être que la proportion de phase grasse est insuffisante dans ce produit. Préférer une composition plus riche, et des galéniques type baumes ou cérats.

Je cote à la nomenclature

Les cotations sont peu nombreuses pour ce type de prise en charge.

Dans les soins de pratique courante (chapitre 1) :

→ article 8 :

“Pulvérisation de produits médicamenteux :

AMI 1,25” ;

→ article 11 : si le patient est considéré en « situation de dépendance temporaire ou permanente », il y a possibilité d’établir une démarche de soins infirmiers pour une séance de soins infirmiers (AIS 3, par séance d’une demi-heure) ou une séance hebdomadaire de surveillance clinique infirmière et de prévention (AIS 4, par séance d’une demi-heure). À propos de la séance hebdomadaire de surveillance clinique infirmière et de prévention, cet acte comporte : le contrôle des principaux paramètres servant à la prévention et à la surveillance de l’état de santé du patient ; la vérification de l’observance du traitement et de sa planification ; le contrôle des conditions de confort et de sécurité du patient ; le contrôle de l’adaptation du programme éventuel d’aide personnalisée ; la tenue de la fiche de surveillance et la transmission des informations au médecin traitant ; la tenue de la fiche de liaison et la transmission des informations à l’entourage ou à la tierce personne qui s’y substitue.