L'infirmière Libérale Magazine n° 331 du 01/12/2016

 

INFORMATIQUE ET SANTÉ

Votre cabinet

Me Geneviève Beltran*   Véronique Veillon**  

L’objectif du Dossier médical partagé (DMP) est d’optimiser le suivi médical du patient et la coordination des soins en permettant à tout professionnel de santé intervenant dans le cadre de sa prise en charge de partager des informations médicales. Sa création suscite de multiples interrogations… auxquelles nous apportons ici des réponses, notamment à la lumière du décret du 4 juillet 2016(1).

Un DMP voué à l’échec ?

Depuis plusieurs années, le DMP joue les serpents de mer. Il apparaît en 2004, s’éclipse en 2007, refait surface en 2011 sous le nom de Dossier médical personnel pour disparaître au profit du Dossier médical partagé en 2016 ! Alors pourquoi ce dernier ne rejoindrait-il pas ses prédécesseurs au creux de l’abîme ?

La gestion du DMP est transférée de l’Asip santé (Agence des systèmes d’information partagés de santé) à la Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). Cette dernière a en effet mis en avant l’expérience acquise depuis décembre 2007 par ameli.fr, dont le vingt millionième compte d’assuré a été créé en janvier dernier. Cette connaissance est présentée comme une garantie pour le déploiement des DMP. Une vaste campagne d’information sur les services d’ameli.fr était d’ailleurs prévue du 22 novembre au 9 décembre.

Le champ du DMP

Le DMP peut être créé pour tout bénéficiaire de l’Assurance maladie et c’est la Cnamts qui va donc en assurer la gestion. Mais le décret n’évoque pas la situation de tous ceux qui ne relèvent pas du statut de salarié. Est-ce donc à dire que les artisans, commerçants, professions libérales sont exclus du champ du bénéfice du DMP ?

Le DMP peut concerner pas moins de 60 millions de bénéficiaires, 91 % de la population étant assurée par la Cnamts, qui finance 86 % de l’ensemble des dépenses d’Assurance maladie(2). Les autres régimes, telle la Mutualité sociale agricole, ont déjà mis en œuvre les autres versions des DMP pour leurs affiliés. Il est probable qu’ils en assureront le suivi. Il est ainsi bien prévu que le DMP comportera les « données nécessaires à la coordination des soins issus des procédures de remboursement ou de prise en charge, détenues par l’organisme d’Assurance maladie obligatoire dont relève chaque bénéficiaire ».

Le consentement du patient

Un DMP ne peut pas être créé sans le consentement des patients. C’était aussi le cas pour le dossier pharmaceutique… Or des dossiers ont été créés à leur insu. Comment être certain qu’il n’en sera pas de même pour le DMP ? Et sous quelle forme le consentement sera-t-il recueilli ?

La Cnamts va avoir l’obligation d’établir et de mettre à disposition des supports d’information adaptés aux modalités de création et d’accès au DMP. Le recueil du consentement et la notification au titulaire du DMP se feront par tout moyen, « y compris de façon dématérialisée », précise le décret. Le consentement pourrait donc être recueilli sous forme orale ou écrite. Mais, pour des raisons de preuve, il est probable que ce consentement fera l’objet d’un écrit, dûment signé par le patient et intégré dans son DMP.

Le secret professionnel

Le DMP pourra être créé par « des personnes assurant des fonctions d’accueil des patients dans les établissements de santé », « les agents des organismes d’Assurance maladie obligatoire qui interviennent directement auprès des bénéficiaire de l’Assurance maladie ». Cela signifie donc que des non-professionnels de santé auront accès aux données médicales concernant le patient. Quid du respect du secret professionnel ?

Il ne faut pas confondre création du DMP et accès au DMP. Précisons que seul le patient peut créer ou autoriser la création de son DMP et qu’il dispose d’une très grande liberté en la matière : il peut interdire l’accès aux professionnels de son choix (la liste sera actualisée régulièrement), en demander la fermeture à tout moment, s’opposer au partage des informations. Ainsi le directeur de la Cnamts a rappelé que le DMP ne sera pas une source d’informations pour l’Assurance maladie : celle-ci n’aura pas accès aux données médicales contenues dans le DMP. Toutes les actions réalisées sur le DMP seront tracées et conservées dans le DMP avec notamment la date, l’heure, l’identité de la personne qui a créé ou modifié le DMP, et le patient pourra en prendre connaissance. L’accès aux informations est réservé aux professionnels de santé ou au personnel placé sous leur responsabilité.

Le contenu du DMP

Le DMP, en prévoyant l’intégration de données comme les directives anticipées par exemple, ou encore la possibilité pour le patient d’y insérer ce qu’il souhaite, ne risque-t-il de devenir un vrai “fourre-tout” ?

L’information du patient sur le rôle précis du DMP sera indispensable. Il conviendra de le sensibiliser sur l’importance de n’y intégrer que les éléments nécessaires à sa prise en charge médicale : données issues du dossier pharmaceutique qui permettront de limiter les risques d’interactions médicamenteuses ; noms et coordonnées de la personne à prévenir, de la personne de confiance, très utiles en situation d’urgence ; les comptes rendus d’hospitalisation ou de consultation externes accessibles plus rapidement, facilitant ainsi la continuité des soins.

L’accessibilité des données par le patient

Les professionnels de santé pourront rendre inaccessibles au titulaire du DMP certaines informations sur sa santé dans l’attente d’une consultation d’annonce. Mais si cette dernière n’a pas lieu dans le délai d’un mois suivant leur intégration, les données deviendront automatiquement accessibles. Quel est l’intérêt d’une telle mesure ? Le patient sera-t-il informé de cette inaccessibilité ? Et si oui, ne risque-t-il pas de s’inquiéter ?

Les médecins sont soumis à une double obligation d’information : celle posée par l’article R 4127-60 du Code de la santé publique – « il incombe au médecin ayant réalisé un acte médical à la demande d’un confrère, d’informer ce dernier par écrit de ses constatations, conclusions et éventuelles prescriptions » – et celle inscrite dans l’article R 4127-35 – « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ». Cette dernière obligation est toutefois tempérée par le second alinéa de ce même article, qui dispose que, « dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves ». En insérant un compte rendu “sensible” (annonce d’un cancer par exemple) dans le DMP, le praticien répond à la première exigence. L’inaccessibilité temporaire de ces informations permet aux praticiens de préparer plus sereinement la consultation d’annonce et l’accompagnement du patient. La levée du secret répondra ensuite à la seconde exigence, à savoir l’information du patient. Il est peu probable que le patient soit informé du masquage de ces données, mais seule la mise en œuvre concrète du DMP permettra de répondre à cette question.

(1) Décret n° 2016-914 du 4 juillet 2016 relatif au dossier médical partagé.

(2) “Les chiffres clés 2015 de la Sécurité sociale” (édition 2016), Direction de la Sécurité sociale, à télécharger via le lien raccourci bit.ly/2fEEFct. La MSA compte 5,4 millions de cotisants et le Régime social des indépendants 2,8 millions, selon “Les chiffres utiles de la MSA 2015” et “L’essentiel du RSI”, rapport 2015.

EN SAVOIR +

• Une “appli” en 2017

Le DMP nouvelle version, qui doit être testé à partir de décembre 2016 dans neuf départements (Bas-Rhin, Côtes-d’Armor, Doubs, Haute-Garonne, Indre-et-Loire, Pyrénées-Atlantiques, Puy-de-Dôme, Somme et Val-de-Marne), bénéficiera en 2017 d’une application mobile sur téléphone, a annoncé en octobre le directeur général de l’Assurance maladie. Cette “appli”, attendue au printemps, devrait retranscrire « les informations médicales de base pour le patient, de manière claire », dans un modèle sommaire pour commencer, rapporte Le Quotidien du médecin du 31 octobre.

• Idels créatrices de DMP

Le directeur général de l’Assurance maladie a également exprimé, fin octobre, son souhait que d’autres professionnels de santé que les médecins puissent ouvrir des DMP, comme les Idels ou les pharmaciens. « Nous faciliterons pour les professionnels de santé de ville la consultation des comptes rendus d’hospitalisation et leur historique et, pour les hospitaliers, nous ferons de même avec le volet de synthèse médicale » rédigé par le médecin traitant, a précisé Nicolas Revel.