L'infirmière Libérale Magazine n° 331 du 01/12/2016

 

VAR

Initiatives

Laure Martin  

Depuis cinq ans, Sébastien Laurenti développe une exploitation de production de miel, L’Abeille noire. Après une formation d’un an, l’apprentissage se fait désormais quotidiennement, au rythme des battements d’ailes… Et tout en poursuivant, tout au long de l’année, une activité d’Idel.

À l’approche de la ruche, le bourdonnement des abeilles se fait de plus en plus fort. Sébastien sort l’enfumoir rempli d’aiguilles de pins qui brûlent. « La fumée atténue l’agressivité des abeilles liée à leurs phéromones, ce qui permet d’ouvrir la ruche avec plus de sécurité », explique-t-il. Il contrôle alors un par un les différents cadres qui composent la structure afin de s’assurer que les abeilles vont bien. Sur certains cadres, on peut apercevoir, au centre, des larves pondues par la reine, sur d’autres, les alvéoles commencent à se remplir de miel, tandis que certaines, pleines, ont déjà été refermées avec un opercule de cire par les travailleuses. En haute saison, les ruches peuvent accueillir en moyenne entre 60 000 à 80 000 abeilles qui produisent 15 à 20 kg de miel par saison.

La rencontre de Sébastien avec l’univers des abeilles s’est faite par hasard il y a une quinzaine d’années. « Je me baladais en forêt en Savoie, et j’ai trouvé un essaim d’abeilles, se rappelle-t-il. Je suis alors allé dans la première coopérative trouvée sur mon chemin, j’ai acheté un livre sur l’apiculture, le matériel nécessaire pour une ruche et une tenue, et je suis retourné chercher l’essaim pour le ramener chez moi. » Mû par sa curiosité, il entame sa lecture du livre ; le voilà « intrigué et intéressé » par l’organisation de la ruche et sa hiérarchie. Dans un premier temps, c’est donc en tant qu’amateur qu’il débute sa culture du miel, sans pour autant s’abstenir de prendre conseil auprès d’apiculteurs confirmés. En 2010, il décide d’aller plus loin et s’inscrit au concours d’entrée du Centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) d’Hyères (Var) pour suivre un Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole en apiculture. « Pendant cette formation, j’ai appris la gestion d’une ruche, l’impact des saisons sur les abeilles, la comptabilité agricole et j’ai également fait un stage d’une durée totale de huit semaines chez un apiculteur installé depuis quarante ans », énumère Sébastien. Et d’ajouter : « Cette formation m’a permis d’être plus fluide, logique, organisé. J’ai appris les principes de base du fonctionnement de la ruche. Cependant, avec l’abeille, il faut aussi agir au feeling et s’ajuster à la saison. »

« J’ai toujours voulu être agriculteur »

Cette envie de se lancer dans l’apiculture n’a pas réellement surgi de nulle part. « J’ai toujours voulu être agriculteur, raconte Sébastien. Mais, au moment de choisir mon orientation professionnelle, l’achat de terrains agricoles était hors de prix. Cela impliquait un investissement et un endettement important, que je ne pouvais réaliser à l’époque. » Son père lui conseille alors de passer le concours d’infirmier. « J’ai appris à aimer le métier lorsque j’ai commencé à faire des stages, à appliquer la théorie », témoigne Sébastien, qui a intégré l’Ifsi d’Aubagne (Bouches-du-Rhône) en 1999. Ce qui lui plaît : la technicité du métier. Très vite, il apprécie également « l’impact positif de [son] métier sur les patients ». Par la suite, il se spécialise avec un diplôme universitaire (DU) en plaies et cicatrisation, et intègre le réseau Ilhup, dans le domaine des plaies, cicatrisation, douleur, à Marseille (Bouches-du-Rhône), en tant qu’infirmier coordinateur, en complément de son travail dans un centre de soins de suite à Saint-Zacharie (Var). « C’est par l’intermédiaire du réseau que j’ai découvert la pratique libérale car j’étais fréquemment en contact avec mes confrères de ville lorsqu’ils avaient besoin de conseils pour des pansements », explique Sébastien. Une infirmière libérale lui propose en 2007 un premier remplacement de six mois, qu’il effectue en parallèle de ses autres activités. Puis il enchaîne avec un autre remplacement et décide alors d’arrêter son travail au réseau ainsi qu’à la clinique. « En libéral, j’ai découvert et aimé l’échange que je développe avec les patients et les liens qui se créent. » En 2009, il achète son cabinet avec son associé à Antibes (Alpes-Maritimes). « Aujourd’hui, nous sommes quatre à y travailler, dont deux remplaçants. » Il assure également depuis un an et demi des remplacements dans le Var, ce qui lui permet de se rendre, entre deux tournées, sur son exploitation agricole – un terrain à Brignoles qu’il a racheté à ses grands-parents – et de mieux profiter de sa maison acquise il y a un peu plus d’un an. L’une de ses pièces est d’ailleurs consacrée au stockage des produits liés au miel : fûts, pots de miel, vinaigre, bonbons, gelée royale, pollen. à terme, cette pièce devrait devenir le point de vente de la production de Sébastien. Pour le moment, il vend ses produits sur son site Internet, mais aussi chez des revendeurs (deux primeurs et une épicerie fine) et lors des marchés de Noël.

Bruyère, romarin, thym, acacia…

Sébastien se consacre à la vente de septembre à février essentiellement. Les autres mois de l’année sont dédiés à la production du miel. La floraison débute fin février, début mars avec la bruyère blanche et le romarin, puis le thym et l’acacia, pour finir avec la lavande et le châtaigner. Pendant ces six mois, selon le miel qu’il souhaite produire, le travail de l’apiculteur consiste à répartir ses deux cents ruches sur ses ruchers, les emplacements où sont déposées et rassemblées les ruches. « Chaque ruche suit un circuit sur les différents terrains en fonction des saisons et de la floraison », détaille-t-il. Il y a en moyenne entre cinq et six récoltes par ruche et par an. Lorsque les abeilles ont produit leur miel, c’est au tour de Sébastien de passer à l’action dans sa miellerie. Il récupère les cadres dans les hausses, le “grenier” de la ruche, c’est-à-dire la partie supérieure de la structure où les abeilles produisent le surplus de miel dont elles n’ont pas besoin pour se nourrir. Puis, à l’aide d’un couteau, il enlève les opercules de cire placés par les abeilles sur les alvéoles pleines contenant le miel. Il les dispose ensuite dans un extracteur qui prélève le liquide doré en quelques minutes. Le miel est stocké dans un fût pendant trois à cinq jours afin de parvenir à maturation et permettre aux impuretés de remonter à la surface. Il est ensuite prêt à être mis en pot. Sébastien procède à toutes ces étapes, de A à Z, afin d’assurer le contrôle de l’ensemble de la chaîne de production, qu’il a souhaitée biologique. Pour que sa production soit certifiée, il a acheté des terrains pour ses ruches éloignés de sources potentiellement contaminantes et vérifiés par un membre de la commission bio. Sa gestion de la ruche doit également répondre à des normes : alimentation des abeilles avec des produits biologiques, ruches en bois, recyclage de la cire sans contact avec des produits phytosanitaires. Sébastien est d’ailleurs membre d’une association de producteurs agriculteurs biologiques et, au niveau local, du label des Producteurs engagés, qui limitent la production de déchets et privilégient les circuits courts. Certaines de ses productions disposent également du Label rouge et toutes bénéficient d’une indication géographique protégée qui certifie le lieu de production du miel.

Lorsque la saison de la récolte du miel est terminée, tout comme celles du pollen, de la propolis et de la cire, Sébastien met ses ruches en hivernage. Pendant cette période, de fin septembre à fin février donc, il contrôle les ruches tous les quinze jours, s’assure que les abeilles ont de quoi se nourrir et surtout les protège d’un parasite avec un traitement bio. Ce contrôle de la ruche est essentiel, il permet à l’apiculteur de s’assurer que la colonie sera de nouveau opérationnelle au printemps suivant.

2,5 tonnes de miel en saison 1

Désormais, Sébastien a pour projet, d’ici deux à trois ans, de développer une seconde activité agricole afin « d’assurer [ses] arrières ». Car les difficultés, il sait ce que c’est ! Lorsqu’il débute son exploitation en 2011, il achète soixante-dix ruches. « Cette année-là, j’ai produit 2,5 tonnes de miel, se souvient-il. J’ai commencé très fort sans vraiment le chercher et sans penser qu’il s’agissait d’une année exceptionnelle. » Il investit en conséquence, passe à deux cents ruches et achète le matériel adapté : locaux, terrains, remorque et camion, matériels pour la miellerie. « J’ai été trop optimiste car, l’année suivante, je n’en ai fait que 500 kg, notamment parce que mon organisation n’était pas rodée et que les saisons n’ont pas suivi leur rythme. Il a fait froid très tard, retardant la floraison et impactant la production ainsi que la récolte de miel. » Il précise : « Une floraison retardée ne se rattrape pas. Le fonctionnement d’une ruche suit la floraison et la montée de nectar. Lorsqu’il fait froid, la reine s’adapte et pond moins. De fait, même si la miellée reprend, les abeilles sont moins nombreuses et vont donc moins récolter de miel. »

Les premières années d’exploitation sont donc difficiles car, en plus des mauvaises récoltes, Sébastien n’a pas le temps de développer sa clientèle de consommateurs de miel. « Pendant cinq ans, j’ai connu des difficultés financières et techniques avec le cabinet infirmier à gérer, les ruches, l’entretien du matériel, le développement des colonies, l’alimentation des abeilles, la vente du miel, les marchés. » Mais, progressivement, il développe son réseau et trouve des revendeurs, ce qui lui permet aujourd’hui de commencer à souffler. « Le plus difficile dans une exploitation, ce sont les cinq à dix premières années, rapporte-t-il. C’est pourquoi la plupart des agriculteurs ont deux productions afin de compenser si l’une des deux fonctionne moins bien une année. » Lorsqu’il aura fini de payer ses investissements, il envisage de se lancer dans la production d’huiles essentielles. « Quand j’étais enfant, ma grand-mère m’a appris à reconnaître les fleurs et les aromates, leurs odeurs… En Provence, on bénéficie d’un environnement riche dans ce domaine et c’est une production qui me plairait. » Il a d’ailleurs déjà suivi une formation courte au CFPPA de Nyons (Drôme), afin d’apprendre les bases techniques de la distillation. Il lui reste à acquérir un alambic et des terrains. Et pourquoi, enfin, ne pas développer une petite exploitation de chèvres, pour en revendre le lait. Il en a déjà une dizaine.