Moi (s) sans tabac, Octobre rose, Movember, Semaine des retraités et des personnes âgées, Sidaction, Journées de l’obésité, du cancer, de la prostate… : toutes ces campagnes dédiées, pendant un laps de temps bien délimité, à une “cause” sanitaire, servent-elles réellement à quelque chose ?
C’est évident que cela change le comportement des gens, mais cela dépend de leur caractère plus ou moins influençable. La pression médiatique y est pour beaucoup et c’est aussi lié au fait que les individus ont l’impression d’agir. Le Moi (s) sans tabac, c’est de la prévention, car on agit directement sur les causes du cancer du poumon. Il y a une relation de cause à effet entre le facteur de risque et la maladie. Ce n’est pas le cas avec Octobre rose car le dépistage n’a rien à voir avec la prévention. La malbouffe, les pesticides, les hormones, l’inactivité, l’alcoolisme, le tabac sont les facteurs de risque de ce cancer. Or on n’en parle pas pendant Octobre rose ! Cela dédouane tout le monde alors que le cancer se porte toujours très bien.
Si, totalement. Octobre rose par exemple est très porteur ! Le problème, ce sont les produits labellisés “rose”, alors qu’ils n’ont rien à voir avec la cause elle-même. Il faudrait qu’il soit exigé des enseignes un cahier des charges éthique afin qu’elles affichent les sommes reversées à la cause, les recherches financées et surtout la toxicité des produits labellisés roses, comme les déodorants ! Pour le moment, il y a un triumvirat gagnant : une association qui se met en partenariat avec une enseigne et qui est soutenue par un laboratoire pharmaceutique. Chacun de ces acteurs trouve son intérêt.
L’information “santé” au profit du malade souffre beaucoup. Pour Octobre rose, avec cette couleur, on renferme les femmes sur leur corps qui, même malade, est utilisé comme un jouet commercial. Mais attention, certaines campagnes sont [tout de même] bien conduites. Par ailleurs, tous ces sujets occupent beaucoup trop le terrain médiatique. C’est anxiogène. Le potentiel “client” est pris en otage, enfermé dans une cage d’angoisse où on lui fait croire que ses étapes de vie sont potentiellement médicalisables. On nous prive de la jouissance du présent, cela devient contreproductif. On pourrait être davantage pédagogique et placer le médecin au cœur de cette prévention.
Il ne faut pas considérer les campagnes de prévention comme des exercices de communication isolés. Elles s’intègrent dans un ensemble au sein duquel coexistent, par exemple pour le tabac, des lois, un discours de la population médicale, des pouvoirs publics et une politique tarifaire. On ne peut donc pas isoler les effets de la seule communication. Il faut aussi tenir compte du ressenti, qui varie d’une personne à l’autre : on a un rapport personnel au sujet. En fonction de notre stade dans la vie, on sera plus ou moins réceptif.
Il y a d’abord une question potentiellement morale. Par exemple, lorsque des courses à pied sont organisées et que l’organisme reverse une partie seulement de l’argent des participants à la cause, c’est à chacun de juger si c’est de la récupération ou non. Le sujet n’est pas tant celui de la communication que de l’utilisation d’une cause. En parallèle, se pose la question de la visibilité du sujet. Le fait qu’au moment d’Octobre rose, tout le monde parle du ruban rose, j’ai tendance à penser que c’est une bonne chose car c’est une caisse de résonance. Le dépistage du cancer du sein, il faut s’en préoccuper. Que ce soit dit par un laboratoire, un média ou lors d’une kermesse, selon moi, c’est positif.
C’est difficile à évaluer car l’État n’est pas l’émetteur unique. Si c’était le cas, il serait plus simple de hiérarchiser les messages et d’organiser les sujets. Mais, aujourd’hui, de nombreux acteurs font des petites campagnes qui ont une faible résonance. Qu’est-ce que cela produit in fine ? Je n’en sais rien. Est-ce contreproductif ? Est-ce qu’il ne faudrait pas le faire parce que cela peut être angoissant pour les populations ? J’ai tendance à dire : “tant pis”. Les médecins ne font pas réellement de prévention, personne d’autre non plus d’ailleurs. Alors, quelle est l’alternative à ces campagnes ? Aujourd’hui, dans l’organisation de notre système de santé, je n’en vois pas…
* C’est cette agence qui a notamment réalisé, pour l’Assurance maladie, la fameuse campagne “les antibiotiques, c’est pas automatique”.