Cahier de formation
La dermatite atopique
Mme H., 42 ans, a une prescription pour des soins locaux dans le cadre d’une dermatite atopique sévère. En arrivant chez elle, elle vous dit qu’elle ne fera sans doute pas le traitement à base dermocorticoïdes : « Ce n’est pas efficace et, en plus, je suis sûre que c’est dangereux pour ma peau et mon corps. » Elle redoute les phénomènes d’accoutumance et de rebond : « Ma mère en a pris longtemps pour sa polyarthrite et c’est revenu encore pire. »
Vous interrogez la patiente : « De quoi avez-vous peur exactement ? Vous avez lu ou entendu des choses négatives ? Quoi exactement ? » Vous lui dites également que vous entendez ses craintes, mais que de nombreuses études et des dizaines d’années de recul permettent aujourd’hui d’utiliser ces produits en toute sécurité, selon des modalités d’application bien précises que vous abordez avec elle au moment du soin. Vous rappelez également que les dermocorticoïdes permettent uniquement de traiter la poussée en cours. Quant à l’argument concernant sa mère, vous expliquez à la patiente qu’il faut distinguer les dermocorticoïdes de la cortisone par voie systémique.
Aussi appelée dermocorticophobie ou corticoréticence, la corticophobie est la crainte, la peur, voire le refus d’utiliser des dermocorticoïdes.
Selon une étude française datant de 2011, 80 % des personnes interrogées, parents d’enfants atopiques ou adultes atteints de dermatite atopique, se déclarent corticophobes.
→ D’effets secondaires locaux : les personnes craignent une atrophie cutanée, c’est-à-dire un amincissement de la peau et sa fragilisation : retard de cicatrisation, vergetures… Ils redoutent d’autres effets cutanés comme le blanchiment de la peau, l’acné, la pousse des poils.
→ D’une atteinte systémique : sont redoutés un retard de croissance, une prise de poids…, par analogie avec les corticoïdes oraux et en supposant que la totalité des principes actifs passent dans le sang.
→ D’une dépendance : les corticophobes ont peur de la dépendance et de la perte d’efficacité au long cours. Les dermocorticoïdes sont aussi souvent accusés, après avoir fait “rentrer l’eczéma”, de faire “sortir l’asthme”.
Dans l’imaginaire collectif, il peut par exemple subsister la doctrine des “humeurs” qui suppose que la peau est un émonctoire – une voie d’élimination des déchets – et que les dermatoses sont un moyen naturel de rétablir l’équilibre interne…
Le manque d’homogénéité des discours des différents professionnels de santé, par exemple entre le dermatologue qui prescrit et le pharmacien qui délivre, renforce la peur.
La désinformation peut aussi être présente dans l’environnement non médical du patient : ne pas négliger le rôle potentiellement délétère de l’entourage, des médias et des forums de discussion sur Internet.
La corticophobie est entretenue par la lecture des notices, qui peuvent être vues comme anxiogènes par le patient, puisqu’y figurent notamment les effets les plus graves, rarrissimes voire exceptionnels si l’utilisation est conforme.
La corticophobie conduit immanquablement à l’échec thérapeutique. Le traitement, démarré trop tardivement ou à des doses trop faibles, ne soulage pas efficacement le patient, ce qui expose à un risque de complications. L’inconfort et le prurit s’aggravent, les lésions de grattage sont plus nombreuses. La peau se lichénifie et le risque de surinfection augmente.
Tant que le traitement n’est pas compris ni appliqué correctement, tant que la dermatite atopique n’est pas perçue comme une dermatose chronique évoluant par poussées, les familles continuent de chercher des solutions, consultent de nombreux médecins avec un nomadisme médical fréquent. Les patients renoncent parfois aux traitements de base et se tournent alors exclusivement vers les médecines alternatives.
La marche à suivre consiste à traiter les doutes de la personne les uns après les autres en reprenant ses termes pour ne pas donner l’impression de les passer sous silence ou de les minimiser. Bien entendu, le soignant ne doit pas être corticophobe lui-même… (lire l’encadré en bas de la page ci-contre).
La corticophobie n’est pas un simple caprice à balayer d’un revers de main, mais une vraie peur qu’il faut entendre sans la juger ni la minimiser. Il ne faut pas accabler les patients ou les parents, mais plutôt les rassurer. Dans tous les cas, il ne faut pas rompre avec la vision des patients ou des parents, mais écouter leurs angoisses.
Les dermocorticoïdes constituent un traitement purement symptomatique de la dermatite atopique. Si celle-ci se manifeste de nouveau, ce n’est pas à cause d’un manque d’efficacité du produit, mais bien en raison du caractère chronique et cyclique de la maladie. Une sous-consommation au moment de la crise conduit à sa non-résolution tandis qu’une utilisation optimale permet de soulager rapidement.
La survenue d’effets secondaires cutanés résulte des propriétés métaboliques et immunosuppressives des molécules prescrites. Mais ces réactions locales sont rares, souvent réversibles. De plus, l’action locale se concentre au niveau épidermique, là où siègent les plaques d’eczéma. Se souvenir que l’épiderme n’étant pas vascularisé, le passage dans le sang est très faible, voire inexistant. Les effets indésirables généraux tels que prise de poids, diabète, retard de croissance… ne sont qu’exceptionnellement observés.
Contrairement aux corticoïdes systémiques qui doivent être manipulés avec précaution et faire l’objet d’une décroissance progressive en cas de traitement au long cours, les dermocorticoïdes peuvent être utilisés de façon plus binaire : appliquer dès l’apparition des plaques, arrêter dès leur disparition. En revanche, un épuisement de l’effet est parfois observé après un nombre plus ou moins grand d’applications – c’est la tachyphylaxie. Lorsque cette tolérance s’accompagne d’une augmentation des doses, le risque d’effets secondaires cutanés peut être majoré.
Le phénomène est réversible à l’arrêt ou à l’espacement des applications. Enfin, la survenue d’un asthme chez un patient qui a souffert d’une dermatite dans son enfance peut être liée à l’évolution naturelle de l’atopie, mais pas aux dermocorticoïdes.
Une application par jour le soir sur une peau encore un peu humide, jusqu’à disparition totale des lésions. Reprendre le traitement quotidien dès les premiers signes d’eczéma.
Les dermocorticoïdes ne s’appliquent que sur les plaques d’eczéma ; un émollient est appliqué partout ailleurs sur la peau saine pour lutter contre la sécheresse cutanée. Appliquer sur les lésions inflammatoires actives en dépassant un peu en couche ni trop fine, ni trop épaisse, puis masser légèrement.
La quantité à passer est très variable d’un patient à l’autre et d’une poussée à l’autre. La “bonne” quantité est celle qui permet de traiter efficacement le patient à un moment donné. Si possible, il faut compter le nombre de tubes consommés entre deux consultations et établir un calendrier des poussées, afin que le médecin puisse se faire une idée de la façon dont les dermocorticoïdes sont utilisés et apporter son aide le cas échéant.
Dr Sandrine Rappelle, Centre hospitalier d’Arles (Bouches-du-Rhône)
« Dans la dermatite atopique comme dans toutes les maladies chroniques, l’IDE, qu’elle exerce en milieu libéral ou hospitalier, apporte son soutien au patient et le remotive dans la poursuite du traitement quotidien. Elle peut aussi réorienter un patient vers la consultation alors que ce dernier avait baissé les bras pensant qu’il n’y a plus rien à faire après une prise en charge ancienne. Sur le plan strictement clinique, l’IDE renforcera le dialogue pour éventuellement désamorcer une peur des traitements dermocorticoïdes et sera capable de dépister une complication de la dermatite atopique, due à la maladie elle-même ou à son traitement. »
Et moi, Idel, suis-je un peu corticophobe ? N’ai-je pas tendance à mettre en garde exagérément contre les corticoïdes locaux ?
→ Faire le point
Évaluer sa propre corticophobie en repérant ses automatismes face aux corticoïdes locaux. Le questionnaire Topicop, initialement destiné aux patients (lire ci-après), ne propose pas de score pour l’interprétation, mais il permet de révéler ses propres méfiances.
→ Se (re) former
C’est la clé pour oublier ses idées préconçues sur les corticoïdes locaux et délivrer un message exact aux patients. Insister sur le mode d’action, la pharmacocinétique et rassurer quant à l’apparition d’effets indésirables.
→ Le questionnaire Topicop
Le terme CC désigne les crèmes aux corticoïdes (ou dermocorticoïdes ou crèmes à la cortisone). Pour chaque item, se positionner en choisissant l’une des quatre réponses possibles :
• Pas du tout d’accord
• Pas vraiment d’accord
• Presque d’accord
• Tout à fait d’accord
→ Croyances
1 Les CC passent dans le sang
2 Les CC favorisent les infections
3 Les CC font grossir
4 Les CC abîment la peau
5 Les CC ont des effets sur ma santé future
6 Les CC favorisent l’asthme
→ Comportement
1 Je n’en connais pas les effets secondaires mais j’ai peur des CC
2 J’ai peur d’utiliser une dose de crème trop importante
3 J’ai peur d’en mettre sur certaines zones où la peau est plus fine, comme les paupières
4 Je me traite le plus tard possible
5 Je me traite le moins longtemps possible
6 J’ai besoin d’être rassuré vis-à-vis du traitement par CC
Questionnaire en ligne : bit.ly/1Ta997p
Les dermocorticoïdes favorisent les infections.
Faux. Leur utilisation conforme aux recommandations et de façon suffisamment précoce permet de lutter efficacement contre l’inflammation, de restaurer la fonction barrière de la peau et donc de prévenir les phénomènes de surinfection. En revanche, en cas d’infection cutanée constituée, suspendre transitoirement l’application car il s’agit d’une contre-indication à leur usage.
Ils sont incompatibles avec l’exposition solaire.
Faux. Les dermocorticoïdes ne sont pas photosensibilisants.
Certains patients développent une allergie aux dermocorticoïdes.
Vrai. Cela se traduit par une résistance au traitement bien conduit d’une dermatose classiquement “corticosensible” ou par l’apparition de nouvelles lésions sur des zones inhabituelles, sur les mains ou autour des lésions préexistantes. Cet eczéma de contact reste néanmoins très rare.