Adapter les soins de plaie - L'Infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017

 

Cahier de formation

Savoir faire

Tout au long des soins d’ulcère, la prise en charge de l’exsudat est primordiale. La douleur, surtout lors du retrait du pansement et de la détersion de la plaie, doit être soulagée. Il est également important de surveiller toute surinfection de l’ulcère.

Vous vous présentez chez Mme H. pour la prise en charge d’une plaie située en bas de la jambe. Elle vous dit qu’elle a cette plaie depuis plusieurs semaines mais qu’elle n’arrive pas à la soigner. Son médecin traitant a donc proposé le passage d’une infirmière pour les pansements. Il a aussi demandé un écho-doppler, rendez-vous est pris pour la semaine prochaine.

Vous observez la plaie : elle est ovale avec des bords pas nettement délimités, elle semble superficielle et la jambe porteuse de la plaie est œdématiée. Autant d’éléments en faveur d’un ulcère d’origine veineuse. Vous regardez si le médecin a demandé un écho-doppler veineux ou artériel et vous posez quelques questions sur les antécédents médicaux de Mme H., à la recherche d’indices d’une participation artérielle.

ÉVALUER LA SITUATION

Physiopathologie méconnue

Les infirmières sollicitées pour prendre en charge un ulcère de jambe n’ont pas toujours les informations nécessaires pour connaître l’étiologie de l’ulcère. Elles peuvent demander un IPS, examen le plus facilement interprétable par l’infirmière, mais sans garantie de l’obtenir. Dans de nombreux cas, les infirmières sont amenées à prendre des précautions en fonction de leurs propres observations.

Observation clinique

La connaissance de la clinique des ulcères de jambe et des maladies vasculaires sous-jacentes est une aide précieuse pour orienter l’approche thérapeutique de la plaie (lire p. 34). Il s’agit surtout de dépister une participation artérielle pour la sécurité du soin.

Les pouls distaux

L’infirmière peut vérifier la vascularisation du membre en prenant le pouls pédieux, au milieu de la face dorsale du pied, et le pouls tibial, palpable en arrière de la malléole interne. « Une jambe fine, dépilée, des pouls peu perceptibles et un pied froid doivent alerter l’infirmière sur une possible participation ou origine artérielle. Elle doit demander un écho-doppler artériel avant d’intervenir car la détersion ne sera possible que sur un membre revascularisé », rappelle Frédérique Siesse, infirmière libérale, référente auprès du Réseau plaies et cicatrisation du Languedoc Roussillon (Cicat-LR).

La couleur de la plaie

La présence d’une zone noire constituée de tissu nécrosé alerte l’infirmière sur une possible participation artérielle à l’ulcère de jambe. Un ulcère veineux pur est jaune, couleur d’une zone fibrineuse, et/ou rouge, couleur du nouveau tissu conjonctif en formation appelé “bourgeon charnu” ou “tissu de granulation”.

La localisation de la plaie

La localisation et la présence d’un seul ou de plusieurs ulcères sont également des indicateurs (lire p. 34).

Patient

L’état de santé du patient peut aussi orienter l’étiologie de l’ulcère de jambe. Les facteurs de risques d’une participation artérielle à l’ulcère sont les facteurs de risque d’Aomi :

→ tabagisme ;

→ hypercholestérolémie avec LDL (Low Density Lipoprotein) cholestérol élevé

→ HDL (High Density Lipoprotein) cholestérol inférieur à 0,40 g/l (1,0 mmol/l) ;

→ hypertension artérielle ;

→ diabète traité ou non et syndrome métabolique ;

→ insuffisance rénale chronique ;

→ antécédents familiaux de maladie coronarienne précoce (infarctus du myocarde avant 55 ans chez le père ou un frère, avant 65 ans chez la mère ou une sœur).

DÉTERSION

Toilette de la jambe

Le premier temps du soin

La toilette de la jambe à l’eau savonneuse, de préférence avec un savon doux, liquide, sans parfum et sans conservateur, est le premier temps du soin de la plaie, qu’une toilette ait été prescrite ou pas. Le rôle d’un lavage fréquent est primordial pour réduire le nombre de germes présents sur la plaie et contenir la colonisation bactérienne en dessous du seuil d’une infection locale. D’autant plus si l’ulcère est très exsudatif.

La mise en œuvre

Si le patient est en capacité, doucher la jambe entière sous un jet d’eau tiède à faible pression permet de chasser une partie de la fibrine ou de la ramollir pour une détersion plus aisée par la suite. Si le patient est assez autonome, l’infirmière peut lui proposer de défaire lui-même son pansement et de laver sa jambe et de rincer sa plaie jusqu’à son arrivée. Si le patient ne peut se déplacer sous la douche, un lavage à l’eau savonneuse avec une bassine est beaucoup plus efficace qu’un peu de sérum physiologique distillé à la seringue. Après le rinçage, la peau périphérique est séchée pour éviter un risque de macération.

Détersion mécanique

La mise en œuvre

La détersion mécanique, ou débridement, se fait à l’aide de compresses, curettes, pinces à disséquer, ciseaux ou bistouris qui nécessitent une certaine maîtrise. Les compresses (de préférence non tissées) sont utilisées pour enlever la fibrine sur plaie fibrineuse, en veillant à ne pas arracher les bourgeons des tissus sains.

Les objectifs

La détersion mécanique vise une élimination rapide de la nécrose et de la fibrine la plus complète possible et la moins traumatique pour le lit de la plaie. La détersion mécanique complète la détersion enzymatique naturelle pour obtenir le parage de la plaie, c’est-à-dire le nettoyage des fragments de tissus dévitalisés présents dans la plaie qui entraînent un risque infectieux important et empêchent une cicatrisation optimale. Le maintien d’un milieu humide favorisant la prolifération de tissus sains.

La détersion de l’ulcère veineux

→ Plaies fibrineuses : la majorité des ulcères veineux non compliqués ont relativement peu de nécrose à leur surface. La détersion consiste donc à retirer la fibrine où elle se trouve. Une nécrose tissulaire peut être par exemple due à une colonisation bactérienne importante ou un œdème incontrôlé. Les pansements hydrogels qui hydratent la fibrine et les tissus nécrotiques facilitent leur élimination.

→ En cas de fibrine trop adhérente : une fibrine très adhérente peut être dificile à retirer mécaniquement. L’infirmière ne peut pas insister au risque d’être traumatique pour les bourgeons sous-jacents. Le recours aux pansements hydratants permet de ramollir la fibrine et de faciliter son retrait. La détersion mécanique sera moins intensive mais plus répétée et limitée par la douleur, combinée à des lavages fréquents et des pansements adaptés. Des réseaux d’experts, lorsqu’ils existent, peuvent intervenir pour un accompagnement dans les situations difficiles.

La détersion de l’ulcère artériel ou mixte

→ En fonction de l’IPS : « La détersion mécanique de l’ulcère artériel ne se fait jamais sans connaître l’état vasculaire du membre atteint », avertit Sylvie Palmier, infirmière consultante Plaies et cicatrisation du CHU de Montpellier (Hérault). Un IPS inférieur à 0,7 interdit la détersion de la nécrose sèche. « Dans ce cas, la détersion qui enlèverait du tissu nécrotique en l’absence d’apport suffisant de sang oxygéné, laisserait la plaie se nécroser à nouveau un peu plus en profondeur. Ce qui aggraverait la situation. » Le risque est alors de creuser la plaie jusqu’à l’os ou à l’articulation. Se contenter alors de gérer et de surveiller la plaie avec des pansements protecteurs et observer l’évolution de la plaie. Si une revascularisation est pratiquée, la détersion pourra reprendre.

→ En l’absence d’IPS : la détersion sera extrêmement prudente. La surveillance régulière de l’évaluation colorielle du lit de la plaie permet de repérer une aggravation et/ou une réaction inflammatoire, signe d’une éventuelle infection qui impose un avis médical, voire chirurgical. Si l’ulcère est distal, localisé sur le pied, les orteils ou le talon, il faudra impérativement utiliser des pansements asséchant la plaie pour rechercher la momification des lésions. La nécrose est asséchée avec de la Bétadine, un alginate (si plaie suintante) ou des pansements sec au charbon. La momification permet de réduire le risque d’infections, la douleur et l’extension de la nécrose, mais aussi de retarder, de limiter ou d’éviter l’amputation. Ici encore, le choix dépend de la possibilité d’une revascularisation.

PHASES DE BOURGEONNEMENT ET DE RÉÉPITHÉLIALISATION

L’infirmière continue à maintenir un bon équilibre entre plaie trop humide ou plaie trop sèche en contrôlant l’exsudation par le choix du pansement et la fréquence de son renouvellement. Elle surveille l’état de la peau périlésionnelle et la qualité du bourgeonnement, notamment l’absence d’hyperbourgeonnement ou de plaie atone qui empêcherait la cicatrisation. Des greffes en pastilles ou en résille peuvent être proposées sur les ulcères de grande taille (c’est-à-dire supérieurs à 10 cm2) et les ulcères rebelles ne cicatrisant pas après six mois de traitement. Les greffes ont un effet antalgique et raccourcissent la durée de cicatrisation.

PANSEMENTS

Gestion des exsudats

La juste humidité

« La gestion de l’ulcère de jambe, c’est la gestion des exsudats », a coutume de dire Frédérique Siesse pour signifier l’importance de contrôler l’humidité de la plaie. « En général, l’ulcère veineux est plus exsudatif que l’ulcère artériel à cause de la stase veineuse qui provoque de l’œdème, voire du lymphœdème quand les canaux lymphatiques sont atteints. Alors que l’ulcère artériel est moins exsudatif car sa physiopathologie correspond plus à un infarctus cutané », ajoute Sylvie Palmier. Dans tous les cas, l’infirmière recherche le bon équilibre entre excès d’humidité et plaie trop sèche. Elle doit pour cela adapter la capacité d’absorption du pansement et la fréquence de son renouvellement en fonction de l’exsudation.

L’évaluation de l’exsudation

La quantité d’exsudat guide le choix du pansement pour que le lit de la plaie reste juste assez humide pour ne pas se ramollir. Elle peut s’évaluer par l’observation et/ou par l’action du pansement. Un pansement adapté est refait environ deux à trois fois par semaine. Lorsque les changements deviennent plus fréquents, le pansement n’est plus assez absorbant, il faut passer à une capacité d’absorption supérieure pour limiter la fréquence des soins. Une exsudation brutalement augmentée après une période de stabilité doit faire s’interroger sur sa cause et peut justifier un signalement au médecin.

Le choix du pansement*

Les plaies exsudatives

→ Les hydrocellulaires ont détrôné les hydrocolloïdes dans les habitudes et représenteraient plus du tiers des prescriptions de pansements en ville. Depuis le 1er avril 2016, la nomenclature distingue trois types d’hydrocellulaires : les hydrocellulaires à absorption moyenne indiqués pour les plaies faiblement exsudatives, les hydrocellulaires à absorption importante pour les plaies plus exsudatives et les hydrocellulaires superabsorbants pour les plaies très exsudatives.

→ Les hydrocolloïdes sont recommandés pour les plaies peu à moyennement exsudatives.

→ Les alginates sont caractérisés par leur capacité d’absorption et leurs propriétés hémostatiques. Ils se présentent sous la forme de compresses ou de mèches. Il sont utilisés en pansement primaire sur des plaies exsudatives même infectées en raison de leur pouvoir bactériostatique.

→ Les hydrofibres, sous forme de compresses ou de mèches, sont utilisés en pansement primaire pour les plaies très exsudatives.

Les plaies peu ou pas exsudatives

→ Les hydrogels sont utilisés sur des plaies sèches pour assurer leur humidification et pour faciliter l’élimination des tissus fibrineux et/ou nécrotiques. Ils sont présentés sous forme de compresses imprégnées et de plaques, adhésives ou non.

→ Les pansements vaselinés ou tulles, sous forme de compresses imprégnées d’une substance grasse neutre non adhérente (vaseline, paraffine…), s’utilisent sur plaie sèche ou faiblement exsudative pour maintenir l’humidité. Leurs mailles larges risque d’arracher des bourgeons nouvellement formés lors du retrait.

→ Les pansements interfaces, sous forme de compresses ou de mèches, s’utilisent sur plaies très peu exsudatives. Dotés d’un faible pouvoir absorbant, ils sont associés à un pansement secondaire pour les maintenir et absorber l’excès d’exsudats. Leurs mailles plus étroites que celles des tulles entraînent moins de risque d’arrachement des bourgeons lors du retrait.

→ Les pansements à base d’acide hyaluronique, sous forme de compresses imprégnées, crèmes ou sprays, sont particulièrement intéressants pour relancer la cicatrisation des plaies atones. Ils créent un milieu humide favorable au développement du processus de cicatrisation. Utilisables en phase de détersion, ils sont surtout intéressants en phase de bourgeonnement ou d’épithélisation.

Les plaies malodorantes

Les pansements à base de charbon actif, sous forme de plaques et de compresses, sont pris en charge par l’Assurance maladie pour les plaies malodorantes. Ils sont le plus souvent utilisés sur les ulcères sales et malodorants, en particulier d’origine cancéreuse.

La peau périlésionnelle

Il est préférable de favoriser un retrait atraumatique du pansement en respectant la saturation du produit. L’application d’eau ou l’utilisation de solvant (type Remove) peut être nécessaire. Préférer les pansements dont les bords adhésifs sont en silicone afin de minimiser les traumatismes lors du retrait. Dans la mesure du possible, l’infirmière peut choisir des pansements non adhésifs maintenus par des bandes cohésives type “peha-haft”, pas trop serrées, indiquées en cas de participation artérielle à l’ulcère.

TRAITEMENT DE LA PEAU PÉRILÉSIONNELLE

Précautions

La prise en charge de la peau périlésionnelle doit être systématique dans les ulcères de jambe. Plusieurs facteurs contribuent à fragiliser la peau en périphérie de la plaie, l’étiologie (peau fine autour d’un ulcère artériel), l’âge du patient (la peau devient plus fine et plus fragile avec le vieillissement), des traumatismes répétés lors des soins ou une exsudation mal contrôlée.

Macération

Le contact permanent avec l’humidité d’un exsudat insuffisamment absorbé par le pansement provoque une macération des berges de la plaie. La peau se ramollit, blanchit et s’abîme. La macération entraîne un agrandissement des plaies et/ou l’apparition d’ulcères satellites. Il convient dans ce cas d’augmenter la capacité d’absorption des pansements ainsi que leur fréquence de renouvellement, jusqu’à deux fois par jour sur quelques jours. L’application d’un protecteur cutané peut être bénéfique (Cavilon, Conveen Protact). Le choix des pansements contribue à prévenir la macération. Les pansements absorbants dépassent les berges de la plaie d’environ 2 cm. Alors que les pansements gras ou humides utilisés sur plaies sèches ne devraient pas dépasser sur les bords de la plaie.

Eczéma

Fréquent en périphérie d’un ulcère veineux, il peut être majoré par une sudation excessive, une réaction à l’écoulement d’exsudat, une macération, une mycose ou une allergie à des produits utilisés pour les soins. L’eczéma est le plus souvent marqué par une éruption cutanée rouge, parfois gonflée, qui provoque des démangeaisons. Des vésicules apparaissent, se rompent le plus souvent, et donnent un aspect suintant puis croûteux. Le traitement consiste à assécher la plaie et à réduire la stase veineuse. L’eczéma est le plus souvent traité par l’application de dermocorticoïdes sur les principales lésions (Locoïd, Ultralan…) et des émollients sur des surfaces plus larges (Cold Cream, liniment oléo-calcaire…).

Cancérisation de l’ulcère

Les bords de l’ulcère veineux ne sont généralement pas bourgeonnants. Une augmentation importante du nombre de bourgeons sur un ulcère récidivant et/ou très ancien qui deviennent hypertrophiques et dépassent la surface de la plaie, surtout si elle est accompagnée de douleurs inhabituelles et mal calmées, de saignements inhabituels, répétés, d’un aspect verruqueux, peut révéler une cancérisation de l’ulcère. Elle doit interroger et peut justifier une biopsie.

* Tous les modèles de pansements, leurs modalités de prise en charge et de prescription dans notre Mémento de la prescription infirmière, 10e édition, paru en novembre 2016.

Point de vue

« Provoquer un micro-saignement n’est pas dramatique »

Sylvie Palmier, infirmière consultante Plaies et cicatrisation du CHU de Montpellier (Hérault)

« L’infirmière qui n’a pas l’habitude de faire des détersions de plaies peut craindre de mal faire. Notamment lorsque le bourgeon sous-jacent est touché et qu’un saignement apparaît. Or provoquer un micro-saignement n’est pas dramatique, d’autant que le sang est porteur de facteurs de croissance. La rupture d’une petite varice est possible lors de la détersion d’un ulcère veineux. L’infirmière doit dans ce cas surélever la jambe et appliquer un pansement hémostatique compressif qu’il vaut mieux toujours avoir avec soi. Les saignements s’arrêtent, mais une sclérothérapie d’une varice au niveau de la plaie peut être nécessaire pour éviter les récidives. »

Point technique

Pansement sous une compression

Frédérique Siesse, infirmière libérale, référente auprès du Réseau plaies et cicatrisation du Languedoc-Roussillon (Cicat-LR)

« Quand il est placé sous une bande de compression, la capacité d’absorption du pansement choisi sera un peu supérieure à ce qu’elle n’aurait été sans compression. Il faut impérativement choisir un pansement qui ne relargue pas ou plutôt qui relargue le moins possible les exsudats absorbés, surtout si le pansement est maintenu en place plusieurs jours. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à associer une ou deux plaques d’alginate en pansement primaire. Même avec un changement quotidien, la saturation du pansement doit être surveillée. Observer si l’exsudat a taché le pansement secondaire ou la bande. Et adapter le pansement à l’exsudation. »