Des sites “pro-vie” bientôt coupables du délit d’entrave ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017

 

SANTÉ PUBLIQUE

Actualité

Caroline Coq-Chodorge  

IVG > La ministre du Droit des femmes veut élargir le délit d’entrave à l’IVG aux sites Internet “pro-vie” qui cherchent à dissuader les femmes d’avorter. Est-ce une atteinte à la liberté d’expression ?

Lorsqu’on tape les mots “IVG” ou “avortement” sur Internet, les premiers sites référencés par Google semblent, au premier abord, offrir tous les gages de sérieux : présentation sobre, numéro vert, etc. Mais quelques minutes d’exploration suffisent pour réaliser qu’ils cherchent surtout à décourager les femmes d’avorter. Le site ivg.net, par exemple, prétend donner « toutes les infos sur l’IVG dont vous avez besoin », mais il relaie aussi des témoignages glaçants de femmes, par exemple celui d’Élisa, 25 ans, pour qui « vivre cela s’avère être un enfer pour moi » et qui demande « des conseils pour faire des électrochocs à nos hommes, qui ne veulent pas de leurs bébés ». Idem sur avortement.net, même apparence de sérieux et témoignages similaires.

Selon Le Monde, qui a enquêté sur ces deux sites, ils ont réussi à duper des mairies, des départements et même le centre hospitalier de Bordeaux (Gironde), qui renvoient vers ce numéro vert sans savoir que c’est celui d’une association hostile à l’IVG. À l’origine des deux sites les plus fréquentés, un couple de militants catholiques. Auditionnés par l’Assemblée nationale, ils ont revendiqué 2 000 appels par an sur leur numéro vert et une vingtaine d’écoutants. Le financement de ces sites reste mystérieux.

Remaniement du texte

En 2013, le gouvernement a tenté de réagir en créant son site ivg.social-sante.gouv.fr, mais n’est pas jusqu’ici parvenu à détrôner ivg.net. Laurence Rossignol, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes a donc tenté, fin septembre, de faire adopter un amendement élargissant le « délit d’entrave » à l’IVG, créé en 1993 et passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, aux informations « faussées » diffusées sur Internet. Mais elle s’est heurtée à l’opposition d’une partie de la droite, qui a rejeté l’amendement au Sénat. Les détracteurs de cette mesure dénoncent une « atteinte à la liberté d’expression ». Le professeur de sciences politiques Dominique Reynié, membre du parti Les Républicains (LR), argumente ainsi dans une tribune publiée sur Le Figaro : « Favorable au droit à l’IVG, j’estime que la décision d’y recourir est d’une extrême gravité. Mon opinion est en passe de devenir un délit. » Pour lui, « les questions soulevées par ces sites alternatifs sont pourtant recevables. Évidemment, ils ne sont pas favorables à la manière dont se pratique aujourd’hui l’IVG, mais cette appréciation relève de leur liberté ».

« Les opposantes et opposants à l’avortement ont l’entière liberté d’affirmer leurs convictions anti-IVG, quel que soit le support de leur expression, à condition de le faire en toute honnêteté », a répondu le 7 décembre, devant les sénateurs, Laurence Rossignol. Car les socialistes ne désarment pas : des députés ont déposé une nouvelle proposition de loi fin novembre, qui a donné lieu à des débats houleux. Sans surprise, l’Assemblée nationale l’a adoptée le 1er décembre. Et la droite sénatoriale a finalement cherché un compromis et adopté jeudi 7 décembre un texte remanié, « moins attentatoire à la liberté d’opinion », selon le sénateur LR Hugues Portelli, également professeur de droit public. Si députés et sénateurs ne parviennent pas à s’entendre sur un texte, l’Assemblée aura le dernier mot. La proposition de loi a donc toutes les chances d’être adoptée.

La droite est en réalité divisée sur le sujet. L’élue LR Aurore Bergé a par exemple publié un post sur Facebook où elle raconte l’appel qu’elle a passé au numéro vert de ces sites. En « 18 minutes de conversation », elle a eu « droit à tout » : « les couples ne se remettent pas d’une IVG », « l’IVG augmente considérablement les risques d’infertilité », etc. « C’est un poison et un scandale », dénonce-t-elle.

Prudence au lycée

Quelle est la position des professionnels de santé sur le sujet ? Elle est prudente, à l’image de Brigitte Gauthier, membre du Syndicat des infirmiers conseillers de santé (SNICS-FSU). Cette infirmière a « 25 ans d’expérience dans l’Éducation nationale » et elle exerce dans un lycée général et technologique près de Rennes (Ille-et-Vilaine). Elle « ne peu[t] pas témoigner de cas de jeunes filles troublées par des sites qui entravent l’accès à l’IVG ». Mais elle constate « la multiplication des sites d’information sur la contraception et l’avortement sur Internet. Il faut accompagner les jeunes pour qu’ils s’y retrouvent. Une fois par an, j’organise une réunion d’information pour les classes de seconde, et je leur conseille deux sites de référence : choisirsacontraception.fr et onsexprime.fr ».