Cahier de formation
Savoir faire
Vous vous rendez chez Mme F. pour la prise en charge d’un ulcère veineux. Lorsque vous commencez la détersion, elle vous arrête en vous disant que la douleur est insupportable.
Vous arrêtez le soin et vous dites à la patiente que vous allez vous contenter de changer le pansement pour cette fois. Vous lui proposez d’évaluer la douleur à l’aide d’une échelle EVA. Vous lui expliquez que cette phase du soin est particulièrement douloureuse mais qu’il existe des moyens de soulager cette douleur. Vous la rassurez : vous allez appeler son médecin traitant pour la prescription d’une crème anesthésique qu’elle appliquera une demi-heure avant votre visite. Si cela ne suffit pas, il sera alors possible de demander une prescription d’antalgique supplémentaire au médecin.
« La douleur est présente dans tous les ulcères, qu’ils soient artériels ou veineux. Entre 60 et 80 % des ulcères sont douloureux. La douleur est variable, constante ou intermittente, et peut atteindre son paroxysme au moment des soins de plaie », constate le Dr Isabelle Lazareth, chef de service adjoint de médecine vasculaire-phlébologie, Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph. Le retrait du pansement et les soins de détersion sont les moments considérés comme les plus douloureux par les patients. Ce sont pourtant des actes indispensables. La fibrine, protéine filamenteuse produite lors de la coagulation sanguine, entrave la migration et la prolifération cellulaire nécessaires au processus de cicatrisation. Elle favorise aussi la surinfection des plaies. Les douleurs liées aux soins restent très fréquentes. Pour en éviter les nombreux effets délétères, il revient au soignant de repérer, d’évaluer, de soulager et d’anticiper la douleur induite par les soins.
La douleur peut entraver la mise en œuvre de soins locaux adaptés et affecter rapidement la qualité de vie du patient.
La douleur non soulagée lors d’un soin entraînera une majoration des douleurs ressenties lors d’un soin identique ultérieur. « Au fil du temps, le soin peu devenir insupportable. Le patient qui ressent de l’appréhension vis-à-vis de cette douleur peut devenir irritable, jusqu’à refuser le soin. Et les relations avec le soignant peuvent rapidement se détériorer », souligne Isabelle Gaillard, infirmière libérale à Poisat (Isère).
La douleur est également un obstacle à la réalisation d’un soin efficace. « Retirer un pansement, laver et déterger un ulcère de jambe peut devenir problématique pour le soignant qui craint de faire mal. Et soulever des difficultés de positionnement vis-à-vis d’un soin qui guérit à long terme mais fait souffrir lors de sa réalisation », remarque l’infirmière libérale.
« L’ulcère artériel est souvent considéré comme plus douloureux que l’ulcère veineux, alors qu’un ulcère veineux peut s’avérer extrêmement douloureux. C’est pourquoi l’évaluation et le traitement de la douleur ne peuvent en aucun cas reposer sur l’étiologie de l’ulcère », met en garde Isabelle Gaillard, rappelant que « la douleur est un phénomène subjectif, ressenti de façon singulière par chaque patient ». Première étape de la prise en charge de la douleur, l’évaluation permet d’identifier les patients douloureux, d’objectiver leur ressenti et de mieux comprendre leur souffrance. L’évaluation est possible avec différentes échelles adaptées aux patients, simples et rapides d’utilisation, l’échelle visuelle analogique (EVA), l’échelle verbale simple (EVS) ou l’échelle numérique simple (ENS).
L’anxiété du patient majore le vécu douloureux du soin. Elle nécessite une réassurance répétée, un respect du malade et de sa pudeur. Pour favoriser une meilleure acceptation du soin et sa bonne réalisation du soin :
→ choisir les moments des soins avec le patient ;
→ l’installer confortablement en évitant les tensions inutiles ;
→ nettoyer la plaie par le lavage ;
→ expliquer le soin et répondre aux questionnements du patient pour diminuer la crainte de l’inconnu ;
→ maintenir le dialogue avec le patient durant le soin ;
→ choisir un pansement avec une absorption adaptée permettant d’espacer son renouvellement.
Lors d’un douchage de la plaie, l’intensité du jet sera réglée en fonction de la douleur. « Dans tous les cas, la température sera choisie en fonction des préférences du patient qui apprécie différemment les effets antalgiques du chaud ou du froid qui peuvent apporter un réel soulagement », rappelle Isabelle Gaillard.
Lors du retrait du pansement, le maintien de la peau péri-lésionnelle limite la traction sur des tissus fragilisés. Humidifier le pansement avec du sérum physiologique ou sous la douche diminue son adhérence et rend ainsi le retrait moins douloureux.
Le choix du matériel et de la technique dépend des préférences du soignant qui doit être à l’aise avec le soin. La détersion mécanique est alors effectuée de manière franche afin d’éviter les manipulations excessives et traumatisantes. En évitant aussi les pressions inutiles sur les berges de la plaie et les zones de bourgeonnement très vascularisées. Il est conseillé de déterger des bords vers le centre de la plaie, l’ulcère cicatrisant à partir des bords.
Les crèmes à base de lidocaïne et de prilocaïne (Emla 5 % crème, Anesderm 5 % crème, Lidocaïne prilocaïne Biogaran 5 % crème) sont indiquées dans l’anesthésie locale des ulcères de jambe exigeant une détersion mécanique longue et douloureuse (chez l’adulte). En agissant directement sur les nerfs, ces anesthésiques locaux bloquent la conduction nerveuse de manière spécifique, totale et réversible.
Pour une application, la dose est de 1 à 2 g par surface de 10 cm2, avec un maximum de 10 g par application (deux tubes). L’utilisation est limitée à huit applications pour le traitement d’un ulcère. Par exemple, une fois par semaine pendant huit semaines. La crème est appliquée en couche épaisse sur la zone à traiter, sans masser, et en périphérie de la plaie si les bords sont douloureux au contact.
La crème est appliquée trente minutes avant le début de la détersion d’un ulcère et couverte d’un pansement adhésif hermétique. La couleur blanche opaque de la crème impose de la retirer complètement avant de pouvoir réaliser une détersion guidée. La durée d’anesthésie après retrait de la crème est estimée à environ trente minutes.
Réévaluer régulièrement l’efficacité de l’anesthésie locale au cours du soin. Si la douleur persiste, interrompre la détersion et revoir la stratégie antalgique.
La survenue d’effets indésirables systémiques est peu probable compte tenu des faibles concentrations circulantes. Les effets possibles au niveau du site d’application sont : érythème, rash, irritation de la peau et prurit, sensation de brûlure, dermatite. Ces réactions cutanées sont bénignes, toujours réversibles.
Un risque de surdosage ne peut être exclu en cas de mésusage, par exemple en cas d’applications simultanées sur un nombre élevé de sites pendant une période prolongée. Les signes d’intoxication systémique sont : vertige, vomissement, somnolence, convulsions, mydriase, bradycardie, arythmie et choc. En ce cas, une surveillance en milieu spécialisé devra être maintenue durant plusieurs heures après le retrait du médicament, en raison de l’absorption retardée des anesthésiques locaux.
Quand l’anesthésie locale est insatisfaisante, la prescription d’un antalgique par voie orale, voire d’un anxiolytique à court délai d’action, est à discuter avec le médecin. Chaque antalgique a un délai d’action propre, mais assez fréquemment le médicament administré une heure avant le soin sera efficace. Les produits de palier 1 (paracétamol) sont souvent insuffisants. Les produits de palier 2 peuvent être utilisés : codéine et tramadol (souvent associés au paracétamol). Le recours d’emblée aux antalgiques de palier 3 peut être justifié par l’intensité de la douleur (les morphiniques à libération immédiate ont un délai d’action d’environ une heure).
Ils sont pris par le patient bien avant le passage de l’infirmière afin que leur effet soit maximum lors du soin. Les délais et les durées d’action des médicaments doivent être expliqués pour une meilleure observance du traitement.
L’infirmière peut expliquer au patient de quelle manière utiliser la crème. En fonction de ses capacités, le patient peut retirer le pansement, doucher sa plaie si possible, appliquer la crème et poser un film transparent. Tout cela, trente à soixante minutes avant le passage de l’infirmière. Il est alors pu faire une détersion complète et efficace. Si le patient n’est pas en mesure d’appliquer correctement la crème, cela impose un autre passage.
La qualité de vie du patient a une grande influence sur son état psychique. La sédentarité, l’isolement, parfois induits par la situation pathologique, peuvent entraîner un état plus ou moins dépressif chez une personne relativement âgée. Ce qui peut affecter la volonté du patient de participer aux soins de son ulcère.
Isabelle Gaillard, infirmière libérale à Poisat (Isère)
« Le soulagement de la douleur lors d’un soin sur un ulcère de jambe repose en partie sur des gestes et des attitudes simples. Il y a un risque de banalisation de ces attitudes soignantes par routine, par lassitude face à un sentiment d’échec sur une plaie chronique, par manque de temps pour réaliser un soin complet ou de motivation quand le patient et/ou le médecin ne sont pas coopérants. »