L'infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017

 

SOMME

Initiatives

Laure Martin  

À 10 ans déjà, Martine Pion accompagnait ses frères et ses cousins à la chasse. Aujourd’hui, c’est elle qui tient le fusil et qui est à la tête de l’Association nationale de la chasse au féminin qu’elle a fondée en 1999. Et assure à tiers temps son activité libérale.

Dans la hutte de chasse au bord de l’étang, Martine ouvre les visées. La nuit, les yeux doivent s’habituer à l’obscurité. Sur l’eau flottent des blettes – de faux canards – pour attirer les vrais… Et le piège fonctionne. Au loin, huit sarcelles se laissent bercer par les vagues formées par le vent. Le fusil sur l’épaule, Martine attend qu’elles se rapprochent. Deux tirs lui suffisent. « La chasse, c’est une vraie passion, raconte celle qui a découvert cette activité lorsqu’elle était enfant en allant à la hutte. Pour moi, c’était l’aventure, une épopée, une nuit de liberté. » À l’époque, à la chasse en plaine, elle porte les lièvres et les faisans pour ses frères et ses cousins. C’est désormais avec son mari et sa fille qu’elle pratique en plaine, au marais et sur le domaine maritime.

Régulation des espèces

Ce qui l’a conduite à s’engager dans la défense de la chasse ? Sa passion, mais aussi les stéréotypes qui ternissent l’image des chasseurs. « L’image du chasseur qui n’est pas sociable et pas respectueux de la nature est fausse. Tout comme celle du chasseur qui tue pour tuer. Chasser, ce n’est pas que tuer des animaux. Certes, c’est l’aboutissement, mais la responsabilité du chasseur est bien plus grande. La population critique la chasse, mais quand les poulaillers se font attaquer par des renards, les propriétaires sont bien contents de nous appeler… Nous participons aussi à la préservation et à la régulation des espèces. » Et d’ajouter : « Personnellement, je ne tue que les animaux que je peux cuisiner, car c’est aussi cela, la chasse, c’est le partage entre amis et le contact avec la nature. » En revanche, Martine dénonce la chasse en parc qui n’est pas du tout représentative de la chasse qu’elle pratique.

Battue à blanc

Les dates d’ouverture et de fermeture de la chasse, ainsi que le nombre de prélèvements possibles par espèce, pour la saison et par territoire, sont décidés chaque année par le préfet de région, à la suite du conseil de la Direction départementale des territoires et de la mer, qui elle-même s’appuie sur les propositions émises par la Fédération départementale des chasseurs. Les autorités tiennent en effet compte du travail effectué en amont par les chasseurs puisque toutes les associations locales participent à l’élaboration du plan de gestion de la chasse en plaine avant l’ouverture de la chasse.

« Tous les ans, au printemps, les chasseurs de Béthencourt-sur-Mer effectuent une battue à blanc sur environ 250 hectares en marchant en ligne afin de comptabiliser la population animalière avant la reproduction », explique Martine, avant de regretter : « Aujourd’hui, il y a de moins en moins de gibiers de plaine. C’est à cause de l’évolution de l’agriculture et du modernisme. » Au mois de février, la nuit, les chasseurs parcourent la plaine en utilisant des phares puissants, leur permettant de comptabiliser les lièvres. Et en août, après les moissons, ils effectuent l’échantillonnage, ce qui permet de déterminer la reproduction de la perdrix.

Bague à la patte

Tous ces résultats sont envoyés à la Fédération départementale des chasseurs de la Somme afin d’élaborer le plan de gestion des perdreaux, des faisans et des lièvres, c’est-à-dire du petit gibier de plaine. Un nombre de bagues est ensuite affecté à chaque association de chasseurs, puis à chaque chasseur individuellement, déterminant ainsi le nombre d’animaux possible à prélever sur son territoire. À Béthencourt-sur-Mer, il y a 17 chasseurs membres de la Société de chasse présidée depuis vingt ans par Martine, auxquels s’ajoutent 18 agriculteurs qui disposent d’une carte de chasse puisqu’ils mettent leurs terres à disposition des chasseurs. « Lors de la chasse, le chasseur doit mettre la bague à la patte de l’animal tué avant de le transporter », souligne Martine. Car, en cas de contrôle de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), si l’animal n’est pas bagué, le chasseur peut avoir une amende. Concernant le sanglier, dans certains départements, les chasseurs sont face à une obligation de résultats vis-à-vis du nombre d’animaux à tuer. « Si nous n’utilisons pas toutes les bagues, l’ONCFS et les lieutenants de louvèterie, sous la responsabilité du préfet, organisent une battue administrative », précise Martine. Et de poursuivre : « Les chasseurs participent ainsi à la gestion des espèces sinon les animaux seraient en surnombre et occasionneraient des dégâts aux cultures et des accidents tant routiers que ferroviaires. » En revanche, pour certaines espèces considérées comme nuisibles, à savoir les renards ou les corbeaux par exemple, il n’y a pas de limitation. Les chasseurs peuvent aller à l’affût pendant la période dédiée autant qu’ils le souhaitent. En hiver et en période de reproduction, les chasseurs assurent l’agrainage : « Nous donnons à manger et à boire aux différentes espèces d’animaux car ils n’ont plus suffisamment de nourriture aujourd’hui dans la nature. »

Intérêt pour les piqûres

Pour avoir du temps à consacrer à cette activité, Martine travaille en tant qu’infirmière libérale sur un tiers-temps, à savoir dix jours par mois. Sa famille étant originaire de Béthencourt-sur-Mer, Martine ne se voyait pas exercer ailleurs. Et depuis toute petite, elle a toujours souhaité soigner les autres. « Je revois ma mère faire des piqûres à mon père, car tout le monde pouvait le faire à l’époque. Et puis, comme mon père était agriculteur, le vétérinaire venait souvent à la maison et mon père faisait aussi des piqûres aux animaux. Cela m’a toujours intéressée, d’autant plus qu’il y avait des infirmières dans ma famille. » Avoir observé l’infirmière libérale qui a pris le relais de sa mère pour s’occuper de son père lui a donné l’envie de ce mode d’exercice. « Je trouve que le libéral est plus valorisant, même s’il y a plus de responsabilités », estime-t-elle. Lorsqu’elle obtient son diplôme, elle cherche immédiatement à s’installer en libéral et ouvre rapidement son cabinet. Mais la première année est difficile, sa patientèle n’est pas nombreuse. Elle effectue donc des remplacements à Saint-Valery-sur-Somme, à une dizaine de kilomètres. Aujourd’hui, elle exerce avec deux collaboratrices au sein d’un cabinet situé chez elle. Mais « nous allons bientôt déménager car la mairie va me louer un nouveau local afin d’être aux normes d’accessibilité », indique Martine.

Femmes présidentes de fédérations de chasseurs

Ce travail à tiers-temps lui a permis, outre de présider la Société de chasse de Béthencourt-sur-Mer, de fonder en 1999 l’Association nationale de la chasse au féminin. « La finalité n’est en aucun cas féministe, explique-t-elle. L’idée est de créer du lien entre les femmes qui veulent passer le permis ou celles qui chassent déjà. On souhaite dynamiser, créer du relationnel. » L’objectif est aussi de faire en sorte que les femmes prennent position dans les fédérations de chasseurs car les femmes présidentes sont encore rares. Les salons et les colloques sont des moments propices à l’adhésion des femmes. D’ailleurs, tous les ans depuis dix-sept ans, Martine organise un congrès national qui rassemble une soixantaine de chasseuses. Et, depuis quatre ans, des liens sont tissés avec celles du Québec qui ont fondé une association du même nom, ainsi qu’avec des chasseuses d’Italie, d’Espagne et de Hollande. « On aimerait pouvoir organiser un colloque international », précise Martine.

Selon elle, les hommes n’avaient pas prévu que les femmes puissent aimer la chasse… « Nous avons longtemps été vues comme des accompagnantes, celles qui apportent à manger aux chasseurs », raconte-t-elle. C’est son mari qui l’a encouragée à passer son permis de chasse en 1992, mais, « avant que je ne le passe, j’ai accompagné mon mari pendant des décennies. Dans les petits villages, on ne voyait pas beaucoup de femmes chasser à l’époque… ».

Réglementation nécessaire

Le permis de chasse, organisé sous l’égide de l’ONCFS, comprend une partie théorie et une autre pratique. La théorie porte sur les espèces qui peuvent être prélevées, la reproduction ou encore la gestation. La formation et l’examen sont principalement axés sur la sécurité : armer et désarmer son fusil, casser le fusil lorsque le chasseur rencontre quelqu’un ou avant de le mettre dans le coffre. La partie pratique permet de vérifier l’aptitude à chasser. « Le plus difficile pour moi a été d’apprendre la balistique, reconnaît Martine. C’est très technique. » Son mari a partagé avec elle son savoir sur les armes et elle a également regardé en boucle les cassettes vidéos afin de se perfectionner. « À mon époque, on devait reconnaître les oiseaux et autres espèces sur diapositives », se rappelle-t-elle, en précisant que les chasseurs sont responsables s’ils tuent par erreur une espèce protégée. Une fois le permis en poche, il y a une vraie traçabilité pour la pratique de la chasse. Le chasseur doit toujours aller chasser avec son permis et, à la moindre infraction, il peut le perdre. « C’est la réglementation et c’est normal, il en faut une », conclut-elle.