LES MÉDECINS SONT-ILS VRAIMENT DES BRUTES ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017

 

Gynécologie/obstétrique

Le débat

Sandra Mignot  

Des formes de “maltraitance médicale” sur le patient allant de remarques indélicates à des gestes techniques non nécessaires en passant par des propos discriminants sont de plus en plus souvent révélées par des patients et même par des professionnels, à l’image de Martin Winckler dans son dernier ouvrage(1).

Dominique Thiers-Bautrant Gynécologue-obstétricienne et administratrice de l’Union française pour une médecine libre

Les critiques de patients quant à l’attitude de praticiens à leur égard sont-elles de plus en plus fréquentes ?

Il n’est pas très facile d’avoir des données. Mais on sait que sur 400 millions de consultations chaque année, le Collectif interassociatif sur la santé a recensé 9 000 plaintes. C’est peu. Sont-ce des situations dissimulées qui sortent maintenant ? De mauvais souvenirs qui remontent ? J’ai parfois l’impression que ces situations ont existé, mais à une autre époque. La maltraitance, notamment sur le corps des femmes, est liée à la place de la femme dans la société. Nous avons quand même évolué sur ces points. Bien sûr, nous sommes un métier du vivant, nous travaillons sur le corps et, dès lors qu’on accepte le contact humain, il y a des risques d’indélicatesse, d’incompréhension… Et la profession médicale n’est pas exempte de malotrus, voire d’obsédés ou de gens agressifs… Il faut alors repérer et signaler ces situations.

Ces trente dernières années, la formation du médecin a-t-elle développé une approche plus humaniste du patient ?

La relation médecin/patient a évolué, avec la loi Kouchner et l’émergence du droit des usagers. Les jeunes professionnels ne sont plus du tout dans le paternalisme et le mandarinat. Ils savent que le patient a droit à la considération et que, face au médecin, il est dans une situation de vulnérabilité. L’enseignement est le plus complet possible, des efforts ont été faits sur la déontologie et le respect de la personne. En revanche, ce qu’on oublie, c’est que les soignants eux-mêmes sont l’objet d’une maltraitance institutionnelle. Ils sont devenus des “effecteurs” de soins qui doivent répondre à des impératifs non seulement thérapeutiques, mais aussi économiques, organisationnels, etc. Au final, la pression peut évidemment engendrer des comportements maltraitants à l’égard du patient.

Comment les patients qui se sentent maltraités peuvent-ils (ré)agir ?

Ils peuvent informer l’Ordre qui est là pour protéger les patients et non les professionnels, et aucune plainte n’y est classée. Ils peuvent aussi s’appuyer sur les associations d’usagers qui les accompagneront dans leurs démarches ou s’adresser à leurs représentants qui siègent en commission dans les établissements. Surtout, on peut commencer par s’expliquer face-à-face. Reprendre rendez-vous, éventuellement y aller accompagné d’un proche, pour demander une explication. Je suis persuadée que, dans la moitié des situations, un comportement inadapté sera davantage un problème conjoncturel, et le médecin s’excusera. S’il persiste, il faudra alors songer à une plainte officielle.

Marie-Hélène Lahaye Blogueuse féministe(2) et juriste membre de la conférence internationale des juristes, obstétriciens et sages-femmes (Human Rights in Childbirth)

Les critiques de patients quant à l’attitude de praticiens à leur égard sont-elles de plus en plus fréquentes ?

Elles sont surtout de plus en plus dévoilées. Et Internet joue un grand rôle dans la libération de cette parole. Je reçois des témoignages sur des violences pendant l’accouchement, pendant les consultations, des douleurs niées ou minimisées, des propos discriminants liés à l’orientation sexuelle des femmes, des paroles qui peuvent heurter une femme qui aurait subi des violences sexuelles au préalable, etc. Le fait que les femmes se mobilisent prouve qu’il y a bien un problème qui persiste et qui est spécifique. Car la gynécologie est une discipline assez invasive, cela touche à une intimité profonde, et cela exige donc un vrai dialogue avec le praticien. En outre, on consulte alors qu’on n’est pas malade,il faut se soumettre à des examens sans raison apparente. C’est une situation très particulière.

Ces trente dernières années, la formation du médecin a-t-elle développé une approche plus humaniste du patient ?

Je ne vois pas d’évolution flagrante de la situation, pas de réflexion radicale sur le déroulement de la consultation gynécologique. Dans la façon dont les gynécos accueillent la jeune fille par exemple, on sait qu’un toucher vaginal n’est pas recommandé à la première consultation et même pas avant 25 ans. Mais combien appliquent cette recommandation ? Quelques-uns se remettent en question. Beaucoup de médecins ne comprennent pas la loi Kouchner et le principe de consentement libre et éclairé. Demander un consentement, cela veut dire qu’une femme peut dire non, qu’il faut alors proposer d’autres moyens diagnostiques, mais surtout instaurer un vrai dialogue.

Comment les patients qui se sentent maltraités peuvent-ils (ré)agir ?

La chose la plus simple est de changer de médecin. S’il refuse de renouveler sans examen une prescription de pilule, vous partez sans payer. Les femmes doivent savoir qu’elles peuvent dire non. Elles ont des droits. Il y a des recommandations médicales qui doivent être respectées. Et puis, si elles rencontrent trop de difficultés, il y a nos listes de professionnels respectueux. Peut-être que les gynécologues se remettront en question et que les femmes ne se laisseront plus abuser comme il y a un siècle.

(1) Les Brutes en blanc, Flammarion, dernier ouvrage du Dr Martin Winckler, dénonce les maltraitances dans le milieu médical (cf. notre chronique dans notre numéro 329 d’octobre).

(2) Le blog de Marie-Hélène Lahaye : marieaccouchela.blog.lemonde.fr