RECHERCHE > Après les attentats de novembre 2015 à Paris, des scientifiques de toutes les disciplines se sont mobilisés pour apporter leur part dans la réponse de la société à la menace terroriste.
À l’image de la communauté soignante, la communauté scientifique s’est sentie fortement concernée par les attentats qui ont récemment endeuillé la France. Un an et quinze jours après les événements du 13 novembre, le CNRS a ainsi présenté une quarantaine de projets de recherche. En effet, son président, le chimiste Alain Fuchs, avait lancé quelques jours à peine après les attentats un appel aux chercheurs de toutes les disciplines à « occuper les terrains vacants, répondre à des interrogations qui croisent plusieurs champs disciplinaires, utiliser les techniques participatives et les compétences de tous ». Un message bien reçu car plus de 300 équipes ont déposé des projets de recherche et 66 actions ont pu être financées pour un budget de plus de 800 000 euros. L’un des projets les plus ambitieux est celui porté par le neuropsychologue Francis Eustache et l’historien Denis Pechanski (lire notre n° 328 de septembre) pour leur vaste étude sur la construction des mémoires traumatiques individuelles et collectives. Sur le millier d’entretiens prévus, la quasi-totalité a déjà été réalisée avec des personnes témoins ou étant intervenues lors des attentats (notamment des soignants) mais également des proches des victimes, des habitants du quartier, du reste de la région parisienne et de trois villes de province. « Le programme de recherche prévu sur douze ans a pour objectif de comprendre l’évolution et la construction de la mémoire dans une approche transdisciplinaire », a expliqué l’historien. Ces volontaires seront réinterrogés dans deux, cinq et dix ans. Dans le même temps, 200 d’entre eux vont participer à une étude plus spécifique sur le stress traumatique.
La santé mentale et l’organisation des soins représentent ainsi une part importante des sujets qui sont investigués par les chercheurs dans le cadre de cet appel à projets. Deux chercheurs en sciences cognitives se sont ainsi intéressés aux réactions des personnes prises en otage au Bataclan sur la base d’entretiens avec 32 d’entre elles. Des travaux qui devraient permettre de « clarifier le rôle des motivations individualistes et pro-sociales dans les réactions à la menace ».
À l’hôpital de la Timone à Marseille (Bouches-du-Rhône), une équipe étudie les facteurs prédictifs de réussite de la thérapie EMDR contre le stress post-traumatique. Ce traitement consiste à faire pratiquer des mouvements oculaires aux patients pendant des séances de 60 à 90 minutes. Autre projet, en biologie : étudier les effets de la lumière bleue sur les circuits du cerveau liés à l’agressivité. Plusieurs équipes travaillent sur les moyens de prévenir et de lutter contre les risques d’attentats biologiques, chimiques et radiologiques. Enfin, le mode d’organisation de l’Établissement de préparation et de réponses aux urgences sanitaires, auquel participent des professionnels de santé réservistes, est étudié par un chercheur du laboratoire de Management des organisations de santé de l’École des hautes études de santé publique. Le parcours de soins des victimes des attentats au sein des hôpitaux est également observé par une équipe de chercheurs en sciences cognitives qui s’intéressent en particulier au rôle de la cellule de crise. En vue des situations de sinistres massifs, ils souhaiteraient ainsi mettre au point pour chaque patient un petit appareil portatif pour afficher ses constantes afin de faciliter le triage.
À la suite des attentats, un groupe de 170 avocats parisiens bénévoles a travaillé pendant un an sur un outil d’analyse des préjudices subis par les victimes et qui ne sont pas encore reconnus par le droit. Il s’agit du préjudice d’angoisse « subi lors des attentats par les personnes présentes sur les lieux » et du préjudice d’attente et d’inquiétude « subi par leurs proches pendant les attentats et dans leurs suites immédiates ». La secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes, Juliette Méadel, s’est montrée très intéressée par ce travail. En lançant une série de tables rondes sur l’accompagnement psychologique des victimes d’attentats, elle a également plaidé pour un décloisonnement de la ville et de l’hôpital. Des mesures en ce sens pourraient être annoncées en février.