Les textures modifiées - L'Infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 332 du 01/01/2017

 

Nutrition

Cahier de formation

Le point sur

Marie Fuks*   Emmanuelle Di Valentin**  

De nombreux contextes requièrent de mettre en place une alimentation à texture modifiée afin de préserver un bon état nutritionnel des patients. Toutefois, les textures modifiées ne se résument pas au mixé… Car il est possible de modifier la texture des aliments tout en préservant le plaisir de manger.

Textures modifiées

Pour qui, pourquoi ?

Du traumatisme de l’appareil masticateur aux dysphagies fonctionnelles ou mécaniques en passant par les fausses routes consécutives à un handicap lourd, une maladie grave, un âge avancé ou une fin de vie, de nombreuses situations temporaires, évolutives ou permanentes peuvent occasionner des difficultés de mastication ou de déglutition nécessitant de modifier les textures alimentaires.

Les pièges à éviter

Pour le malade incapable de s’alimenter normalement, la mise en place de textures modifiées s’apparente à un véritable “soin nutritionnel”. « Elle confère aux aidants une responsabilité parfois complexe à assumer lorsqu’il convient, au-delà du temps à y consacrer, de nourrir leur parent avec cette alimentation informe, à la couleur improbable dont l’apparence renvoie parfois à des images excrémentielles », indique Christine Vincent, psychologue, psychothérapeute spécialiste des troubles du comportement alimentaire(1). En outre, le risque est grand d’infantiliser et d’enfermer dans un comportement régressif une personne dont l’alimentation, par sa texture, rappelle celle du petit enfant, et ce, d’autant qu’il faut la nourrir. Une dimension de l’accompagnement que ne doivent pas négliger les Idels, même si, comme l’explique Emmanuelle Di Valentin, diététicienne dans le service de gériatrie de l’hôpital Bichat (AP-HP), « les aidants sont souvent animés par le désir de parvenir à tout prix à faire manger leur parent malade ou âgé ». Il est donc important que les infirmières puissent les conseiller sur la conduite à tenir.

Les différentes textures

En 2007, le Groupe d’étude des marchés de la restauration collective et de la nutrition (GEMRCN) a défini cinq groupes de textures modifiées(1).

→ Liquide : alimentation fluide prise au biberon, au verre ou à la paille.

→ Mixée : texture homogène, viande et légumes ont une consistance épaisse et sont servis mélangés ou séparés dans l’assiette.

→ Moulinée : texture hétérogène, la viande est moulinée, les légumes sont moulinés ou non si très tendres et servis séparément dans l’assiette.

→ Moulinée Þn : la viande et les légumes sont moulinés et séparés dans l’assiette.

→ Hachée : la viande seule est hachée sauf si l’élément protidique est tendre.

Autant dire que les textures modifiées ne se résument pas au mixé. « Cela dit, en pratique, il n’existe pas de référentiel permettant d’associer de manière institutionnelle telle granulométrie à tel état pathologique pourvoyeur de troubles de la déglutition », commente Emmanuelle Di Valentin. Il reste néanmoins admis que la texture hachée (plus ou moins finement) convient aux personnes ayant encore une capacité masticatoire résiduelle, que le mouliné est adapté aux personnes ayant des difficultés de mastication sans troubles de la motricité linguale ni troubles de la déglutition et que le mixé s’adresse aux personnes (édentées ou non) ayant des difficultés de déglutition, ou trop fatiguées ou faibles pour mastiquer(1).

Comment faire en pratique ?

Quel que soit le contexte, les Idels peuvent non seulement informer et conseiller les familles quant à la texture modifiée la plus appropriée, mais aussi rappeler quelques principes fondamentaux et apporter quelques conseils diététiques importants.

→ Les patients présentant des troubles de la déglutition, des fausses routes ou des troubles de la mastication doivent avoir une alimentation dont la texture de tous les plats est homogène (mouliné fin ou lisse). Il convient donc d’exclure tous les aliments hétérogènes, à risque (lire l’encadré). De même, il peut être intéressant de lubrifier les aliments à l’aide de sauces épaisses ou de corps gras (mayonnaise, ketchup…).

→ Il est possible de manger sans dents. Par conséquent, avant de mixer d’office les aliments d’un patient édenté, il faut l’écouter. S’il n’est pas sujet aux fausses routes, une alimentation finement coupée peut convenir.

→ Disposer des ustensiles de cuisine ad hoc pour réaliser les différentes textures (moulin à légumes, mixeur/blender, centrifugeuse, passoire).

→ Enrichir les plats salés et sucrés car les patients nourris par une alimentation à textures modifiées sont sujets à la dénutrition. « Pour enrichir, je conseille de rajouter du beurre, de la crème fraîche, du fromage fondant type crème de gruyère (elle homogénéise bien sans fil), voire du lait en poudre ou du lait concentré, précise la diététicienne. Ceux-ci se mélangent à beaucoup d’aliments salés ou sucrés sans en modifier considérablement le goût et en donnant une texture veloutée agréable. » Pour les patients, en particulier âgés, qui ne mangent pas ou peu, certaines bouillies (Amandine par exemple) à reconstituer avec du lait de manière plus ou moins liquide sont souvent très appréciées car les personnes âgées préfèrent généralement les saveurs sucrées.

→ Veiller à la couleur que peuvent donner certains mélanges et privilégier la prise séparée de la viande et des légumes si nécessaire.

→ Penser (en particulier pour les sujets âgés chez lesquels le goût salé s’estompe) à relever le goût des plats avec des épices (muscade, safran, cannelle), du sel (sauf contre-indication absolue) et du poivre. Les différentes épices permettent en outre de varier le goût d’un même plat.

→ Fractionner la prise alimentaire (proposer le salé à midi et le sucré vers 14 heures) lorsqu’elle est fatigante afin d’assurer la prise intégrale du repas.

→ Épaissir les liquides pour conférer une viscosité de type nectar en cas de fausses routes aux liquides à l’aide d’un épaississant alimentaire instantané (compote mélangée à du jus de fruit par exemple) plus facile à utiliser que la gélatine ou l’agar-agar.

→ Respecter les consignes ergonomiques en matière d’installation du patient et de l’aidant(2) : à table, au lit ou au fauteuil, le patient doit être installé assis à 90°, menton légèrement penché en avant. L’encourager à manger seul tant que c’est possible mais, si besoin d’aide, s’asseoir légèrement plus bas que lui, en face ou du côté déficitaire.

→ Veiller à ce que la prise du repas s’effectue au calme et limiter les distractions (télé, interpellation…).

(1) Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, “Les repas dans les établissements de santé et médico-sociaux : les textures modifiées mode d’emploi”, sur le site www.anap.fr, via le lien raccourci bit.ly/2gYRXAU

(2) Virginie Ruglio, orthophoniste, service de gériatrie de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), Paris.

Les aliments hétérogènes

Les aliments hétérogènes sont les aliments difficiles à mastiquer et à homogénéiser pour les transformer en bol alimentaire, qui s’émiettent, sont susceptibles de coller à la muqueuse ou constitués de textures différentes.

Ces aliments hétérogènes comprennent, entre autres :

→ riz, semoule, pâtes, lentilles, petits pois, maïs, boulgour ;

→ fibres végétales crues dures : carottes, chou ou céleri râpés, radis, fenouil, céleri branche, épinards en branche, champignons, cerfeuil ;

→ salade, pâte feuilletée, crêpes, pâte à chou ;

→ fruits à peau et à grains (pêche, tomate, raisin) ;

→ fromages fondus collants ou filants, yaourts avec morceaux de fruits ;

→ biscottes, biscuits durs, croissants, pain sec.