Cahier de formation
Savoir faire
Les patients greffés du rein peuvent avoir besoin de soins infirmiers en rapport ou non avec la greffe. Les Idels doivent être en mesure, au-delà des soins, d’appréhender la singularité de ce contexte pour aider les patients à optimiser les bénéfices de la transplantation.
Vous intervenez dans le cadre du suivi partagé de M. M., 68 ans, veuf, pour des soins de pansements post-greffe et pour une surveillance de la tension et de la glycémie en raison d’un diabète cortico-induit par le traitement IS. Au cours de la discussion, il vous informe qu’il oublie souvent de prendre son traitement à l’heure et que cela l’angoisse car il sait qu’il est important de respecter la prise des médicaments à heure fixe.
Vous revenez avec lui sur les causes de ces oublis (avant, sa femme s’occupait de toute l’organisation relative à ses dialyses et à la prise de ses traitements) et essayez de trouver ensemble une solution pratique et facile à mettre en œuvre pour lui permettre d’observer correctement la prescription. Vous en profitez pour vous assurer qu’il a bien compris les consignes liées à l’automédication et qu’il connaît les signes d’alerte et ce qu’il doit faire dans ce cas.
Parmi les causes de pertes de greffon, la non-compliance thérapeutique est fréquente, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes qui bénéficient pourtant des meilleurs greffons, selon les professionnels de santé. Elle multiplie par 7 le risque de perte de transplant lié au rejet. Une revue de la littérature portant sur dix études et plus de 6 000 transplantés rénaux indique une prévalence moyenne de non-observance de 28 % chez ces patients(
L’analyse des facteurs de non-observance montre qu’ils sont pour partie liés aux patients et aux traitements (lire l’encadré ci-contre) et que ce problème est plus fréquent chez les patients jeunes, isolés et célibataires. Cette propension à la non-observance peut être décelée dès avant la greffe. Elle peut donc être signalée en amont aux IDE d’ETP par les Idels afin qu’un travail préventif soit mis en place car la multiplicité des traitements prescrits en post-greffe peut vite représenter une contrainte majeure, parfois insurmontable, pour certains patients. « Dans ce cas, commente le Dr Macher, prescrire une ordonnance de vingt médicaments ne sert à rien, et les infirmières libérales sont très bien placées pour s’en rendre compte et alerter l’équipe du CT afin que le patient soit revu en consultation d’ETP et par le médecin prescripteur. »
Les Idels peuvent également s’assurer que les patients ont bien compris que « ce n’est pas parce qu’ils ont l’impression d’aller bien qu’ils vont bien ». Car si les rejets bruyants sont facilement identifiables cliniquement (urines foncées, dysurie, dégradation de l’état général), la plupart du temps, les rejets se développent à bas bruit. Il faut donc insister sur l’extrême importance de prendre les médicaments à heures fixes matin et soir, telles qu’elles ont été déterminées avec le patient en fonction de son rythme et de ses habitudes de vie. « C’est le seul moyen d’éviter le rejet, car la moindre brèche dans la couverture immunosuppressive donne le champ libre aux anticorps, explique le Dr Esposito. Plus les patients ont des difficultés à respecter cette consigne, plus ils compromettent la pérennité de la greffe. » De même, il est aussi capital de vérifier régulièrement le dosage des IS (lire l’encadré ci-dessous) et d’être à l’affût des moindres marqueurs de rejet du greffon (élévation minime de la créatinine ou de l’albumine dans les urines) car plus le traitement du rejet est précoce, plus il est efficace sur l’inflammation et la formation des lésions. « Le patient doit donc bien intégrer que c’est grâce aux contrôles biologiques systématiques que l’on peut déceler des signes, subtils mais certains de rejet, bien avant que le rein ne soit lésé et que les symptômes cliniques n’apparaissent, poursuit le médecin. Cela permet aussi de mettre en place une stratégie thérapeutique moins agressive qu’en cas de diagnostic tardif du rejet. »
La prise des médicaments et la surveillance clinique et biologique doivent donc rentrer dans les habitudes des patients greffés. Si certains s’en accommodent parfaitement, d’autres rencontrent plus de difficultés à accepter ces contraintes au regard des espérances de liberté qu’ils fondaient légitimement dans la greffe, comparée à la dialyse. Il convient donc, tout en essayant de limiter les contraintes, de les aider à objectiver les bénéfices globaux de la greffe sur leur qualité de vie.
Tout au long de leur vie, les patients greffés du rein devront être attentifs aux moindres signes cliniques d’insuffisance rénale et d’infection :
→ température supérieure à 38 °C,
→ brûlures urinaires,
→ sang dans les urines,
→ prise de poids brutale et inexpliquée,
→ œdèmes des membres inférieurs,
→ oligurie,
→ greffon dur augmenté de volume,
→ augmentation de la tension.
Ces signes doivent entraîner une consultation médicale le jour même. Tout autre signe anormal (diarrhées, vomissements, lésion cutanée, malaise… entre autres) doit aussi être signalé rapidement au médecin référent libéral ou hospitalier. « S’agissant d’informations potentiellement anxiogènes, le message à faire passer consiste à dire aux patients qu’ils doivent, quelle que soit l’ancienneté de la greffe, réagir immédiatement au moindre signe d’anomalie », explique Magali Mosnier. Les Idels peuvent le rappeler à loisir car la prise en charge précoce des pathologies sous-jacentes à ces symptômes est indispensable pour éviter une dégradation de l’état de santé du patient et un déséquilibre des traitements et, au pire, le développement de complications graves (cancer cutané par exemple) et la perte du greffon.
Parallèlement à cette consigne majeure, les infirmières libérales peuvent également rappeler la conduite à tenir dans certaines situations préjudiciables à l’équilibre du traitement, notamment en cas de vomissements (reprendre le traitement si le vomissement intervient dans l’heure qui suit la prise uniquement) ou d’oubli :
→ si l’oubli remonte à moins de six heures : le patient doit prendre ses médicaments dès qu’il s’en rend compte et ne rien changer pour les prises suivantes
→ si l’oubli remonte à plus de six heures : il ne prend rien mais ne doit pas oublier la prise suivante qu’il doit prendre normalement (surtout il ne faut pas doubler les doses par exemple).
L’Idel note les oublis sur le cahier de transmission et, s’ils se répètent, n’hésite pas à alerter les IDE d’ETP du CT afin d’aider le patient à trouver les raisons de ces oublis et les moyens de les corriger. Enfin, il peut être utile de rappeler régulièrement aux patients que l’automédication dans ce contexte est fortement déconseillée.
La prise, même temporaire, d’un autre médicament peut modifier à la hausse ou à la baisse les concentrations sanguines des IS, exposant ainsi le patient à un risque de toxicité ou de rejet. De même, certains médicaments, anti-inflammatoires notamment, présentent un risque majeur pour les patients ayant une fonction rénale déficiente. « L’usage courant de certains médicaments en automédication (antalgiques, anti-inflamatoires par exemple) impose dans ce contexte de rappeler aux patients qu’ils doivent demander l’avis d’un médecin qui s’assurera que rien ne contre-indique la prise de tel ou tel médicament », confirme Magali Mosnier, IDE d’ETP au sein du service de transplantation du CHU de Toulouse (Haute-Garonne). De même, cet avis médical doit être requis si le patient souhaite utiliser des médecines alternatives (phytothérapie, médecine chinoise, homéopathie…). En général, les CT communiquent une liste des médicaments contre-indiqués et utilisables couramment (antidouleur…) que les patients peuvent transmettre à leur généraliste, dentiste ou tout autre spécialiste ou professionnel de santé. En cas de doute, ceux-ci peuvent joindre le CT pour avis.
(1) M.A. Chisholm, “Issues of adherence to immunosuppressant therapy after solid-organ transplantation”, Drugs, 2002;62(4):567-75 (lien raccourci bit.ly/2j8C3Fi).
(2) K. Denhaerynck et col., “Prevalence, consequences, and determinants of nonadherence in adult renal transplant patients: a literature review”, Transpl Int, 2005;18(10):112133 (lien raccourci bit.ly/2jyvWgs).
(3) Pôle urologie – néphrologie – dialyse – transplantations CHU Toulouse (Haute-Garonne), “Livret d’éducation thérapeutique des transplantations d’organes. Modalités et suivi du traitement immunosuppresseur” (lien raccourci bit.ly/2jyEgfV).
Liés au patient
→ Non-observance avant même la transplantation
→ Éducation
→ Espérances des patients
→ Faible perception de l’efficacité du traitement
→ Anxiété, voire hostilité
→ Croyances erronées (inutilité des immunosuppresseurs)
→ Dépression
→ Dépendance aux drogues ou à la nicotine
Liés au traitement
→ Durée de la transplantation
→ Nombre de médicaments et nombre de prises quotidiennes
→ Origine du donneur (donneur vivant)
Source : K. Denhaerynck et col., “Prevalence, consequences, and determinants of nonadherence in adult renal transplant patients: a literature review”, Transpl Int, 2005;18(10):112133 (lien raccourci bit.ly/2jyvWgs).
Les dosages sanguins d’immunosuppresseurs sont indispensables pour s’assurer que le patient bénéficie d’un traitement suffisamment efficace pour baisser les défenses immunitaires et protéger le rein du rejet tout en limitant ses effets toxiques. Ils peuvent aussi être justifiés lorsque l’état de santé du patient nécessite d’instaurer un traitement intercurrent à risque de majorer ou réduire l’effet du traitement IS. C’est la raison pour laquelle les dosages sanguins des IS doivent être régulièrement contrôlés
* Deux fois par semaine dans le mois qui suit la greffe, puis une fois par semaine jusqu’à trois mois et, ensuite, systématiquement, une fois par mois.
Magali Mosnier, IDE d’ETP au sein du service de transplantation du CHU de Toulouse (Haute-Garonne)
« Nous essayons de rationaliser la prescription afin que les patients sortent avec une ordonnance unique regroupant l’ensemble des traitements et nous veillons par exemple à adapter la forme galénique des médicaments et à regrouper au mieux leurs prises pour en limiter le nombre. Dans le même esprit, nous réalisons avec les patients un tableau de répartition des médicaments, matérialisé par des horloges, et nous leur donnons des techniques pour ne pas oublier leur traitement comme programmer les prises sur leur portable, utiliser un pilulier, associer un rituel (activité quotidienne) à la prise des médicaments ou encore les poser à un endroit stratégique… Pour certains patients, nous établissons un calendrier répertoriant les dates de consultation et les examens à réaliser. Enfin, nous prenons soin de leur expliquer que certains traitements (antibiotiques, antiviraux…) sont temporaires et que l’observance d’aujourd’hui permettra d’alléger, demain, la pharmacopée à prendre quotidiennement. »