L'infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017

 

Cahier de formation

Savoir

La transplantation impose un traitement immunosuppresseur continu pour prévenir le rejet. La surveillance médicale et l’adaptation régulière de ce traitement sont indispensables. Ce parcours réclame rigueur et constance, et nécessite un accompagnement au long cours.

ORGANISATION GÉNÉRALE DU SUIVI POST-GREFFE

À l’exception du suivi post-greffe rénale, les Idels sont peu associées aux prises en charge. Néanmoins, lorsqu’elles sont amenées à intervenir auprès de ces patients, elles doivent en connaître les principes et les spécificités afin de pouvoir prendre en compte ce contexte si particulier, mêlant espoir d’une autre vie et dimension humaine du don.

L’organisation de la prise en charge post-greffe privilégie le suivi strictement hospitalier pour toutes les greffes vitales (cœur, poumon, foie). Seules les greffes de rein, qui sont aussi les plus fréquentes (lire l’encadré ci-dessous), bénéficient d’un suivi partagé entre les centres de transplantation hospitaliers (CT) et la ville, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS)(1). « Certaines équipes de transplantation rénale suivent plus de 1 000 patients et ont besoin de mettre en place des délégations de tâches et un suivi partagé avec les professionnels de santé des centres de dialyse périphériques, les spécialistes ou médecins traitants des patients et les infirmières à domicile », explique Marie-Alice Macher, responsable du pôle stratégie-greffe de la direction prélèvement greffe organes-tissus de l’Agence de la biomédecine.

ORGANISATION PROPRE AU SUIVI PARTAGÉ DES GREFFES DE REIN

Acteurs de la prise en charge

Dans ce contexte, c’est le CT qui assume la responsabilité du suivi partagé en fonction de critères organisationnels et logistiques (domiciliation des patients, importance de la file active…) qui lui sont propres. Dès lors, il désigne en son sein le médecin référent du patient auquel les intervenants extérieurs pourront s’adresser et leur transmet le projet thérapeutique individuel ainsi que toutes les données médicales (lire l’encadré de la page ci-contre) nécessaires au suivi ambulatoire du patient. Un cahier de suivi partagé est également mis en place lorsqu’un intervenant libéral (Idel ou médecin par exemple) est amené à intervenir régulièrement auprès d’un patient.

Exemple du CTde Toulouse

À Toulouse (Haute-Garonne), le CT rattaché au CHU a mis en place un suivi partagé pour les greffes rénales et rein/pancréas. « Lorsque nous rencontrons les patients pour leur inscription sur liste d’attente, nous rentrons en contact avec l’équipe du centre de dialyse et/ou le médecin de ville qui les suivent et qui seront amenés à partager la prise en charge post-greffe, afin de maintenir le patient au centre de son parcours de soin », explique le Dr Laure Esposito, praticien hospitalier, responsable de la transplantation rénale et pancréatique et de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) dans le département de néphrologie et transplantation rénale de l’hôpital Rangueil (CHU de Toulouse). Les patients sont donc d’emblée prévenus qu’ils pourront, en post-greffe (après un séjour hospitalier en moyenne de dix jours après l’intervention), bénéficier d’un suivi partagé qui leur permettra de rester en contact avec les professionnels de proximité tout en ayant, 24 heures sur 24, la possibilité de joindre le CT, ce qui est très rassurant pour eux. Cette collaboration ville-hôpital précoce, initiée durant la période qui précède la transplantation (de six mois à plusieurs années), permet d’identifier les problèmes ou difficultés du patient, d’en parler et de réagir préventivement. Elle facilite également le suivi qui, dans les trois premiers mois, reste néanmoins majoritairement hospitalier. « Durant cette période particulièrement à risque d’infections et de rejets, la nécessité d’une surveillance clinique, biologique et éducative très étroite, mais aussi la nature de certains examens (échographie du rein à J15 et J30 par exemple) et de certains gestes à réaliser (retrait de la sonde “JJ” à six semaines, biopsie du greffon notamment)(2) justifient que le patient soit suivi très régulièrement en consultation hospitalière ou en hôpital de jour, précise le Dr Esposito. Toutefois, nous prévoyons au moins une consultation en ville durant cette période pour permettre au (x) référent (s) de ville de suivre l’évolution du patient. Ensuite, au cas par cas, nous pouvons par exemple alterner les consultations un mois sur deux, ou prévoir une consultation en ville entre chaque consultation hospitalière si le patient nécessite un suivi plus rapproché. » Après un an, le suivi partagé est réalisé alternativement tous les trois mois entre l’hôpital et la ville. Dans certains cas, le CT délègue le suivi régulier à la ville et ne revoit les patients qu’une fois par an ou en cas de complication ou de changement thérapeutique.

SUIVI POST-GREFFE RÉNALE

Prévenir le rejet, préserver la qualité du greffon

Après une greffe, en l’absence de traitement, le système immunitaire du receveur agresserait le greffon reconnu comme élément étranger et conduit à sa destruction. C’est la raison pour laquelle des traitements immunosuppresseurs (IS) sont mis en place afin de bloquer les mécanismes de reconnaissance et d’attaque, et d’induire une tolérance. Cela dit, malgré les progrès thérapeutiques réalisés depuis la mise sur le marché de la ciclosporine, le rejet aigu ou chronique du greffon reste une problématique majeure de la prise en charge post-greffe.

Le rejet aigu

Si le rejet “hyperaigu” (qui survient dans les minutes suivant l’introduction du greffon et entraîne sa nécrose par thrombose des vaisseaux) est aujourd’hui évité grâce au meilleur dépistage des anticorps anti-HLA (antigènes des leucocytes humains) dirigés contre le donneur dans le sérum du receveur, le rejet aigu touche environ 15 % des transplantations dans la première année. Il survient d’une semaine à plusieurs mois après la greffe(3). Le risque est maximal dans les trois premiers mois qui suivent la transplantation et diminue ensuite grâce à un certain degré d’accommodation du receveur(1). La survenue d’un rejet aigu tardif est le plus souvent liée à un défaut d’observance thérapeutique. Ce risque justifie un suivi biologique rapproché et la réalisation de ponctions-biopsies rénales à visée diagnostique (lire l’encadré de la page suivante). Le rejet peut être de nature cellulaire ou humorale. Dans le premier cas, l’immunité cellulaire déclenche l’infiltration dans le greffon de cellules “tueuses” (certains lymphocytes T). Dans le deuxième cas (immunité humorale), les anticorps circulants reconnaissent l’organe étranger et se fixent sur les cellules du greffon, entraînant une cascade de réactions destructrices à court ou moyen terme(4).

Le rejet chronique

À plus long terme, parfois sur des années, le greffon peut subir des lésions et perdre progressivement sa fonctionnalité. Les mécanismes en cause combinent réponse immunitaire mais surtout humorale, toxicité des médicaments ainsi que phénomènes biologiques et infectieux qui font encore l’objet de recherches(4).

Le devenir de la greffe

Aujourd’hui, si l’immunité cellulaire est correctement maîtrisée par les traitements immunosuppresseurs, l’immunité humorale reste difficile à inhiber et représente la principale difficulté dans la prévention du rejet. « Fort heureusement, commente le Dr Macher, la plupart des rejets aigus, dès lors qu’ils sont diagnostiqués et pris en charge précocement, sont accessibles à un traitement(5) et réversibles, ce qui explique les bons résultats, avec une survie des greffons proche de 90 % à un an. Quant au rejet chronique, ses manifestations sont moins intenses et peuvent évoluer à bas bruit donnant des lésions fibreuses irréversibles et difficiles à traiter. C’est la principale cause de perte du greffon et de retransplantation (15 % des greffes en 2015) et ce qui explique que la survie moyenne des greffons à dix ans tombe à 65 %. »(6)

Mise en place et surveillance des traitements IS

Incontournables, les traitements anti-rejet conditionnent, au-delà de la survie du greffon, la restauration d’une fonction rénale satisfaisante et l’augmentation de la durée et de la qualité de vie des patients. Cependant, la marge est étroite entre leur dose thérapeutique et leur dose toxique, ils sont responsables d’effets secondaires multiples et augmentent la sensibilité aux infections et le risque de certains cancers.

Les traitements IS

Prescrits à vie, les traitements immunosuppresseurs ont pour but d’induire et de maintenir de la part de l’organisme du receveur une tolérance durable de l’organe greffé afin d’éviter le rejet. La plupart des protocoles les plus courants comprennent un traitement d’induction massif de quelques jours réduit ensuite, le plus souvent, à trois médicaments ayant chacun une action spécifique et agissant sur un point différent du système immunitaire. Ils doivent être pris tous les jours, aux mêmes heures en respectant leur durée d’action (12 ou 24 heures), la dose et les recommandations de prise (voir le tableau p.37).

Ces médicaments appartiennent à quatre classes thérapeutiques.

→ Les antimétabolites (AM) inhibent la sécrétion d’anticorps, la prolifération et le fonctionnement des lymphocytes T et B et bloquent la prolifération cellulaire(7). L’azathioprine, disponible depuis les années 1960, est aujourd’hui supplantée par le MMF, le mycophénolate mofétil (CellCept) et le MPA, l’acide mycophénolique (Myfortic), mais est poursuivie jusqu’au terme de la vie du transplant chez les patients l’utilisant depuis de nombreuses années.

→ Les anticalcineurines (AC) inhibent l’activité des lymphocytes T, cellules pivots de la réaction immunitaire, et sont plus sélectifs que les AM et les corticoïdes. Comme pour la plupart des IS, la surveillance des taux résiduels des AC est importante pour s’assurer que le patient se trouve bien dans la zone thérapeutique. Le dosage doit être effectué avant la prise du matin. Les objectifs cibles varient en fonction de l’ancienneté de la greffe et du risque immunologique individuel. Ils sont individualisés et déterminés dans le projet thérapeutique élaboré pour chaque patient. Le tacrolimus et la ciclosporine ont une toxicité et un profil de tolérance similaires. Après quelques mois, en l’absence de rejet, les cibles thérapeutiques des AC diminuent. Ces adaptations sont propres à chaque CT et fixées en fonction des caractéristiques du patient(1).

→ Les corticoïdes restent largement utilisés, notamment à la phase initiale du traitement IS(1), malgré un grand nombre d’effets indésirables. « Ils ont une action immunosuppressive assez globale sur différents types de cellules et sur l’inflammation et sont moins spécifiques que les médicaments plus récents (anticalcineurines notamment), dont l’action plus ciblée permet de limiter les effets secondaires », commente le Dr Macher. Les doses sont rapidement diminuées, voire arrêtées à distance, en fonction des protocoles et du type de greffe, pour limiter leurs effets secondaires et leurs interactions médicamenteuses avec les autres IS.

→ Les inhibiteurs de la mTOR (mammalian target of rapamycin) : ces nouveaux IS s’opposent à l’activation des cellules immunitaires impliquées dans le rejet de la greffe. Ils peuvent être utilisés à la place des AM ou en remplacement des AC avec deux avantages principaux : ils sont moins néphrotoxiques et ont un effet antitumoral, notamment en matière de cancers cutanés, ce qui permet de les utiliser en relais chez des patients transplantés ayant présenté un cancer post-transplantation(1,7). En revanche, ils présentent des effets indésirables non négligeables, responsables de l’arrêt du traitement dans 30 % des cas(7) et ont un effet anti-angiogénique (visant à empêcher la formation de vaisseaux sanguins et lymphatiques) qui entraîne des lymphocèles (épanchements lymphatiques localisés et enkystés) et des retards de cicatrisation. Ils doivent donc être introduits à distance de la chirurgie (pas avant six semaines) en relais des AC. Du fait de la longue demi-vie de ces traitements, la surveillance des concentrations sanguines doit être réalisée plusieurs jours après un changement de dose(1).

Les principales associations d’IS

À ce jour, il n’existe pas de consensus concernant les associations de molécules. Néanmoins, les schémas classiques associent en général en début de greffe des corticoïdes, un AC et un AM(7). Parmi les protocoles envisageables, certains permettent d’obtenir une survie du transplant optimale (90 à 95 % à un an) et de limiter l’incidence du rejet aigu (entre 10 et 20 %)(1). Il s’agit de :

→ ciclosporine (AC) – MMF – corticoïdes ;

→ tacrolimus (AC) – MMF – corticoïdes ;

→ ciclosporine (AC) – sirolimus (inhibiteur de la mTOR) – corticoïdes ;

→ tacrolimus (AC) – sirolimus (inhibiteur de la mTOR) – corticoïdes.

L’optimisation des doses d’IS constitue un enjeu majeur pour les équipes de transplantation : insuffisante, l’immunosuppression peut entraîner une rupture de tolérance et des réactions de rejet ; trop forte, elle augmente la vulnérabilité des patients aux agents infectieux et aggrave les risques de complication inhérents aux effets immunosuppresseurs et à la toxicité des traitements.

Les complications liées aux traitements IS

Ces complications concernent principalement la survenue d’infections, les atteintes cardiovasculaires, métaboliques et osseuses et le risque de développement de cancers.

Les complications infectieuses

Le patient transplanté rénal est exposé à un sur-risque infectieux en post-opératoire, mais aussi dans les six mois qui suivent la greffe. C’est en effet la période durant laquelle il est le plus vulnérable aux infections communautaires et opportunistes (pneumocystose, infections mycobactériennes, aspergillose, toxoplasmose, listériose…), mais aussi à la survenue (primo-infection) ou à la réactivation d’infections latentes chez le receveur ou portées par le greffon. Outre le cytomégalovirus (CMV) contrôlable par les antiviraux, les greffons peuvent en effet être porteurs de virus très présents en population générale, type herpès ou papillome(4). Ainsi, la détection du virus Epstein Barr, de la famille des herpès virus, présent chez 90 % de la population, ne constitue pas un motif de sélection du greffon mais représente un risque connu justifiant une surveillance systématique. Cela dit, 80 % des infections post-greffe sont d’origine bactérienne et les infections urinaires sont les plus fréquentes chez le transplanté rénal(7). En l’absence d’antibioprophylaxie, leur incidence varie de 35 à 79 %(1). Les infections pulmonaires, moins fréquentes, sont la première cause de mortalité, et les infections fongiques, plus rares, une cause de mortalité élevée chez les transplantés rénaux.

Malgré la panoplie thérapeutique disponible, le traitement des infections sous IS reste délicat en raison des interactions médicamenteuses possibles. Dans certains cas (infection par le virus Epstein Barr par exemple), le traitement repose principalement sur l’allègement de l’IS, ce qui augmente le risque de rejet et d’altération de la fonction rénale. Une prise en charge prophylactique peut être prescrite en fonction du contexte spécifique au patient et du statut sérologique du greffon. Elle sera par exemple indiquée chez le receveur CMV (cytomégalovirus)-négatif porteur d’un greffon de donneur CMV-positif. Il faut retenir que si le risque infectieux est toujours plus important dans les premiers mois, il reste omniprésent et doit faire l’objet d’une attention continue durant toute la vie du transplanté.

Les atteintes cardiovasculaires et métaboliques

→ Complications cardiovasculaires : comparée à une population témoin, l’incidence des complications cardiovasculaires est trois à quatre fois plus élevée chez les insuffisants rénaux transplantés, du fait de l’association des facteurs de risque classiques (âge, diabète, tabagisme, obésité) propres à l’ insuffisance rénale et au traitement IS. Ces complications sont responsables de 50 % des décès des patients porteurs d’un transplant fonctionnel(1).

« L’hypertension (HTA), extrêmement fréquente, notamment la première année, concerne trois patients sur quatre », confirme le Dr Macher. Les études épidémiologiques sur l’HTA, la fonction rénale et la survie du transplant rénal montrent, entre autres, l’influence du niveau tensionnel sur la survie du transplant et du patient. Une pression artérielle systolique inférieure à 130 et une pression artérielle diastolique inférieure à 85?mmHg sont associées à une meilleure survie du transplant. L’objectif tensionnel recommandé par la HAS pour la population transplantée doit donc être inférieur à 130/80 mmHG et l’automesure tensionnelle encouragée dans le cadre de l’ETP comme facteur d’amélioration de l’observance du traitement antihypertenseur et du contrôle de la pression artérielle. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, IEC (énalapril), ou les inhibiteurs de l’angiotensine II (valsartan) peuvent être utilisés dans ce contexte pour améliorer la tension tout en protégeant le rein en cas de lésions associées à une petite protéinurie.

Par ailleurs, l’hyperlipidémie est fréquemment associée à l’HTA. Les anomalies concernent surtout le cholestérol total, le LDL-c et les triglycérides.

Plusieurs études rapportent un lien entre cholestérol total et risque cardiovasculaire chez les transplantés : 63 % des patients ont un cholestérol total supérieur à 6,2 mmol/l (2,4 g/l) (normales 5,1 mmol/l - 2 g/l) et 36 %, un niveau de triglycérides supérieur à 2,3 mmol/l (2 g/l) justifiant de surveiller et de traiter les dyslipidémies chez les patients transplantés, en particulier chez ceux qui présentent un risque élevé d’atteinte cardiovasculaire (risque d’événement coronarien dans les dix ans supérieur ou égal à 20 %)(1). Des mesures diététiques et médicamenteuses à base notamment de statines (attention, elles interfèrent dans le métabolisme des AC) doivent être mises en place pour normaliser le bilan lipidique. La réduction de la dose de l’IS peut également être discutée.

→ Complications métaboliques : lorsqu’il n’était pas préexistant et lié à la maladie rénale qui a justifié la greffe, le diabète de novo après transplantation (Nodat)(8) constitue la complication métabolique majeure de la greffe rénale. Son incidence est extrêmement variable (de 2 à 50 %) selon une revue de la littérature portant sur quinze études incluant 3 611 patients transplantés(9). Cette même revue montre que le traitement IS constitue le principal facteur de risque du Nodat. Les autres facteurs de risque sont l’âge, une couleur de peau noire ou une origine hispanique. Les traitements plus particulièrement incriminés sont les corticoïdes, le tacrolimus et, à moindre degré, la ciclosporine. L’incidence du diabète la plus élevée est observée en cas d’association ciclosporine-corticoïdes comparée à ciclosporine-azathioprine ou tacrolimus.

Les anomalies du métabolisme du glucose apparaissent majoritairement dans les premiers mois post-transplantation et posent la question de mettre en place un traitement IS moins diabétogène. Une surveillance très rapprochée de la glycémie à jeun est recommandée au cours de la première année et, si nécessaire, un traitement par antidiabétiques oraux, voire par insuline, doit être instauré pour prévenir les complications du Nodat. Celles-ci sont identiques à celles du diabète préexistant et sont corrélées à une diminution de la survie du greffon.

L’ostéoporose

Les complications osseuses post-greffe regroupent l’ostéoporose et l’ostéonécrose aseptique cortico-induites. Leur impact (douleurs osseuses, fractures aux complications sévères et handicapantes) est d’autant plus important sur la santé des patients greffés qu’elles surviennent sur un terrain fragilisé par les facteurs de risque classiques de l’ostéoporose (âge, sexe, antécédent de fracture, corticothérapie ancienne, tabagisme) auxquels s’ajoutent ceux liés aux traitements de la pathologie rénale inaugurale (diurétiques de l’anse, corticoïdes) et au traitements IS post-greffe (hyperparathyroïdie, toxicité des médicaments).

Le risque d’ostéoporose est dose et durée-dépendant. Il est plus important chez les femmes greffées (35,2 %) que chez les hommes (7,8 %)(1). Il se traduit par une perte substantielle (-5 à -10 %) et rapide de la densité minérale osseuse chez 76,2 % des patients dans l’année qui suit leur transplantation(10). Ensuite, la perte de masse osseuse ralentit mais persiste. En post-greffe, l’âge est aussi un facteur de risque important, avec, pour chaque tranche de dix années supplémentaires, une augmentation du risque d’ostéoporose de 55 %. La prévalence des fractures est de 32 % et concerne par ordre décroissant le rachis dorsal, la hanche, l’avant-bras, le tibia, les métatarsiens. Les diabétiques ont un risque trois fois plus élevé de fracture que les non-diabétiques(1).

Une méta-analyse regroupant 33 études et 1 209 patients conclut à un effet favorable sur la densité minérale osseuse des traitements anti-ostéoporotiques avec les bisphosphonates (risédronate, Actonel ; acide alendronique, Fosamax ;vitamine D, calcium). Ces résultats confirment l’intérêt du suivi osseux des patients transplantés, dans la mesure où une action thérapeutique ciblée peut être efficace(11).

Le risque carcinologique

Parmi les événements adverses liés aux IS, le risque de cancer est majoré (de deux à vingt fois selon les études) par rapport à la population générale et pourrait dans le futur constituer le risque majeur de décès chez les patients transplantés(1,3). Ils sont actuellement responsables d’environ 7 % des décès chez les transplantés rénaux. Certains IS (combinaison ciclosporine-azathioprine par exemple) sont plus que d’autres susceptibles d’induire une mutagenèse cellulaire puis un cancer(3).

Les cancers cutanés constituent la majorité des cancers répertoriés chez le transplanté. Ils incluent les mélanomes (particulièrement agressifs), la maladie de Kaposi et d’autres tumeurs plus rares. Toutefois, 95 % d’entre eux sont des carcinomes spinocellulaires (taux multiplié par 65 à 250 par rapport à la population non transplantée) et des carcinomes basocellulaires (taux multiplié par 10). Leur incidence augmente avec la durée de l’IS et l’âge du patient. La cohorte anglaise d’Oxford (1 115 transplantés rénaux) montre une incidence globale de ces cancers de 19,1 % (9 % à cinq ans, 27 % à dix ans, 61 % à quinze ans et 61 % à vingt ans). Le délai moyen d’apparition d’un cancer cutané est d’environ sept, huit ans(12,3). D’une manière générale, les lésions prédominent en zone découverte, en particulier la tête et le cou.

De nombreux autres cancers peuvent également survenir parmi lesquels les lymphomes post-transplantation sont douze fois plus fréquents qu’en population générale. Leur caractéristique histologique, leur développement extra-ganglionnaire et leur mauvais pronostic les différencient des lymphomes rencontrés en population générale. Par ailleurs, les cancers gynécologiques et digestifs sont majorés chez les femmes.

Le pronostic des cancers chez les patients greffés reste péjoratif car leur prise en charge thérapeutique est souvent limitée, les patients supportant mal les chimiothérapies. En général, la réduction de l’IS est envisagée pour mettre en place une chimiothérapie. L’effet moins cancérogène du MMF et des inhibiteurs de la mTOR est actuellement en cours d’études et des molécules plus spécifiques de la relation hôte-greffon et moins susceptibles d’induire des dérégulations cellulaires sont en développement(3). Pour l’heure, il convient de renforcer la surveillance des signes d’alerte et l’information des patients quant aux risques de carcinogénèse et aux mesures à mettre en place, notamment pour prévenir les cancers cutanés.

Dispositif de surveillance post-greffe

Face à tous ces risques induits, il convient d’adapter en permanence la stratégie thérapeutique à chaque patient pour limiter, prévenir ou traiter les effets iatrogènes des IS.

Un calendrier associant contrôles systématiques et individualisés

À cet effet, quelle que soit la répartition convenue entre le CT et le (s) médecin (s) qui assurent le suivi partagé en ville, la surveillance clinique et biologique du patient transplanté rénal est adossée à un calendrier de contrôles systématiques (voir le tableau ci-dessus) et de contrôles individualisés déterminés par l’évolution générale du patient et du greffon. Très intense dans les trois premiers mois, le rythme du suivi est progressivement allégé mais impose néanmoins aux patients transplantés, au-delà de l’observance quotidienne des traitements IS, de respecter très rigoureusement le protocole de surveillance médicale à court (quatre à six mois), moyen (sept à douze mois) et long terme (au-delà d’un an) recommandé par la HAS. L’ensemble du protocole de suivi recommandé par la HAS est disponible sur son site Internet (via le lien raccourci bit.ly/2jk6pp8).

Contraception post-greffe

Lorsqu’elles sont en dialyse, les femmes non ménopausées ne conservent leurs cycles menstruels que dans 23 % des cas. La greffe permet à 50 % d’entre elles de retrouver des cycles réguliers et, à 30 %, des cycles irréguliers qui imposent, la fertilité étant possible dès le premier mois post-greffe, de mettre en place une contraception en raison des risques de fausse couche et de prématurité associés aux IS, en cas de grossesse. Une contraception mécanique (préservatif) ou hormonale à base de progestatif seul est le plus souvent proposée. Les pilules œstroprogestatives présentent l’inconvénient d’augmenter les concentrations circulantes de la ciclosporine, du tacrolimus, du sirolimus et des corticoïdes. Elles sont déconseillées de manière générale et plus particulièrement chez les femmes de plus de 35 ans ou ayant des antécédents cardiovasculaires, de tabagisme ou de thrombophlébite. Un suivi gynécologique spécialisé en lien avec le CT doit être mis en place. La grossesse est possible chez des femmes ayant une bonne fonction du greffon et sans HTA sévère. Elle nécessite de modifier le traitement et d’arrêter et de remplacer en particulier le CellCept et le Myfortic (risque tératogène) et certains antihypertenseurs.

ETP AVANT, PENDANT ET APRÈS

Pour être libérée de la dialyse, la vie du patient transplanté rénal est ponctuée d’obligations et réclame d’assimiler un très grand nombre de connaissances. Le patient doit aussi comprendre et assimiler l’intérêt des traitements et du suivi et les risques associés au manque d’observance.

S’y prendre tôt, la clé de l’efficacité

L’éducation thérapeutique de ces patients relève d’une prise en charge globale qui commence avant et se poursuit pendant et après la greffe pour optimiser l’appropriation des informations (reformulation des connaissances ou croyances) et l’autonomie des patients. « Dans notre centre, nous démarrons l’ETP dès l’inscription du patient sur la liste d’attente et leur proposons d’intégrer notre programme Espair (Éducation, santé, parcours et accompagnement des insuffisants rénaux) mis en place en 2009 et commun au centre de dialyse, au service de néphrologie qui suit le patient pour son insuffisance rénale, et au CT rattachés au CHU », explique le Dr?Esposito. Pendant la période de pré-greffe, un pré-diagnostic éducatif est réalisé, et sera actualisé lors de l’hospitalisation. Le patient participe, avec l’accompagnant de son choix, à trois ateliers collectifs ayant pour thèmes la vie socio-professionnelle (préparer le patient à l’après-dialyse et à la liberté “surveillée” de la greffe), les aspects médicaux de la greffe (appel à la greffe, chirurgie, suites opératoires, risques de rejets, traitements anti-rejets…) et les comportements de santé pour bien préparer son organisme à recevoir le greffon (arrêt du tabac, hygiène de vie, alimentation, préparation mentale). Médecins, infirmières, diététicienne, psychologue, assistante sociale interviennent en fonction des thèmes abordés et des besoins des patients. À l’issue de ces ateliers, les patients sont rappelés par les infirmières d’ETP à trois mois et six mois pour évaluer ce qu’ils ont retenu et approfondir les connaissances si besoin (éléments de sécurité, connaissances des traitements et des consignes relatives à leur administration et leur surveillance, notamment). « Récemment, nous avons également initié un atelier “donneur vivant” pour permettre au patient et au donneur de soulever toutes les questions qui les préoccupent afin de leur apporter les réponses capables d’éclairer cette démarche pour l’un et l’autre », ajoute le médecin.

Renforcer et pérenniser les acquis

Ce travail éducatif est poursuivi et coordonné par les IDE d’ETP pendant l’hospitalisation et ensuite en post-opératoire à un, trois, six mois et un an de la greffe dans le cadre de la consultation infirmière. L’occasion d’aborder tous les sujets inhérents à la prise en charge éducative des patients déjà évoqués en pré-greffe à l’aune de la pratique et du vécu quotidien. Les patients peuvent également appeler à la demande les différents intervenants par téléphone et disposent d’un numéro d’urgence joignable 24 heures sur 24. En fonction des difficultés identifiées par les infirmières d’ETP, ils peuvent participer à des ateliers collectifs proposés sur de nombreuses thématiques (reprise de l’activité physique, gestion du traitement, alimentation, arrêt du tabac…). Au terme de cette première année, le programme Espair s’arrête mais les patients peuvent, si nécessaire, bénéficier, à leur demande ou à celle des professionnels de santé, du soutien des infirmières d’ETP. Dans l’idéal, le patient devrait être vu chaque année pour appréhender les éventuelles difficultés du quotidien susceptibles d’empêcher une bonne adhésion. « Ce soutien peut également être relayé de manière informelle par les Idels à l’occasion des soins ambulatoires que nous prescrivons (pansements, ablation de fils, prise des médicaments…) à la sortie des patients mais aussi plus durablement, pour accompagner des patients à risque de complication, âgés et/ou seuls, conclut le Dr Esposito. Même si elles ne sont pas formées à l’ETP des patients greffés, les Idels constituent, avec les médecins libéraux, des relais pour entretenir les connaissances, encourager l’observance, accompagner et soutenir les patients et nous alerter au moindre problème. »

(1) HAS, “Suivi ambulatoire de l’adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation”, service des recommandations professionnelles, novembre 2007 (lien raccourci bit.ly/2jk6pp8).

(2) La mise en place d’une sonde urétérale “JJ” lors de la transplantation rénale a pour objectif de diminuer les risques de complications urologiques (fuites urinaires anastomotiques, obstruction urétérale).

(3) Expertise collective de l’Inserm, “Transplantation d’organe, quelles voies de recherche ?”, Synthèses et recommandations, 2009 (lien raccourci bit.ly/2j3xLlY).

(4) Pr P. Marquet (Inserm/Limoges) et col., “Transplantation d’organes”, décembre 2015 (lien raccourci bit.ly/2iJqaYm).

(5) Les traitements mis en place en cas de rejet dépendent du type (cellulaire ou humoral) et de l’intensité du rejet déterminés par la biopsie. Ils font appel en cas de rejet cellulaire aux bolus de corticoïdes et, si résistant, au sérum antilymphocytaire et, en cas de rejet humoral, aux échanges plasmatiques et aux anticorps anti-CD20 ou aux anti-lymphocytes B.

(6) Ramenée au type de don, la survie des greffons à dix ans est de 61 % en cas de donneurs décédés et de 76 % en cas de donneur vivant. Source : Rapport médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine, 2015 (lien raccourci bit.ly/2jjHfH9).

(7) Collège français des urologues, “Transplantation d’organes – Aspects épidémiologiques et immunologiques ; principes de traitement de surveillance ; complications et pronostics ; aspects éthiques et légaux”, 2014 (lien raccourci bit.ly/2j4NTQG).

(8) Nodat : New-onset diabetes after transplantation.

(9) V.M. Montori et col., “Posttransplantation diabetes. A systematic review of the literature”, Diabetes Care, 2002;25 (3):583-92 (lien raccourci bit.ly/2jsl9o9).

(10) A. Cohen et col., “Management of bone loss after organ transplantation”, Journal of Bone and Mineral Research, 2004;19(12):191932 (lien raccourci bit.ly/2jsount).

(11) S.C. Palmer et col., “Interventions for preventing bone disease in kidney transplant recipients: a systematic review of randomized controlled trials”. American Journal of Kidney Diseases 2005;45(4):638-49 (lien raccourci bit.ly/2j4UpXq).

(12) C. Bordea et col., “Skin cancers in renaltransplant recipients occur more frequently than previously recognized in a temperate climate”, Transplantation, 2004;77(4):574-9 (lien raccourci bit.ly/2jsEllJ).

En chiffres

→ En 2015, sur l’ensemble des 5 746 greffes réalisées, soit plus de 15 greffes par jour, 3 486 (dont 15,7 % à partir de donneur vivant) concernaient le rein, 1 355 le foie, 471 le cœur et 345 les poumons.

Source : Rapport médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine, 2015 (lien raccourci :bit.ly/2jjHfH9).

Éléments transmis aux professionnels de santé chargés du suivi partagé des patients transplantés rénaux en ambulatoire

→ Antécédents du patient, en particulier néphrologiques : type de néphropathie, durée et type de dialyse, transplantation antérieure.

→ Caractéristiques de la transplantation : type de don (vivant ou mort cérébrale), âge du donneur, incompatibilité HLA (antigènes des leucocytes humains) et immunisation préalable, statut sérologique du donneur et du receveur pour le virus de l’hépatite B, le virus de l’hépatite C,le cytomégalovirus et le virus d’Epstein-Barr.

→ Données du suivi des trois premiers mois post-greffe : comptes rendus d’opération, d’hospitalisation et de surveillance.

→ Éléments cliniques et biologiques au moment du début du suivi partagé du patient transplanté : derniers résultats (créatinémie, débit de filtration glomérulaire, ECBU, protéinurie, rapport protéinurie/ créatinine, bilan lipidique, écho-doppler du transplant, densitométrie osseuse pré- et post-greffe.

→ Type et modalités d’immunosuppression et autres traitements en cours : protocole d’immunosuppresseurs (IS) et fourchettes thérapeutiques, traitements associés, changements prévisibles (posologies et dates) des traitements (IS et autres).

→ Modalités de suivi : dates des consultations programmées avec le centre de transplantation hospitalier (CT), programme d’ETP prévu.

→ Coordonnées des personnes du CT à contacter : médecin (s) référent (s), contact d’urgence.

Source : HAS.

Indications de la ponction-biopsie du greffon

Nombre de patients transplantés rénaux bénéficieront durantleur suivi de plusieurs ponctions-biopsies du greffon de plus en plus souvent réalisées en ambulatoire.

Ces biopsies sont généralement indiquées pour diagnostiquer un rejet aigu suspecté au vu de la biologie (élévation de la créatinine par rapport au niveau habituel pour le patient). Une protéinurie significative (> 1 g/24 heures), une dysfonction chronique du greffon, une hématurie, constituent les autres indications de la biopsie du transplant. Par ailleurs, des biopsies dites “protocolaires” ou “systématiques” peuvent également être réalisées pour objectiver un rejet “histologique” en l’absence d’altération de la fonction rénale. Les études montrent que la prévalence de ces rejets infracliniques détectés par des biopsies systématiques est de 27 % à trois mois et de 15 % à six mois. De même, la réalisation de biopsies du transplant chez des patients sans anomalie clinique (fièvre, sensibilité du greffon, douleur), ni biologique, peut permettre de détecter des signes histologiques de toxicité de certains traitements (AC notamment), voire la présence d’une néphropathie à BK virus (polyomavirus) susceptibles d’entraîner la dégradation progressive de la fonction rénale. Cela dit, la biopsie du greffon reste un geste invasif que les équipes tentent de cantonner au strict nécessaire. « En pratique, dans notre centre, explique le Dr Esposito, nous limitons les biopsies systématiques à certains protocoles tels que les greffes ABO incompatibles ou les greffes avec anticorps pour nous assurer qu’il n’y a pas de signes précurseurs de rejet chronique. »

Source : HAS, recommandations professionnelles, 2007, Dr Esposito.

Expertise

Ne jamais arrêter le traitement

Marie-Alice Macher, responsable du pôle stratégie-greffe de la direction prélèvement greffe organes-tissus de l’Agence de la biomédecine

« Dans certaines circonstances, quelle que soit l’association initiale, le traitement immunosuppresseur peut encore être allégé à deux médicaments, mais ne doit jamais être arrêté. Malgré les progrès, force est d’admettre que nous ne disposons pas encore d’un outil de surveillance de ces traitements permettant d’obtenir le monitorage parfait de l’immunossuppression entre le trop et le trop peu. »