Cahier de formation
Savoir faire
À la suite d’un cancer, Mme S., 45 ans, a subi une ablation du rectum et d’une partie du vagin. Elle est porteuse d’une stomie, qu’elle gère bien. Elle mène une vie proche de la normale. Vous n’assurez donc plus que deux soins par semaine. Lors de l’une de vos visites, elle vous fait part de sa difficulté à reprendre une activité sexuelle. Vous la rassurez en lui disant que la cicatrice ne se rouvrira pas et que le vagin est capable de résister à un rapport sexuel. « Ce n’est pas cela, vous répond-elle, c’est la poche qui me gêne, je me sens sale… Mon mari, ça ne le dérange pas, lui ! »
Si la rassurer sur la fonctionnalité de ses organes génitaux est nécessaire, il est également important de l’écouter et d’entendre sa demande. La stomie touche à son intimité et à sa féminité ; les odeurs, la poche et son contenu peuvent la bloquer dans sa pudeur et dans la relation avec son partenaire. Il est donc crucial de lui faire préciser ce qui la gêne vraiment, tant à son niveau que dans sa relation à l’autre (écoute active). Il est important que vous revoyez avec elle comment organiser sa prise de repas (émission de selles et de gaz dans l’heure qui suit) ainsi que ses rapports sexuels. Vous refaites alors le point sur les positions les plus confortables et qui sont adoptées lors des rapports et vous l’encouragez à utiliser des lubrifiants. S’il y a lieu, vous lui proposez de l’orienter vers une infirmière stomathérapeute pour l’aider à intégrer sa stomie dans son schéma corporel (l’image que l’on a de son corps).
La prise en charge du cancer a beaucoup évolué du fait des avancées médicales : guérir sans (trop) de séquelles est légitimement devenu une priorité. Même lorsque la rémission totale n’est pas envisageable, la sexualité n’est plus considérée comme un dommage collatéral pouvant être sacrifiée sur l’autel de la survie du patient. Les répercussions du cancer et de ses traitements sur la sexualité sont multiples et très fréquentes. Deux ans après le diagnostic, deux tiers des patients rapportent ainsi des séquelles sur leur vie sexuelle
Tous les types de cancer ainsi que les traitements dont ils font l’objet peuvent avoir un impact sur la vie sexuelle des patients. Cependant, on considère assez fréquemment que les cancers qui atteignent uniquement les parties génitales ou la prostate, ou les cancers du sein, ont un impact direct et délétère sur la fonction sexuelle. De même, l’âge, la situation conjugale ou encore l’absence de demande des patients ne préfigurent en rien d’une absence de trouble ou de dysfonction consécutive à la survenue d’un cancer et à l’amorce des traitements. Prendre conscience de ses propres représentations stéréotypées liées à la sexualité constitue la première condition nécessaire pour intégrer les questions et les problèmes liés à la sexualité dans la pratique soignante infirmière.
La fatigue ainsi que les douleurs sont évoquées systématiquement par les patients comme un facteur qui altère leur qualité de vie. Elles contribuent à la diminution de l’envie à s’engager dans un rapport sexuel. De même, les symptômes dépressifs associés au diagnostic du cancer peuvent influer sur le désir ainsi que sur la capacité à avoir un rapport sexuel.
→ Chez les hommes, des dysfonctions érectiles qui sont liées à un trouble du désir, à la chirurgie et à la radiothérapie peuvent apparaître. Des traitements médicamenteux peuvent être proposés.
→ Chez les femmes, la sécheresse vaginale liée à un trouble du désir qui empêche la lubrification ou liée aux traitements chimiothérapiques et hormonaux peut apparaître. Il est alors possible, au détour d’une conversation, de proposer des crèmes lubrifiantes afin de résoudre le problème.
L’annonce du cancer en elle-même peut être vécue comme une remise en question identitaire, et de ce fait avoir un impact sur la perception de son corps. Par ailleurs, les traitements anti-cancéreux sont souvent invasifs et peuvent altérer l’image corporelle, l’estime de soi et l’identité sexuelle. Ainsi, la perte de la pilosité et l’alopécie, la ménopause induite, les ablations d’organe peuvent modifier l’image corporelle, les stomies obligent à mettre en place des stratégies pour ne pas montrer la poche au partenaire, les cicatrices en général peuvent être vécues comme des stigmates de la maladie et bouleverser la perception du schéma corporel.
La survenue d’un cancer peut induire une détresse émotionnelle chez le patient mais aussi dans l’entourage – le plus atteint par le choc émotionnel de l’annonce de la maladie n’est pas toujours le malade lui-même mais parfois son partenaire. Partenaire qui peut devenir co-thérapeute, particulièrement dans les situations d’hospitalisation ou de soins à domicile. La dynamique de l’interaction conjugale peut ainsi être source de soutien, mais également source de stress supplémentaire.
Connaître les conséquences du cancer et de ses traitements sur la sexualité fait partie intégrante des compétences infirmières, pour pouvoir délivrer une information, intervenir ou orienter vers un professionnel compétent selon la nature des difficultés rencontrées par les patients. Trois types de “difficultés” sexuelles ont ainsi été décrites de façon hiérarchique dans le référentiel Afsos consacré au cancer et à la sexualité. Ces trois types de difficultés peuvent être rapprochées des trois niveaux d’intervention de l’OMS présentés dans la partie Savoir p. 30. Pour chacune d’entre elles, les compétences à mettre en œuvre sont décrites.
« Un tiers des patients dit que la sexualité n’est pas ou plus leur préoccupation », note l’Afsos dans son référentiel de bonnes pratiques pour la prise en charge de la sexualité en cancérologie. Ici, c’est le premier niveau d’intervention de l’OMS qui est concerné, l’information des patients, afin qu’ils sachent que le cancer et ses traitements peuvent avoir des conséquences sur leur vie sexuelle. Ce premier niveau concerne tous les professionnels de santé car aucune qualification spécifique n’est nécessaire si ce n’est une information minimale afin, d’une part, de faire de la santé sexuelle un aspect de la qualité de vie comme les autres (comme la douleur par exemple) et, d’autre part, de travailler sur les représentations inhérentes à la sexualité.
L’écoute et la reformulation constituent la première forme de communication concernant la sexualité pour les infirmières. Cette écoute empathique s’inscrit plus largement dans la dimension relationnelle de la profession infirmière : la relation d’aide. Inspirée des techniques thérapeutiques de Carl Rogers centrées sur la personne, la relation d’aide constitue l’un des piliers de la perspective holistique et humaniste du soin infirmier. Elle se base sur des techniques verbales et non verbales qui se caractérisent notamment par une écoute active, la reformulation des propos ou encore une attitude empathique
« Un tiers des patients présente des troubles dont le traitement est souvent très facile et accessible, surtout s’ils sont abordés précocement. » Dans ce cas, c’est le deuxième niveau d’intervention de l’OMS, celui du conseil (counseling) qui est concerné par cette catégorie de patients. Tous les soignants sont également encouragés à intervenir à ce niveau. Tout comme pour le niveau précédent, une formation minimale sur la santé sexuelle est nécessaire mais des compétences communicationnelles sont également requises afin que le cadre de la relation soignant-soigné soit respecté.
Tout en restant dans sa compétence et sa légitimité de soignant, il s’agit d’adopter une approche centrée sur la recherche d’une altération de la santé sexuelle, en évaluant la plainte ou les craintes. Saisir l’opportunité d’aborder la sexualité peut passer par l’évocation d’autres sujets : la contraception, les prothèses, les soins corporels, l’hygiène de vie, la relation de couple… Demander aux patients ce qu’on leur a déjà dit à ce propos ou ce qu’ils ont pu lire est important pour clarifier certains questionnements et apporter une information qui pourra les rassurer. L’utilisation de tous les moyens et supports d’information du patient et des partenaires (brochures, plaquettes des sociétés savantes ou d’associations…) permet d’asseoir son propos. Enfin, à l’aide d’une sémantique adaptée et pédagogique, beaucoup de craintes peuvent être “désamorcées” car elles sont simples et abordables en pratique quotidienne.
« Un tiers des patients souffre de troubles plus complexes pour lesquels il existe également des solutions. » Ce troisième niveau se réfère au troisième niveau des recommandations de l’OMS, celui de la thérapie (psychothérapie ou sexothérapie) ou du traitement (médicamenteux et/ou chirurgical) selon la nature du trouble. Il concerne donc plus spécifiquement les psychologues, psychiatres, psychothérapeutes ainsi que les médecins, mais également les infirmières dans le sens où elles doivent être capables d’évaluer la complexité du trouble afin d’orienter au mieux le patient, ce qui peut se révéler difficile sans le minimum de connaissances requises.
(1) Enquêtes nationales sur “la vie deux ans après le cancer” : M. Préau, A.-D. Bouhnik, D. Rey, J. Mancini, C. Mermilliod & M.-C. Mouquet, Les conséquences du cancer sur la vie privée. La vie deux ans après le diagnostic de cancer (pp. 288-346). Paris La documentation française, 2008 ; A.-D. Bouhnik & J. Mancini. Sexualité, vie affective et conjugale. La vie deux ans après un diagnostic de cancer – De l’annonce à l’après-cancer (pp. 418-431), collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014.
(2) Les idées de ce chapitre sont développées en détail dans le chapitre d’A. Giami, E. Moreau & G. Domenech-Dorca, “Le conseil en santé sexuelle”, in G.-N.Fischer & C. Tarquinio (Eds.), Psychologie de la santé : applications et interventions, Dunod, pp. 83-108, 2014.
(3) Collectif SFAP, Relation d’aide en soins infirmiers. Prendre soin : éthique et pratiques, Elsevier-Masson, 2010.
Sous l’égide de l’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos), une équipe d’oncologie a élaboré un référentiel ad hoc intitulé “Cancer, vie et santé sexuelle” et propose des formations aux soignants (Afsos, décembre 2011). Ce référentiel fait état des conséquences du cancer et des traitements sur la sexualité mais offre également des solutions aux soignants, selon leurs champs de compétences respectifs, pour intervenir dans ce domaine (via le lien raccourci bit.ly/2mkhirQ).
Un référentiel intitulé “Cancer, santé sexuelle et intimité. Accompagnement des patient (es) traité (es) pour un cancer du sein par chimiothérapie et/ou hormonothérapie” est également en ligne (via le lien raccourci bit.ly/2mkfZt5).