Cahier de formation
Savoir faire
L’Idel apporte des informations sur des questions liées à la sexualité des patients. Elle est également confrontée à l’irruption de la sexualité dans la relation de soin. Les connaissances, les compétences communicationnelles et la réflexivité constituent alors des éléments indispensables des “bonnes pratiques” vis-à-vis de la sexualité, dont la prise en compte permet une prise en charge globale du patient.
Vous passez comme chaque jour chez les époux X. pour effectuer des soins à Mme X., atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ce jour-là, le fils du couple qui est présent vous accueille froidement en vous disant : « Les soins que vous faites à ma mère ne servent à rien ! Je ne comprends pas que vous laissiez faire ce que j’ai vu ce matin ! » Il vous raconte que lui et son père discutaient quand sa mère est arrivée sans échanger avec l’un ou l’autre : elle s’est alors directement dirigée vers son mari, lui a mis la main dans le pantalon et lui a saisi le sexe puis est repartie comme si rien ne s’était passé. Le fils vous interpelle : « Je ne peux pas laisser faire ça devant moi, comme ça ! Donnez-lui les médicaments qu’il faut ! »
Ne réagissez pas de façon hâtive, car cela risque de couper court à l’écoute et à la subtilité nécessaires à cet échange. Vous vous montrez attentive au désarroi, au trouble du fils. Vous lui accordez la priorité de votre prise en charge car une telle situation demande de l’écoute et du temps pour lui permettre d’exprimer ce qui le met en colère. Demandez-lui ce qu’il attend de vous en ayant vérifié en amont qu’il connaît la pathologie dont souffre sa mère et ses manifestations possibles. Même s’il les connaît, il en est peut-être témoin pour la première fois et se sent démuni face à la désinhibition de sa mère qui lui impose de fait un acte sexuel entre parents (même si le père n’était pas consentant). Vous lui donnez les informations pour expliquer cet acte. Vous précisez que cet acte ne doit pas être considéré comme étant celui d’une personne en pleine conscience, la connotation d’agression sexuelle n’est pas à retenir dans ce cas. Vous indiquez que ce comportement nécessite de la part de l’entourage un cadrage bienveillant des gestes à faire et à ne pas faire envers les uns ou les autres, par exemple en touchant le bras ou la main de la personne au moment du geste qui interpelle en lui disant qu’elle ne peut pas le faire, en utilisant un vocabulaire simple et précis (avec un « non » notamment) car la personne n’a pas ou plus accès aux subtilités du langage et au lien de cause à effet. Cette démarche doit être renouvelée autant de fois que nécessaire (en raison d’une mémoire défaillante) et nécessite une attention permanente.
L’infirmière a la possibilité de s’appuyer sur son savoir et ses compétences professionnelles pour répondre aux questions ou aux demandes concernant la santé sexuelle et le soin ; cependant, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit d’une situation d’érotisation de la relation qui atteint cette fois-ci l’infirmière en tant que personne. Dans ces situations délicates, la professionnelle de santé, souvent démunie, doit aussi pouvoir faire appel à des ressources puisées dans sa propre expérience, liée à son aisance ou à son malaise personnel à l’égard de la sexualité et aux connaissances qu’elle a acquises au hasard de ses lectures et de ses rencontres.
Les demandes du patient dans le domaine de la santé sexuelle revêtent plusieurs formes.
→ Demandes d’informations sur les conséquences d’une maladie ou d’un traitement sur la fonction sexuelle et sur la fertilité.
→ Confidences sur les problèmes sexuels.
→ Demande de conseil conjugal.
→ Demande de conseils sur l’utilisation d’une contraception ou sur le recours à une IVG.
→ Demandes explicites de relations sexuelles ou d’attouchements sexuels de la part d’un patient (dans ce cas, la limite entre une demande d’aide et une forme de harcèlement peut être difficile à tracer).
→ Demande d’aide dans l’accomplissement des relations sexuelles avec son partenaire lorsque l’on est physiquement incapable de le faire.
→ Demande de mise en contact avec une travailleuse du sexe, une masseuse…
→ En cas d’hospitalisation, demande de recevoir son conjoint partenaire dans sa chambre.
→ Manipulation des organes génitaux pour des soins infirmiers (crème, rasage).
→ Toilette et soins des zones ano-génitales.
→ Harcèlements, agressions, gestes et propos déplacés.
De nombreuses résistances à communiquer autour de la sexualité sont décrites dans les écrits et les publications des infirmières
En référence au modèle conceptuel d’Hildegarde Péplau
« Quelque chose ne va pas, j’y pense tout le temps. » C’est de l’ordre du vécu individuel et relationnel, en parler pour clarifier serait la solution. L’infirmière se basera sur les principes de l’écoute active, qui consiste à décoder la dimension affective non verbalisée et à mettre des mots sur ce qui se vit afin d’aider le patient à formuler et à préciser sa difficulté ou son inquiétude.
« Je ne sais pas faire », « je bloque et je n’ose pas ». Cela peut être lié à la relation ou aux circonstances. La personne a besoin d’un éclairage ou d’un conseil pour faire la part des choses et revisiter ses angoisses. L’infirmière aide le patient à clarifier la situation en reformulant ses propos et en vérifie la perception auprès de lui. Elle peut ensuite se positionner en tant que professionnelle sur la problématique exposée et faire part de ses connaissances et de son expérience sur ces thématiques.
« Tout va bien mais je ne fonctionne plus. » C’est au niveau de l’organicité que la question ici se pose. Toutefois, les troubles sexuels fonctionnels peuvent être liés à l’organe mais aussi au domaine psychologique (conscient ou inconscient). Si l’infirmière a la compétence requise et l’expérience dans ce domaine, elle délivre une information éclairante et adaptée à la demande du patient. Sinon, elle l’oriente, après avoir clarifié sa demande, vers un autre professionnel ou expert formé à la sexologie (lire Savoir p. 35).
Celle-ci est liée à la maladie (le diabète par exemple) ou une lésion (chirurgie ou traumatisme) et aux conséquences que celles-ci impliquent sur la sexualité. Face aux effets qu’entraînent la maladie et les traumatismes sur l’activité sexuelle, l’infirmière s’informe sur les effets induits, confronte ses connaissances, prend en compte les protocoles en cours et institués et partage ses données avec les professionnels concernés, en vue d’un accompagnement cohérent et harmonieux de l’épreuve traversée par le patient. À ce niveau, l’infirmière peut avoir pour mission de coordonner les soins, dont le parcours fait appel à plusieurs disciplines.
Se munir d’un modèle pour apprendre à communiquer participe de la légitimité à aborder la sexualité. Parmi les différents modèles existants, le modèle Plissit (pour Permission, Limited information, Specific Suggestions et Intensive Therapy) permet, en sexologie, d’évaluer les niveaux d’intervention après l’analyse clinique et est structuré en quatre niveaux.
Rassurer la personne soignée quant à sa vie sexuelle et lui permettre d’exprimer ses inquiétudes alors qu’elle a un problème de santé.
Donner une information fiable sur l’anatomie et la physiologie de la fonction sexuelle et reproductive. Donner des informations précises et ciblées, ce qui nécessite des connaissances plus approfondies pour le soignant.
Aborder les aspects plus intimes de la personne soignée. Ceci nécessite pour le professionnel d’en savoir plus sur l’histoire de la problématique sexuelle discutée et d’être formé à ces thématiques. La question à poser au patient à ce niveau est : « Qu’est ce qui fait problème ? »
Les prises en charge relèvent de l’expertise thérapeutique et sexologique (par exemple à la suite d’une chirurgie ou d’un traumatisme affectant la fonction sexuelle).
Au premier plan de l’érotisation du soin, on trouve l’image sociale de l’infirmière qui est l’objet de nombreux fantasmes véhiculés par des représentations culturelles encore tenaces. C’est un peu comme si l’infirmière était une icône sexy par définition. Elle est ainsi à même de susciter les fantasmes les plus imaginatifs chez les patients et dans la population de façon générale. Pour preuve de la permanence de cette image, le nombre de films pornographiques mettant en scène des infirmières. Cette image constitue-t-elle un frein au soin ? Certaines infirmières n’aborderaient pas les questions liées à la sexualité avec leurs patients afin “de ne pas exposer leur vulnérabilité”.
La pratique de soins touchant aux zones génitales fait courir le risque de dérapage ou de malentendu dans le cadre de la relation entre l’infirmière et le patient (le plus souvent de sexe masculin). Les contacts rapprochés peuvent porter à confusion ou susciter de l’excitation sexuelle chez le patient. L’infirmière se doit de réagir tout en essayant de maintenir la dimension du soin.
Il s’agit ici de prendre en compte tout un registre de significations, de sentiments, d’émotions, de fantasmes et de pensées qui peuvent être attribués ou associés à des contacts corporels professionnels considérés et vécus comme non sexuels ou n’entrant pas nécessairement dans le registre de l’érotique.
Dans certains cas, l’érotisation, vécue comme une forme de sympathie et d’attitude positive émanant des patients, peut grandement faciliter les soins en créant une forme de complicité entre les infirmières et les patients, notamment lorsque ces derniers font explicitement des compliments gratifiants aux infirmières qui les soignent… ou qui blaguent avec elles (blagues légères, humoristiques, drôles et agréables permettant de se détendre). Il peut s’instaurer entre les infirmières et les patients une certaine intimité à la fois physique (par la proximité de l’infirmière avec le corps malade qu’elle lave et soigne) et subjective (connivences/complicité/réassurance) qui peut s’exprimer par des marques de tendresse/attention (bises, câlins, réconfort que l’on s’autorise notamment avec des patients jeunes ou des personnes âgées ou en fin de vie). Ces actes et ces paroles ne sont pas considérés comme “sexuels” (au sens restreint de génitalité), car ils ne sont pas “érotisés”. La désexualisation des actes et des relations potentiellement sexuels est le résultat d’un processus acquis lentement au fil de l’expérience qui permet une proximité plus grande avec le patient tout en ne se sentant pas menacée. Ainsi, l’érotisation de la relation de soin, telle qu’elle est décrite ici dans sa version “soft”, est vécue agréablement, de manière gratifiante, allégeant la charge de travail, facilitant la relation de soin, créant une connivence entre les partenaires du soin, concourant grandement à la satisfaction au travail et donnant le sentiment qu’une relation “humaine” s’est établie avec le patient, au-delà des rôles impartis à chacun dans la relation de soin. L’expression d’une forte implication personnelle et de sentiments positifs envers les patients, ou envers certains d’entre eux, expose toutefois les infirmières à deux types de risques : d’une part, perdre la dimension professionnelle de leurs interventions (si la distance affective envers le patient est abolie) et, d’autre part, s’exposer au risque du harcèlement et des abus sexuels.
Il s’agit principalement de formes de harcèlement sexuel, qu’il s’agisse de propositions sexuelles directes ou d’attouchements inappropriés sur l’infirmière ou encore de formes d’exhibition des organes génitaux ou de la pratique d’actes sexuels au moment où l’infirmière est témoin de la scène. Ces situations sont le plus souvent vécues de façon négative par les infirmières, comme une forme de harcèlement sexuel difficilement acceptable pour elles. Dans ce cas, le déni de la survenue de l’événement, sa banalisation ou son intégration dans les schémas et les protocoles professionnels ne s’avère pas possible. Le harcèlement sexuel est vécu de façon radicalement différente de l’érotisation involontaire et se voit qualifié de “dérapage” lors des actes routiniers du soin.
(1) Il s’agit de publications issues de recherches faites par les infirmières sur les infirmières, aux États-Unis, en Angleterre et au Brésil (principalement). En France, l’Arsi (Association de recherche en soins infirmiers) développe ce type de recherche propre à la profession. À relire, notre dossier du numéro de janvier sur la recherche infirmière, et également A. Giami, E. Moreau & P. Moulin, “Les théories de la sexualité dans le champ du cancer : les savoirs infirmiers”, Psycho-Oncologie, volume 1, pp. 226-230, décembre 2007 ; E. Moreau, P. Moulin, A. Giami, “L’évolution des liens entre cancer et sexualité : revue critique de la littérature/The Evolution of Links between Cancer and Sexuality: a Critical Review of the Literature”, Psycho-Oncologie, juin 2016, vol. 10, pp. 91-97.
(2) H. Peplau, Relations interpersonnelles en soins infirmiers, 1952, Interéditions, Paris, 1995.
(3) Lynda-Juall Carpénito-Noyet, Manuel des diagnostics infirmiers, 13e édition, 2012.
(4) Nadia Flicourt, “Aborder la sexualité de la personne et la relation au corps dans les soins”, document pédagogique ISIS (www.isis-infirmiers.com), 2015.
(5) Ces idées sont développées en détail dans l’ouvrage Infirmières et sexualité : entre soin et relations, Éditions EHESP, 2015 (voir aussi en Savoir plus p. 46).
Constituer un réseau de professionnels est fondamental pour pouvoir orienter en fonction de la demande ou de l’évaluation de la situation du patient vers un sexologue (annuaires de l’AIUS et de la Fédération française de sexologie et santé sexuelle, seules associations habilitées en France à reconnaître les sexologues), gynécologue, urologue, psychologue, psychiatre, kinésithérapeute spécialisé dans la rééducation périnéale, etc.
« J’arrive chez un couple pour des soins auprès de M. Y., porteur d’une sonde urinaire, qui a des difficultés à se mouvoir et ne peut effectuer seul ses soins d’hygiène. Sa femme est toujours très présente durant les soins mais ne m’assiste pas. Durant la toilette périnéale, M. Y. me tient des propos déplacés sur son sexe tout en me regardant, ainsi que sa femme qui sourit avec un air “entendu”. J’ai déjà constaté ce fait lors de la plupart de mes passages. Je me suis sentie agressée, manipulée par le couple, mais, comme je ne savais pas comment réagir, je suis partie sans rien dire. »
Vous pouvez à tout moment, sauf urgence, cesser de donner des soins après vous en être expliquée avec les personnes concernées, en avoir donné les raisons et orienté celles-ci vers des confrères ou une autre structure (lire aussi la partie Savoir p. 35). Dans le cas présent, seule la soignante concernée peut qualifier de harcèlement ou d’agressionce qu’elle a ressenti. Cette expérience est à partager entre collègues, à signaler sur les transmissions. Une position commune peut être prise d’une posture “cadrante” adoptée par tous les soignants du cabinet infirmier vis-à-vis de ce couple. Les soins peuvent même être confiés à des infirmiers hommes plutôt que femmes, si l’effectif le permet, dans la mesure où le fait d’être un soignant de sexe masculin ou féminin joue sur la nature de la relation quand il est question d’intimité, de nudité, de corps. Ceci en précisant qu’aucune attitude équivoque ne saurait être tolérée, ce qui entraînerait l’arrêt de la prise en charge. En particulier quand le soigné est conscient, être malade ne donne pas tous les droits et notamment n’autorise pas les débordements et l’atteinte à la personne des soignants.
Le modèle de support Johns (2000) peut être utilisé après un incident auquel a été confrontée l’infirmière. Du fait de l’implication de l’intime, voire de l’intrusif des situations à caractère sexuel vécues dans le soin, c’est un outil bien adapté. Développé par des praticiens en soins infirmiers, il constitue un outil de réflexion structurée en faisant le distinguo entre les émotions et les pensées propres, le contexte extérieur et l’impact que celui-ci a sur notre relation aux autres. Il permettrait de mieux appréhender ultérieurement le type de situation vécue. Cet outil peut être utilisé pour la réflexion individuelle de l’infirmière, en groupe de supervision ou en réunion d’équipe.
Temps I
1. Décrire la situation
Temps II (échange)
2. Quel était mon but danscette situation ?
3. Pourquoi suis-je intervenue de cette manière ?
4. Quelles ont été les conséquences de mes actions ?
– pour le patient et sa famille ?
– pour moi ?
– pour l’équipe ?
5. Quel a été le ressenti du patient ?
6. Comment le savez-vous ?
7. Qu’ai-je ressenti sur le moment ?
8. Quels étaient les facteurs internes qui m’ont influencée ?
9. Est-ce que mes actions étaient en accord avec mes valeurs ?
10. Y a-t-il des facteurs qui m’ont conduite à ne pas être cohérente ?
11. Quelles sont les connaissances que j’ai mobilisées ?
12. Est-ce que cette situation me rappelle des situations antérieures ?
13. Dans une situation similaire à l’avenir, quelle serait ma réaction ?
14. Qu’est-ce que je ressens actuellement quant à cette expérience ?
Temps III
15. Cette situation m’aide-t-elle à avancer ?
16. Ai-je décidé de modifier ma démarche à l’avenir ?
Source : C. Johns, Becoming a Reflective Practitioner, 4e édition, Wiley-Blackwell, 2013.
DEUX FORMES D’ÉROTISATION DE LA RELATION DE SOIN
→ Nécessaire à l’exercice du soin : plaisir pris dans l’accomplissement du travail et dans la relation avec les personnes : sympathie, empathie, écoute, disponibilité.
→ Obstacle au travail : forme de menace pour l’infirmière : érotisation non souhaitée, harcèlement, dégoût, antipathie.