L'infirmière Libérale Magazine n° 334 du 01/03/2017

 

PROFESSIONS

Actualité

Laure Martin  

QUALITÉ DE SERVICE > L’indépendance des professions réglementées, dont font partie les Idels, constitue-t-elle une garantie pour les usagers ? Le colloque organisé le 1er février par le Comité de liaison des institutions ordinales a été l’occasion de s’intéresser aux attentes des usagers vis-à-vis des professionnels, notamment ceux de la santé.

L’indépendance des professions réglementées se doit d’être matérielle, morale et intellectuelle à l’égard de tous », a soutenu Jean-François Dalbin, président de l’Ordre des géomètres experts et du Comité de liaison des institutions ordinales, le Clio, lors d’un colloque qu’il a organisé le 1er février à Paris. Cette indépendance est selon lui souvent remise en cause, notamment par les usagers. Ces derniers ont des attentes vis-à-vis des professionnels et « ne savent pas forcément ce qu’est une profession réglementée », observe Agnès-Christine Tomas-Lacoste, directrice générale de l’Institut national de la consommation. Est-ce la détention d’un diplôme spécifique ? L’enregistrement auprès d’un ordre professionnel pour pouvoir exercer ? Le respect de règles ? L’application de tarifs ? Rappelons que c’est bien la possession d’un diplôme spécifique pour y accéder qui définit les professions réglementées, dont celle d’infirmière libérale.

À qui profitent les ordres ?

« Pour les consommateurs, c’est surtout le droit de choisir », ajoute-t-elle. La question de l’indépendance du professionnel se pose principalement en cas de litige, précise David Rodrigues, responsable juridique de l’association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV), affirmant que ceux-ci cherchent avant tout la compétence. Ils auraient d’ailleurs « un léger souci avec les conseils de l’ordre car ce ne sont pas des syndicats professionnels mais ils se comportent comme tels, soutient-il. Ces instances défendent l’intérêt des professionnels en cherchant la protection et en faisant la promotion de la profession ». « Vous avez une vision passéiste des ordres et d’un corporatisme qui n’a plus lieu d’être, lui répond Pascale Mathieu, présidente du Conseil national de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Les ordres permettent une garantie, les chambres disciplinaires ne sont pas là pour protéger les professionnels. »

La certification inutile ?

Autre aspect de la relation usagers-professionnels : l’évaluation de la qualité. « Tous les professionnels de santé font de la qualité, c’est connu, mais, aujourd’hui, il faut le prouver, dit Serge Deschaux, conseiller technique de la Confédération nationale des syndicats dentaires, en charge de la qualité et de sécurité des soins. Quelle place accorder à la certification ? » « Les consommateurs y sont peu sensibles tout comme à la labellisation car ils considèrent que ces démarches sont utilisées dans un but promotionnel et qu’il n’y a pas forcément de qualité derrière, rapporte David Rodrigues. C’est brutal mais c’est la réalité ! Il faut donc faire de la sensibilisation. Les professionnels doivent aller au-delà de la certification et attester qu’ils font bien leur travail en termes de réactivité, d’écoute ou encore de relationnel. » Comment les consommateurs s’en rendent-ils compte ? En ces temps de mise en contact rapide avec les professionnels via les nouvelles technologies, à l’image du modèle de l’entreprise Uber, leur jugement évoluerait. « Aujourd’hui, ils veulent tout noter, les hôtels, les restaurants, mais aussi les professionnels », estime Grégoire Leclerc, président de l’Observatoire de l’ubérisation. Ils ne prêteraient plus aucune attention à la certification et à la norme et ne feraient attention, pour choisir, qu’aux notations des autres consommateurs.

La langue des soignants

Qu’en est-il de la place des 50 millions de professionnels réglementés en Europe à l’heure où la France transpose une directive européenne sur l’accès partiel (cf. notre numéro de février) ? « Il y a un contexte avec des traités qui ont prévu la liberté de circulation et de prestation de services, explique Olivier Coppens, attaché économique à la représentation de la Commission européenne en France. Et le contexte économique fait que nous devons trouver des leviers de croissance et d’emploi au niveau européen tout en garantissant l’intérêt général. » Au niveau local, cette libre circulation peut être source de complications pour les professionnels. « Nous, les professionnels de santé, sommes en grande difficulté car, face à la libre circulation, on ne nous donne pas les moyens de contrôler la maîtrise de la langue française des professionnels, souligne Pascale Mathieu, de l’Ordre des kinés. Beaucoup de patients nous remontent des difficultés relationnelles. » Pour Olivier Coppens, « la langue est certes un critère important, mais cela ne doit pas être discriminant. Les textes européens reconnaissent que c’est bloquant et demandent aux États, lorsqu’ils autorisent l’exercice d’un professionnel, de s’assurer de l’équivalence du diplôme et de la maîtrise de la langue. »

Le numérique change-t-il l’ordre des choses ?

« Aujourd’hui, le débat sur l’évolution du XXIe siècle dans le monde économique est traité de manière prophétique, analyse Jean-Hervé Lorenzi, membre du directoire de la banque Rothschild et président du Cercle des économistes, qui se présente comme un cercle de réflexion. Ce qui compte, est-ce de savoir quels sont les emplois qui vont être supprimés par le numérique ? » Au sein des professions réglementées, bien au-delà de savoir si des robots vont les remplacer, il s’agit selon lui de comprendre la manière dont les métiers seront impactés. Car, « lorsqu’on observe les deux derniers siècles, avec notamment la Révolution industrielle, la mécanique a consisté à observer des évolutions de l’emploi, suivies de la création d’un nouvel ordre ». Grégoire Leclerc, président de l’Observatoire de l’ubérisation, rappelle néanmoins que l’ubérisation, ce phénomène qui met en contact quasi instantané professionnels et usagers via les nouvelles technologies, est certes le résultat d’un nouveau modèle économique, mais il est aussi un révélateur de l’impact majeur des nouvelles technologies, à savoir le big data (l’utilisation de grands volumes de données), l’algorithmie (par le recours à une programmation informatique) et l’intelligence artificielle. « Il y a une structure autour du métier, alors on peut se préparer à affronter cette évolution, cette révolution, et donner des guides pratiques aux professionnels pour qu’ils en tirent le meilleur profit, espère Grégoire Leclerc. [Car, avec cette ubérisation], de nombreuses fenêtres s’ouvrent pour travailler autrement, il y a sur le marché l’émergence de millions de savoir-faire différents. » Une situation qui, selon lui, déstabilise les professions réglementées avec par exemple l’émergence des plateformes qui permettent de prendre des rendez-vous en ligne, qui comparent les professionnels ou encore donnent des renseignements en ligne.