L'infirmière Libérale Magazine n° 334 du 01/03/2017

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous avez soigné récemment M. G., 78 ans, des suites sans complication d’une prostatectomie lors de son retour à domicile. Après quelques temps, il vous rappelle mais il reste évasif. Vous vous rendez à son domicile, où M.G. vous précise : « Voilà, le médecin m’a dit que vous pouviez m’aider à injecter ce produit dans ma verge pour que je fonctionne mieux… » Mme G., 70 ans, confirme ses propos. Vous êtes surprise par la teneur de cette demande et, dans le doute, vous rassurez les époux G. en leur disant qu’ils ont bien fait de vous appeler mais que, de votre côté, vous n’avez jamais été confrontée à l’injection intracaverneuse (intrapénienne)…

La surprise passée, vous clarifiez la demande de M. G. en l’invitant à préciser ses difficultés (peur de l’injection bien que souvent non douloureuse, maladresse, crainte que cela ne fonctionne pas, etc.). Au regard des textes, vous ne pouvez effectuer cet acte : il ne figure pas dans le décret de compétences des IDE. Vous pouvez néanmoins vous informer auprès du médecin de ce qui a été convenu avec le couple. Vous projetez de mettre à jour vos connaissances sur le plan théorique (mode d’action, effets secondaires) et sur la technique d’injection, afin d’informer M. G. sur ce geste, notamment sur le fait que l’érection se produit dans les quinze minutes. À noter que la dimension éducative peut aussi englober Mme G. ; il revient au couple d’érotiser par la suite ce soin dans son intimité… Si vous ne vous sentez pas à l’aise sur l’information à donner, vous pouvez solliciter un (e) collègue plus au fait pour prendre le relais.

CONSTATS

Les personnes âgées constituent une part importante de la patientèle des infirmières selon qu’elles interviennent à domicile, dans des établissements de soins ou de long séjour (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, maisons de retraite). Le vieillissement est vécu majoritairement en couple par les hommes et sans conjoint auprès de soi par les femmes : passé 75 ans, environ deux tiers des hommes vivent avec une partenaire contre seulement un quart des femmes. En fait, ce qui pose généralement problème aux entourages, aux soignants et à la société, ce n’est pas tant l’absence d’activité sexuelle, mais son maintien. L’allongement de l’espérance de vie a conduit à une reconnaissance du bien-fondé de la sexualité chez les personnes âgées. L’absence d’activité sexuelle, au même titre que son maintien, ne devrait pas être considérée comme un “problème” à traiter et les réponses infirmières doivent être formulées au cas par cas.

La solitude et l’isolement

La solitude pour les personnes qui vivent seules à domicile et même l’isolement pour les personnes qui vivent en établissement constituent les principaux obstacles à une vie affective et sexuelle. Cet isolement est probablement ce qui produit le plus de souffrance chez ces personnes et il renforce leur vulnérabilité. D’autant plus que les personnes n’ont pas la possibilité de retrouver ceux et celles à qui elles portent de l’affection.

Entre l’inhibition et la désinhibition

Le déclin cognitif et la survenue de la maladie d’Alzheimer peuvent avoir deux types de conséquences sur la vie sexuelle.

Dans le premier cas, les personnes manifestent un repli sur soi, un désintérêt et un éloignement général envers les autres qui se traduit aussi par une inhibition totale des expressions érotiques.

Dans le second cas, une minorité de personnes expriment des comportements considérés comme “inappropriés”. Il peut s’agir de la pratique de la masturbation, de l’exhibitionnisme ou du voyeurisme. Alors que l’inhibition totale des expressions sexuelles et érotiques semble ne choquer personne – bien au contraire – les expressions dites “inappropriées” causent un certain malaise dans les entourages de ces personnes.

Les relations de couple

Au-delà des conduites qui sont assimilées à des paraphilies ou troubles de la préférence sexuelle, les professionnels de santé peuvent être témoins de la recherche d’un partenaire sexuel et affectif, avec le projet d’établir une nouvelle relation de couple avec une personne consentante. Une nouvelle relation amoureuse peut ainsi se développer sous les regards attendris de certains professionnels, plus attentifs au bien-être des personnes, mais avec la désapprobation ou même l’hostilité de certains soignants. Mais ce sont surtout les familles qui peuvent voir d’un très mauvais œil le développement d’un nouvel attachement qui viendrait détruire l’image parentale qu’elles souhaitent garder de la grand-mère ou du grand-père. Cette situation se retrouve plus souvent en Ehpad ou en maison de retraite que lorsque la personne est isolée à son domicile. D’aucuns estiment alors souhaitable, au nom de la morale ou de la protection des personnes vulnérables, de séparer ce couple en formation. Mais, si l’on ne relève pas de dimension de contrainte de l’un sur l’autre, alors pourquoi ne pas laisser ces personnes développer leur romance ?

LE CADRE RÉGLEMENTAIRE ET ÉTHIQUE

Le cadre réglementaire

La règlementation assure à l’usager des soins, au patient et à son entourage le droit au respect de son intimité, de sa sexualité et de ses choix tant qu’il peut les assumer. Il est nécessaire de distinguer les patients en fonction de leur âge, de leurs déficiences et des formes de dépendance qu’elles induisent et de leurs capacités de discernement qui peuvent varier en fonction des troubles cognitifs (démences, maladie d’Alzheimer).

La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale vise à rendre l’usager acteur de son projet de vie en favorisant le respect de ses droits, en référence « aux droits de la personnalité » du Code civil. Rappelons qu’en application du Code civil, la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ou à l’intimité ouvre droit à réparation.

Selon l’article 7, « dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés le respect de sa dignité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité… ». Dans la mesure où la majorité des personnes âgées sont confrontées à une diminution importante de leurs capacités sexuelles, du fait du vieillissement lui-même, de la solitude conjugale, ou de la diminution des capacités mentales, la présence d’une activité sexuelle peut souvent être considérée et vécue par les personnels et les entourages familiaux comme inappropriée, et ce, d’autant plus qu’une personne n’a pas la possibilité de donner un réel consentement à participer à une activité sexuelle. À cet effet, la charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante de 2007 stipule « qu’une personne âgée doit être protégée des actions visant à la séparer d’un tiers avec qui de façon mutuellement consentie, elle entretient ou a souhaité avoir une relation intime… » (article 4).

Lors de manifestations sexuelles déplacées du patient, par exemple en cas de masturbation en public, d’exhibition, de propos déplacés, d’attouchements et d’agressions sexuels envers des personnes soignées ou soignantes non consentantes ou vulnérables, l’infirmière peut poser les limites par un langage simple et précis, voire une injonction, une directivité affirmée par le ton et la voix (« oui » ou « non », « pas ici », « pas devant tout le monde ») et réaffirmée à chaque fois que cela s’impose si la personne oublie ce cadre en raison de sa pathologie ; pour les personnes en pleine conscience, les limites sont rappelées sur un mode “confrontant”, voire sous la forme d’un rappel à la loi. Un comportement déplacé émanant d’une personne consciente en posture de choix et d’une démarche d’obtention d’un consentement d’un ou d’une partenaire ne peut en effet être toléré, alors qu’un accompagnement éducatif adapté sera indispensable pour une personne n’ayant pas ou plus de discernement. Pour l’une, il s’agit d’une agression même si la personne est en cours de soin ou de traitement, pour l’autre, il y a obligation de se former ou de s’informer à l’accompagnement spécifique des personnes désorientées et/ou désinhibées.

Le respect des personnes âgées

La charte européenne des droits et responsabilités des personnes âgées nécessitant des soins et une assistance de longue durée, développée au niveau européen par AGE-platform Europe(1) et EDE(2), stipule pour sa part, le 20 juin 2010, que toute personne vieillissante conserve ses droits à la vie privée et à l’intimité ainsi qu’à la protection d’un espace qui lui est réservé, à elle seule ou avec la personne de son choix ; « votre espace personnel doit être respecté quels que soient l’endroit où vous vivez et le dégré d’assistance dont vous avez besoin. Toutes les personnes participant à votre prise en charge, à vos soins et à votre traitement doivent avoir à cœur de ne pas empiéter sur votre vie privée ou vos relations intimes », indique le texte dans son article 3. Enfin, au vu de la charte des droits et libertés des personnes âgées en situation de handicap et de dépendance (article 4), « toute personne, quel que soit son âge, doit être protégée des actions visant à la séparer d’un tiers avec lequel, de façon libre et mutuellement consentie, elle entretient ou souhaite avoir une relation intime. Respecter la personne dans sa sphère privée, sa vie relationnelle, affective et sexuelle s’impose à tous ».

QUE FAIRE AVEC LES PERSONNES ÂGÉES ?

Présupposés à l’égard des personnes âgées

Le premier obstacle à surmonter est d’ordre psycho-social : reconnaître que les personnes âgées peuvent (encore) avoir une vie sexuelle et ne pas se sentir scandalisé lorsque l’on est témoin d’expressions érotiques, amoureuses ou sexuelles que l’on peut qualifier de communes à l’ensemble des adultes. Mais, inversement, le fait d’avoir une activité sexuelle ne constitue aucunement une obligation ; comme pour toutes les personnes vulnérables, il faut les protéger contre d’éventuels abus sexuels.

La priorité est de prendre conscience de nos représentations, de nos préjugés et de nos émotions envers les personnes âgées. Nombre d’adultes (en âge de procréer et en âge de travailler) ont l’habitude de considérer et de traiter comme personnes âgées des personnes qui ont de vingt à vingt-cinq ans de plus qu’eux, qui auraient abandonné toute vie sexuelle active – seules ou avec un partenaire. Les femmes sont – encore plus que les hommes – supposées avoir abandonné toute vie sexuelle à la suite de la ménopause. Ce préjugé tenace amène à souvent considérer toute manifestation sexuelle d’une personne âgée comme déplacée. Témoins, les expressions usitées de “vieille dame indigne” et de “vieux dégueulasse”. Toute expression sexuelle et amoureuse apparaît ainsi comme une forme de déviance, une perversion et de nombreuses infirmières se disent choquées, voire même dégoûtées par ces expressions. D’autres difficultés sont liées à la prégnance des images sociales qui donnent une valeur érotique majeure aux corps juvéniles et dévalorisent les corps vieillissants.

Il faut distinguer des difficultés liées au vieillissement lui-même, qui entraîne généralement une diminution normale de la libido et de l’intérêt pour la sexualité, des situations de dégénérescence cognitive qui peuvent provoquer soit une absence totale de libido, soit au contraire des formes de désinhibition sexuelle qui vont susciter de l’incompréhension chez les autres. Il convient aussi de distinguer les personnes âgées encore actives et insérées dans la société, entourées de leur conjoint et de leur famille, engagées dans des associations, et qui fréquentent des clubs de loisirs, chez lesquelles la continuation d’une vie affective et sexuelle est de plus en plus considérée comme normale, voire encouragée. Notons aussi que, parfois, le placement dans un établissement de séjour (maison de retraite) permet à certaines personnes de sortir de leur isolement et de retrouver une vie sociale et relationnelle dont elles ont la capacité. Les problèmes se posent différemment avec l’avancée en âge qui confine ces personnes à l’isolement et dans la dépendance des personnes aidantes – entourages familiaux ou personnels plus ou moins qualifiés.

Intervenir au cas par cas

Dans tous ces cas, il est important de rappeler qu’il n’existe pas de recette générale ni d’outil validé permettant de répondre à l’ensemble des situations rencontrées. Appliquer des recettes impersonnelles peut aussi s’apparenter à de la maltraitance et il convient de ne pas confondre le maintien de l’ordre, ordre moral ou ordre sanitaire (en établissement ou à domicile), avec le service rendu à la personne tout en n’accédant pas nécessairement à ses demandes. Il faut ainsi prendre en considération que la personne âgée doit être écoutée et aidée pour elle-même dans son intérêt au-delà des intérêts de son entourage lorsque ces intérêts apparaissent contradictoires. Enfin, il importe de sortir du fantasme selon lequel les personnes âgées sont nos parents ou même nos enfants. Le respect de la personne passe par la reconnaissance de son statut de personne, et ce, jusqu’à la mort.

(1) Le réseau européen AGE-platform Europe, créé en 2001 et basé à Bruxelles, regroupe 150 organisations de personnes âgées représentant 28 millions de seniors de l’Union européenne. Ses missions : faire entendre et promouvoir les intérêts des personnes âgées dans l’Union européenne.

(2) European Association for Directors of Residential Homes for the Elderly.

TEXTES OFFICIELS

À domicile ou en établissement

• Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Chapitre III : Droits et obligations des établissements et des services sociaux et médico-sociaux.

• Charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de dépendance et de handicap, qui émane de la Fondation nationale de gérontologie et du ministère de l’Emploi et de la Solidarité (1999, et mise à jour en 2007) (via le lien bit.ly/2kmsOSj).

• Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles.

• Décret n° 2007-975 du 15 mai 2007 fixant le contenu du cahier des charges des établissements sociaux et médico-sociaux (JORF n° 113 du 16 mai 2007 p. 9373-texte 225, bit.ly/2lN2Dbc)

• Déclaration des droits sexuels, Association mondiale pour la santé sexuelle, 2014 (bit.ly/2kJK7iF).

Je cote à la nomenclature

→ La nomenclature générale des actes professionnels ne comprend aucun acte spécifiquement lié à la santé sexuelle. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la prise en compte de cette thématique n’est pas nécessaire à la prise en charge globale du patient…