L’allergie aux pansements dans l’ulcère de jambe - L'Infirmière Libérale Magazine n° 335 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 335 du 01/04/2017

 

Dermatologie

Cahier de formation

Point sur

Thierry Pennable  

Les patients porteurs d’ulcère de jambe sont plus à risque de présenter des allergies aux pansements. Une étude du service de dermatologie du CHU de Reims (Marne) rapporte que les pansements hydrocolloïdes, hydrogels et inhibiteurs des métalloprotéases sont les plus sensibilisants parmi les pansements testés.

« L’eczéma de contact allergique est suffisamment présent chez les patients ayant un ulcère de jambe pour motiver une étude sur cette complication qui retarde la cicatrisation », souligne le Dr Églantine Garval, dermatologue au CHU de Reims. Une idée mise en application par le service de dermatologie de ce CHU. L’étude menée* décrit les sensibilisations aux différents dispositifs médicaux (pansements ou autres topiques) appliqués à l’ulcère de jambe (UDJ). « Et plus particulièrement la sensibilisation aux nouveaux dispositifs médicaux apparus sur le marché, qui reste à ce jour peu décrite », précise le Dr Garval.

Peu de facteurs identifiés

L’étude a porté sur un effectif limité de 73 malades présentant un UDJ d’origine vasculaire et un eczéma péri-ulcéreux de contact allergique. L’étiologie de l’ulcère (veineux, mixte, artériel…), l’âge et le sexe du patient n’ont pas influencé de manière significative la sensibilisation aux pansements. En revanche, deux facteurs augmentent le risque de sensibilisation :

→ l’ancienneté de l’ulcère : plus l’ulcère est ancien, plus le risque est élevé. L’étude relève que les UDJ de plus de cinq ans étaient plus souvent polysensibilisés ;

→ la présence d’un eczéma chronique majore le risque de sensibilisations à des allergènes notoires.

L’eczéma de contact allergique

L’eczéma de contact allergique, ou dermatite de contact, est une réaction inflammatoire cutanée due à la sensibilisation à un allergène mis en contact avec la peau. Il se déclenche de manière différée.

Signes cliniques

La forme aiguë, la plus courante, se caractérise par :

→ des plaques rouges et sèches à bords irréguliers ;

→ des vésicules qui se rompent et suintent spontanément ou sous l’effet du grattage lié aux démangeaisons ;

→ la formation, à la phase tardive ou chronique, de croûtes.

Ces lésions apparaissent d’abord au niveau de la zone en contact avec l’allergène et peuvent se disséminer plus largement sur le corps. La forme chronique est caractérisée par une peau épaissie, craquelée, souvent plus foncée.

Principaux diagnostics différentiels

→ L’eczéma ou dermatite de stase touche des patients souffrant d’une maladie veineuse qui peut se manifester par des varices au bas des jambes souvent associées à un œdème des chevilles surtout en fin de journée, et peut se compliquer d’un UDJ. Cette forme d’eczéma reste limitée aux bas de la jambe ou peut s’étendre sur le corps. Elle provoque souvent des démangeaisons importantes.

→ Une dermatite d’irritation se caractérise par des tâches cutanées rouges ou rosées non saillantes (macules) ou des boutons de taille variable (papules), des placards érythémateux parfois œdématiés, voire des vésicules. Elle provoque une sensation de picotement ou de brûlure. D’apparition rapide après le contact, la dermatite d’irritation se limite aux zones de contact avec l’agent irritant.

Traitement de l’eczéma de contact

→ L’éviction de l’allergène, si celui-ci a été identifié, permet une guérison sous dix à quinze jours. Dans le cas contraire, le traitement symptomatique est plus ou moins voué à l’échec et l’eczéma évolue vers la chronicité.

→ Application d’un dermocorticoïde local une fois par jour, étalé en fine couche avec un massage léger pour le faire pénétrer.

→ Antibiotiques en cas de surinfection avérée, se manifestant par des vésicules purulentes et des lésions croûteuses.

Conduite à tenir

« La présence d’eczéma sur le pourtour de la plaie doit faire orienter le patient vers son médecin traitant qui pourra demander un avis spécialisé. Car le diagnostic doit être étayé par des tests allergologiques qui permettent aussi d’identifier les allergènes responsables », souligne le Dr Églantine Garval. Toutefois, « le remplacement d’un pansement suspecté de produire une allergie par une autre classe de pansement n’est pas une erreur », ajoute la spécialiste.

Des pansements mieux supportés que d’autres

Dans l’étude du CHU de Reims, 45 % des patients étaient sensibilisés aux pansements testés. Un taux supérieur aux données de la littérature qui varient de 0 à 27,1 %. « Cela peut être en partie expliqué par le fait que nous avons testé davantage de produits », notent les auteurs.

Pansements les mieux tolérés

Les hydrofibres (produits testés : Aquacel et Aquacel argent) ont provoqué des sensibilisations chez 7 % des patients, les interfaces (Urgotul) chez 5 %, les alginates (Curasorb) chez 3 % et les pansements gras (Jelonet) chez aucun patient.

Les hydrocellulaires

Les hydrocellulaires testés dans l’étude sont : Tielle S, Allevyn adhésive, Mepilex, Biatain contact, Biatain Ibu. Ils n’ont provoqué de sensibilisation que chez 7 % des patients. « Cette classe de pansements régulièrement enrichie de nouveaux produits est très variée, y compris en termes de composants. Il est donc plus difficile de tirer des conclusions sur le potentiel sensibilisant de cette classe en dehors des hydrocellulaires testés qui semblent bien tolérés », précise le Dr Garval. Le silicone présent dans de nombreux hydrocellulaires est souvent suspecté dans des réactions cutanées de contact mais apparaît peu sensibilisant dans cette étude.

Les moins bien tolérés

Dans l’étude, les hydrocolloïdes ont provoqué des sensibilisations chez 38 % des patients (produits testés : DuoDerm E, DuoDerm Signal, DuoDerm Pâte, Comfeel Plus Plaque), les pansements interfaces avec inhibiteurs des métalloprotéases chez 25 % des patients (UrgoStart) et les hydrogels chez 18 % des patients (IntraSite Gel, Comfeel Purilon Gel). « L’identification précise de l’allergène responsable de l’eczéma de contact est difficile car les fabricants ne sont pas tenus de donner la composition des pansements en cas d’allergie », notent les auteurs de l’étude. Malgré cela, certains allergènes sont mis en cause dans les sensibilisations, comme le propylène glycol, alcool contenu dans les hydrogels, et la colophane, substance d’origine végétale issue des résines de pins, présente dans les hydrocolloïdes. Les auteurs estiment qu’une étude plus large, menéee sur un échantillon plus étendu de dispositifs médicaux, reste à faire.

* “Fréquence des sensibilisations de contact aux dispositifs médicaux utilisés pour le traitement de l’ulcère de jambe”, étude menée au CHU de Reims de 2010 à 2014. Un poster de l’étude a été présenté aux Journées dermatologiques de Paris en décembre 2016.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

Autres topiques testés

L’étude du CHU de Reims s’est également intéressée aux principaux topiques locaux utilisés dans le traitement de l’UDJ. Principales sensibilisations :

→ 37 % des patients avec la Bétadine dermique, antiseptique qui peut entraîner des irritations dont des formes sévères avec nécrose cutanée (10 % avec la Bétadine gel) ;

→ 33 % avec le chlorure de benzalkonium utilisé depuis de nombreuses années en tant que surfactant et antiseptique/désinfectant (contenu par exemple dans Biseptine, Biseptinespraid, Mercryl…) ;

→ 32 % avec le baume du Pérou utilisé entre autres dans le traitement de dermites irritatives (contenu par exemple dans la Pommade Lelong) ;

→ 17 % avec le nickel sulfate (contenu dans la vaseline à hauteur de 5 %) ;

→ 15 % avec la Biafine, émulsion protectrice et calmante utilisée dans le traitement des brûlures et des plaies superficielles non infectées.