L'infirmière Libérale Magazine n° 335 du 01/04/2017

 

SOUFFRANCE AU TRAVAIL

Actualité

Marie Luginsland  

La ministre a présenté le second volet, ambulatoire, de la stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie des professionnels de santé. Neuf engagements déclinés en quinze actions et destinés à mieux prévenir les risques psychosociaux et assurer la sécurité des soignants.

Annoncé pour janvier, le volet ambulatoire de la stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail vient, enfin, d’être dévoilé le 21 mars, par Marisol Touraine, ministre de la Santé. Il aura fallu attendre trois mois après la parution du premier plan d’action en faveur des médecins et soignants hospitaliers pour que la ministre dévoile son plan contre la souffrance au travail des soignants libéraux. Un plan d’ailleurs dépourvu de calendrier ou de plan de financement annoncés.

Lever un tabou

Présenté devant les Ordres professionnels, les syndicats, les associations et les étudiants, ce second plan d’action s’articule autour de trois axes : améliorer les conditions d’exercice, assurer la sécurité des soignants, prévenir et prendre en charge la souffrance au travail. Il reprend un certain nombre d’initiatives prises sur le territoire.

En effet, la ministre n’a pas caché s’être inspirée de l’existant. L’objectif de la stratégie nationale est de donner un cadre à ces initiatives « parfois éparpillées ou insuffisamment connues » afin de les valoriser et de les partager. Aussi ce plan ressemble-t-il davantage à un catalogue de bonnes pratiques qu’à l’énoncé d’une véritable ligne politique. L’ensemble de ces engagements en faveur d’une amélioration des conditions de travail sera coordonné par l’Observatoire national de la qualité de vie au travail et des risques psychosociaux des professionnels de santé, créé en décembre. Magali Eymery, jusqu’alors responsable du département d’appui à la coordination et aux réseaux de santé au sein de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, prend le pilotage de cette mission portée conjointement par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et la Direction générale de l’offre de soins.

La souffrance au travail des professionnels de santé, médiatisée par de nombreux drames, n’est plus un tabou. Marisol Touraine a demandé à l’Enseignement supérieur d’inscrire la qualité de vie au travail, sous le chapitre « prendre soin de soi et de ses collègues », au rang des formations initiales médicales et paramédicales. Ces modules porteront sur les mesures de sécurité à appliquer à la pratique professionnelle, à la gestion des situations problématiques et à leur résolution. L’Agence nationale du développement professionnel continu a été également chargée d’inclure ces priorités au rang de son programme de formations.

L’isolement des libéraux, source de souffrance selon la ministre, devra quant à lui être rompu. Avec le Pacte territoire santé, les maisons de santé pluri-professionnelles se multiplient. Mais elles ne sont pas suffisantes. Marisol Touraine compte sur le développement des nouveaux moyens de communication et de partage de l’information comme la messagerie sécurisée de santé (MSS) pour intensifier les échanges entre professionnels de santé sur le terrain.

Prendre en charge les AES

Toujours dans le registre de la prévention, tout professionnel qui sera exposé à un accident d’exposition au sang (AES) devra « bénéficier d’une prise en charge permettant la mise en œuvre des mesures de prévention devant intervenir dans les heures qui suivent », promet la ministre.

De manière plus générale, à l’instar de la campagne “Dis doc, t’as ton doc ?” menée en Bretagne et dans le Vaucluse, les professionnels de santé libéraux seront incités à se faire suivre par un médecin traitant. L’Assurance maladie aura la mission d’étudier l’extension de ce dispositif « en incluant le dépistage des signes de surmenage professionnel ».

Côté sécurité, le plan reprend les accords “santé-sécurité-justice” de 2011. Ce dispositif sera complété par une conférence annuelle dans chaque département. Mieux formés à la prévention des violences, les libéraux de santé seront incités à déclarer systématiquement agressions et incivilités.

Enfin, troisième axe, la prévention des risques psychosociaux passera par une meilleure détection. L’information sera relayée par les Ordres professionnels, l’Assurance maladie et les Unions régionales des professionnels de santé.

Renforcer l’écoute

Les capacités de formation spécifique “soins aux soignants” seront par ailleurs augmentées. Tandis que plusieurs dispositifs d’écoute accessibles 24 heures sur 24 et sept jours sur sept ont été mis en œuvre sur le territoire, le ministère souhaite les faire converger sur un numéro unique d’appel au niveau national. Pour l’association Soins aux professionnels de santé (SPS), cette reconnaissance est la consécration du travail fourni depuis quatre mois. « Notre plateforme, qui reçoit jusqu’à six appels par jour, a fait la preuve de sa légitimité. Il va falloir pérenniser son fonctionnement et désormais approfondir notre démarche par la formation des soins aux professionnels de santé », expose Catherine Cornibert, directrice des actions et de la communication de SPS. À ce jour, la plateforme a reçu 704 appels dont 29 % provenant d’infirmiers et 24 % de médecins. 29 % des appelants étaient des professionnels de santé libéraux. SPS, dont le dispositif d’écoute est exclusivement assuré par des professionnels, lancera prochainement une plateforme de financement participatif afin de couvrir ses coûts de fonctionnement, la rémunération horaire d’un psychologue s’élevant à 60 euros.

Même satisfaction à l’Association d’aide aux professionnels de santé et médecins libéraux qui a créé, en 2005, le premier dispositif d’aide aux soignants en difficulté. Ce service gratuit d’écoute de soutien psychologique a permis de traiter, en douze ans, plus de 2 000 appels et de cas vitaux.

Un paradoxe aux yeuxde l’Ordre infirmier

L’Ordre national des infirmiers (ONI) est plus circonspect. Au-delà du retard pris par le ministère pour se pencher au chevet des libéraux, il semble paradoxal à Karim Mameri, secrétaire général de l’ONI, que la ministre, qui a elle-même incité au virage ambulatoire de la politique de santé, « se soit si peu souciée des conséquences que ce même virage ambulatoire générait dans les conditions de travail des professionnels de santé libéraux ». Sur le volet de la sécurité, le président de l’Ordre reste dubitatif sur l’efficacité du dispositif “santé-sécurité-justice”, plusieurs témoignages d’infirmières en situation de détresse ayant prouvé le manque de réactivité et d’efficacité des services concernés.

De même, Karim Mameri s’étonne de l’absence de mesures en faveur des infirmières enceintes : « Il est navrant de constater qu’elles ne peuvent pas bénéficier du congé maternité mis en place l’année dernière par la ministre pour les femmes médecins libérales. »

Quant au numéro d’écoute national annoncé, l’Ordre infirmier n’attendra pas ce dispositif. Il étudie actuellement la mise en place d’une plateforme d’écoute propre aux infirmiers, « en capacité de répondre à leurs besoins spécifiques ». Un service d’écoute doté de psychologues mais aussi d’une infirmière référente.