L'infirmière Libérale Magazine n° 336 du 01/05/2017

 

Cahier de formation

Savoir faire

EXERCER FACE À LA DÉFIANCE

La vaccination anti-HPV étant l’objet de controverses, débats, plaintes et demandes d’indemnisation, le fait de l’évoquer chez les jeunes filles expose les Idels à des situations parfois difficiles à gérer d’autant qu’elles peuvent elles-mêmes être troublées par le climat de défiance auquel participent certains membres de la communauté médicale et scientifique, et elles n’ont pas toujours les arguments tangibles à opposer à ceux avancés par les détracteurs de la vaccination. « En tant que soignante, je me fais un devoir de rappeler l’importance de la vaccination et de la préconiser, commente l’Idel Isabelle Allison. Mais il est vrai que mes collègues et moi sommes de plus en plus souvent confrontées à des patientes en pleine confusion, ne sachant pas qui croire, voire totalement acquises à l’idée de ne plus faire vacciner leurs enfants au prétexte que les vaccins leur font courir des risques inacceptables. Nous tentons bien de leur rappeler les bénéfices historiques de la vaccination, que le risque zéro n’existe pas, que beaucoup d’études montrent que les complications post-vaccinales observées restent marginales, mais ce n’est souvent pas suffisant pour les rassurer. » Les Idels se documentent donc sur ce sujet, pour pourvoir étayer leur argumentation et répondre de manière circonstanciée et factuelle aux patientes dans le doute.

SAVOIR POUR MIEUX ÉCLAIRER

De manière pragmatique, un moyen d’y contribuer consiste à répertorier les principales critiques du vaccin HPV et les réponses possibles à la lueur des connaissances actuelles et des études(1).

« Les vaccins HPV ne ciblent qu’une minorité de souches oncogènes et ne protègent pas contre de nombreux génotypes eux aussi pourvoyeurs de cancer »

Les deux vaccins actuellement disponibles ne protègent effectivement que sept femmes sur dix. Mais faire courir un risque de CCU à dix femmes sur dix au prétexte que “seulement” sept sont protégées est-il fondé ? Qui plus est, le Gardasil 9 valences, qui devrait être prochainement commercialisé en France, permettra d’étendre la protection à plus de neuf femmes sur dix.

« Le taux de mortalité (0,7 %) et l’âge généralement avancé du décès (après 75 ans) ne justifient pas le discours alarmiste servi aux jeunes filles pour les inciter à se vacciner »

0,7 % de morts évitables, n’est-ce pas 0,7 % de trop d’un point de vue médical et humain ? Par ailleurs, peut-on tolérer et ne pas s’alarmer de la mort évitable de 1 000 femmes au prétexte de ne pas inquiéter les jeunes filles en leur expliquant qu’en refusant de se vacciner, elles prennent le risque d’être contaminées par le HPV et de développer, au pire, un cancer, et a minima un condylome acuminé dommageable pour leur vie sexuelle et leur qualité de vie ?

« Le dépistage permet de diminuer de moitié les cas de cancer et de décès. Alors pourquoi se vacciner ? »

Le dépistage ne permet pas de diminuer les infections à HPV. Il permet de détecter celles qui ont évolué en lésions précancéreuses, voire en cancer. Par ailleurs, seulement 61 % des femmes se font dépister, ce qui n’est pas suffisant. Dès lors, il est important de promouvoir la vaccination pour réduire les risques de contamination par les HPV couverts par les vaccins pour les 39 % de femmes qui n’adhèrent pas au programme de dépistage. En outre, pour celles qui se font vacciner, il est important de se faire dépister quand même car les vaccins existants, même s’ils devraient couvrir près de 90 % des risques de cancer avec le 9 valences, ne couvrent pas la totalité des virus oncogènes.

« L’aluminium, adjuvant constitutif, entre autres, des vaccins HPV, induit des maladies auto-immunes et neurologiques (autisme, maladie d’Alzheimer…) »

Les sels d’aluminium figurent parmi les adjuvants les plus utilisés dans le monde avec un recul d’utilisation de 90 ans et des centaines de millions de doses injectées. Néanmoins, l’aluminium est aujourd’hui mis en cause dans l’apparition d’une quinzaine de maladies pouvant être dues à un processus auto-immun incluant des affections neurologiques (affections démyélinisantes du système nerveux central et syndrome de Guillain-Barré), rhumatologiques (lupus localisé ou systémique, vascularites, polyarthrite rhumatoïde, myosite ou dermatomyosite, syndrome de Gougerot-Sjögren), hématologiques (purpura thrombopénique immunologique), endocriniennes (diabète de type 1, thyroïdites, pancréatites) et gastro-intestinales (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, maladie cœliaque)(2). Un risque qui a conduit les autorités de santé à diligenter des études afin de définir plus précisément l’impact épidémiologique du vaccin HPV et de préciser les risques dus à la présence d’aluminium dans certains adjuvants vaccinaux. L’ANSM et l’Assurance maladie ont notamment commandé et financé à partir de décembre 2013 l’étude Inserm “BNAA-VACC” (“Biopersistance et neuromigration des adjuvants aluminiques des vaccins : facteurs de risques génétiques et neurotoxicité expérimentale”), dont le responsable scientifique est le Pr Romain Gherardi, directeur de l’unité Inserm U955 E10 (université Paris-Est) et chef du service d’histologie-embryologie de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), également centre de référence des maladies neuromusculaires. En mai 2014, lors d’une audition publique à l’assemblée nationale(3), ce chercheur a indiqué en substance que « si l’immense majorité des personnes vaccinées n’ont pas de problème avec l’aluminium des vaccins, ce qui est de nature à ne pas remettre en cause les bénéfices et le bien-fondé de la vaccination, l’aluminium n’en demeure pas moins un indésirable absolu dans le métabolisme du vivant qui justifie de tout mettre en œuvre pour remplacer cet adjuvant ». Et d’expliquer que les études expérimentales chez le rat, la souris et le singe montrent que l’aluminium n’est pas éliminé rapidement après l’injection comme on le croyait, qu’il ne reste pas localisé au site d’injection mais est transporté par les cellules de l’immunité et pourrait, chez certains individus qui ne parviennent pas à l’évacuer, induire la persistance d’une immunostimulation chronique possiblement responsable de maladies auto-immunes, de maladies neurodégénératives, voire de cancers. Des enseignements qui justifient de poursuivre les études afin de confirmer la relation de cause à effet et la nécessité d’intensifier les recherches d’ores et déjà en cours pour élaborer de nouveaux adjuvants(4). « Si ces éléments nous fondent à poursuivre les investigations scientifiques sur l’aluminium, pour autant, ils ne justifient pas de prendre un risque statistiquement beaucoup plus important d’infections à HPV et de cancer en rejetant la vaccination HPV, commente le Pr Denis Querleu. En tant que soignants, nous devons raison garder et mettre en avant la proportionnalité des risques encourus dans l’un et l’autre cas. »

« Les études réalisées pour attester de l’innocuité vaccinale sont contestables »

Mettre la pertinence des études en doute revient à discréditer et remettre en doute l’indépendance des organismes ou les institutions qui les conduisent : entre autres, le Centre for Disease Control (CDC) qui confirme le bon profil de tolérance du Gardasil sur 56 millions de doses administrées entre 2006 et 2013 aux États-Unis(5) ; le Comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale (GACVS) qui confirme en mars 2014 le rapport bénéfice/ risque favorable des vaccins HPV ; le Système national de surveillance de l’assurance maladie (Sniiram) qui attestait en 2014, à la suite d’une étude de cohorte comparant 600 000 jeunes filles vaccinées à 1 200 000 non vaccinées, que le taux d’incidence des maladies auto-immunes (toutes confondues) après un suivi de trois ans n’est pas significativement différent entre vaccinées et non vaccinées, ou encore l’ANSM et l’Assurance maladie qui concluent, dans une étude pharmaco-épidémiologique réalisée sur une cohorte de 2,2 millions de jeunes filles de 13 à 16 ans, que la vaccination contre les infections à HPV par Gardasil ou Cervarix n’entraîne pas d’augmentation du risque global de survenue de maladies auto-immunes. Cette étude reconnaît néanmoins qu’une augmentation du risque de syndrome de Guillain-Barré après vaccination anti-HPV apparaît probable, conformément aux effets identifiés dans l’AMM du vaccin, de l’ordre d’un à deux cas pour 100 000, ce qui, compte tenu de la rareté de cette maladie, ne remet pas en cause la balance bénéfice/risque des vaccins concernés(2).

UN AUTRE INTÉRÊT DE LA VACCINATION

Actuellement, la vaccination HPV reste très orientée sur la prévention du CCU. « Or il est important d’avoir une vision large des risques liés à l’infection HPV, insiste le Dr Darmon. Ces risques concernent d’autres cancers (vaginal, vulvaire, anal, ORL), mais aussi les condylomes acuminés (MST) dont la fréquence (50 000 nouveaux cas par an), la contagiosité, le vécu psychologique très douloureux, les traitements pénibles et longs, et les récidives fréquentes retentissent lourdement sur la qualité de vie des patients. » D’où l’intérêt d’inciter les Idels à saisir toutes les opportunités pour parler de la vaccination HPV non seulement en termes de prévention des cancers génitaux mais aussi de prévention des MST. « C’est effectivement un argument auquel on ne pense pas forcément et qui peut en soi constituer un moyen d’aborder plus généralement la prévention des MST qu’elle soit vaccinale (CCU, condylomes) ou mécanique (préservatif), l’une ne dispensant pas de l’autre pour se protéger de toutes les MST », conclut Isabelle Allison.

(1) Les réponses sont issues d’entretiens avec le Pr Denis Querleu et le Dr Jean-Claude Darmon ainsi que de l’intervention du Dr Odile Bouchard, médecin interniste spécialiste des pathologies infectieuses et tropicales à Avignon, lors de la 11e rencontre du réseau Oncosud, novembre 2016.

(2) ANSM, Assurance maladie, “Vaccins anti-HPV et risque de maladies autoimmunes : étude pharmaco-épidémiologique”, Rapport final (à télécharger via bit.ly/1OvGJQO).

(3) Rapport à consulter via bit.ly/2q6KT9A

(4) Le HCSP encourage aussi, dans une étude de 2013 (bit.ly/1yaYbCT), la poursuite des recherches destinées à évaluer la sécurité des adjuvants. Il ne remet pas en cause la sécurité des vaccins contenant de l’aluminium. Autre étude à signaler, celle de l’Académie nationale de pharmacie de 2016 (bit.ly/1SkujcG), selon laquellele rapport bénéfice/risque est en faveur de l’utilisation des adjuvants aluminiques.

(5) Dr Odile Bouchard, intervention lors de la 11e rencontre du réseau Oncosud, novembre 2016.

Cas pratique

Vous intervenez chez Mme R. pour réaliser le rappel DT-Polio de ses jumelles de 12 ans et vous en profitez pour lui indiquer que ses filles se situent dans la fenêtre (11-13 ans) de vaccination contre le HPV. Pourtant convaincue de l’intérêt de la vaccination, elle vous explique qu’elle est très ébranlée par tout ce qu’elle entend et lit sur ce sujet en général, et sur la vaccination HPV en particulier, et qu’elle ne se sent pas prête pour l’instant à faire vacciner ses filles contre ce risque.

Vous vous étiez préparée à cette réaction et lui répondez que vous la comprenez compte tenu de la controverse entretenue autour de ce vaccin. Vous lui proposez d’en discuter afin de lui apporter quelques arguments et éléments de réponses pour l’aider dans sa réflexion et sa prise de décision.