Une Idel au sommet - L'Infirmière Libérale Magazine n° 336 du 01/05/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 336 du 01/05/2017

 

AVENTURE CARITATIVE

Sur le terrain

Reportage

Sandra Mignot  

En février dernier, Virginie Gervaise s’est lancée dans l’ascension du massif du Kilimandjaro, en Tanzanie. Une aventure éprouvante et pleine de sensations extrêmes que l’Idel a mise au service d’une belle cause.

« Mon infirmière est formidable, s’enthousiasme Andrée, 96?ans, dans son joli chalet d’Aix-les-Bains (Savoie), sur les rives du lac du Bourget. Escalader le Kilimandjaro au bénéfice des orphelins des pompiers, c’est vraiment courageux. » Virginie Gervaise, Idel savoyarde, a en effet réalisé l’ascension du massif tanzanien en février dernier. « Le mal des montagnes m’a empêchée de réaliser les 400 derniers mètres, regrette-t-elle. Mais j’y retournerai, c’est certain. »

« J’ai souhaité recolter des fonds pour une association »

Virginie, jeune trentenaire, diplômée en 2010, est passionnée de randonnée en moyenne montagne. « Je cours, je fais du ski, je suis sportive, mais, depuis que j’ai ouvert mon cabinet, j’ai travaillé sept jours sur sept, sans repos ni vacances, et j’avais besoin d’un projet qui allie dépaysement et activité. Alors j’ai eu cette idée du Kilimandjaro. » Après avoir pris quelques renseignements, elle s’inscrit auprès d’une agence française qui a l’habitude d’envoyer ses clients sur ce type de trek. Mais il manque encore un ingrédient à son projet. « Je fais mieux les choses quand je les fais pour les autres. J’ai donc voulu ajouter une autre dimension à ce voyage en tentant de récolter des fonds pour une association. »

Là commence un autre genre de mission. Virginie élabore un plan pour convaincre des mécènes de verser une obole en fonction de sa progression sur les flancs du volcan africain. Toute seule, sans communication spécifique, et en menant de front son activité, elle conçoit trois formules de partenariat : un euro pour chaque mètre, pour chaque dizaine de mètres ou pour chaque centaine de mètres parcourus. « Mais j’ai été ralentie dans ma préparation car ma collaboratrice est partie en décembre. Je me suis retrouvée avec une grosse charge de travail, et je ne pouvais pas tout faire en même temps, contacter les entreprises et travailler après des patients. » Sa préparation physique en pâtit également puisque les randonnées ne sont plus vraiment possibles. Seules quelques séances de running peuvent alors se glisser dans son agenda chargé.

L’association qu’elle a souhaité soutenir est l’Œuvre des pupilles des sapeurs-pompiers de France. Virginie n’a pas eu à chercher très loin l’inspiration : elle est en effet elle-même également infirmière sapeur-pompier (ISP) volontaire. « Depuis que j’ai 16 ans, je veux travailler avec les pompiers. Mais, avec mon petit gabarit et ne voyant que des garçons s’engager, j’ai longuement hésité. » À la fois très indépendante - raison pour laquelle elle a ouvert son propre cabinet il y a deux ans après quatre années en hôpital en France et en Suisse - mais aussi attirée par le travail en équipe, Virginie trouve là un cadre, des protocoles, une hiérarchie dans lesquels elle s’intègre facilement. Aujourd’hui, elle intervient auprès des soldats du feu, en santé au travail et en soutien sanitaire sur le terrain. « Je n’ai pas encore l’habilitation pour intervenir auprès des victimes de sinistres que les pompiers secourent. Mais je me prépare à passer le brevet national d’ISP. »

« On perd de sa lucidité »

Finalement, le 4 février, Virginie s’envole pleine de volonté pour la Tanzanie, avec un groupe d’une quinzaine de personnes. Ses amis sapeurs-pompiers, dont certains exercent dans des pelotons d’intervention en montagne, lui ont confié moults conseils pour s’équiper, se protéger du froid, adapter son effort… L’Idel se sent parée. Sur place, l’ascension est organisée sur six jours, avec des porteurs et des guides locaux. Le groupe doit emprunter la voie Machamé, soit sept heures de marche par jour pour traverser des paysages variés sur environ 80 kilomètres, en moyenne et haute montagne, jusqu’au mont Kibo, le point culminant du massif à 5 895 mètres.

Pour conserver sa motivation, Virginie s’est équipée d’une mascotte que les pompiers lui ont donnée : une petite cigogne en peluche vendue au profit d’un service départemental d’incendie et de secours alsacien. « Chaque jour, je savais pour qui je voulais avancer. Et à chaque coup de fatigue, je regardais Pimponette et je pensais aux enfants. » Une motivation de fer, qui n’aura malheureusement pas raison des aléas de l’ascension.

Côté sécurité, le groupe est accompagné d’un caisson hyperbare. Et chacun mesure chaque jour sa saturation en oxygène. « En dessous de 70 %, on arrête l’ascension. Moi, à 4 200 mètres, j’étais encore à 85/90. » Le dernier jour de l’expédition, celui où les équipes se mettent en route à minuit pour atteindre la cime du massif à l’aube, Virginie est victime du mal de l’altitude. « L’eau que j’avais dans ma gourde a gelé. Je n’ai pas pu boire pendant plus de trois heures, ce qui aurait été un moyen de lutter contre les effets de l’altitude. » Elle raconte avoir tenté de poursuivre malgré les maux de têtes, les chutes, les vomissements. « J’étais persuadée qu’en m’arrêtant quelques minutes, en me reposant, ça passerait. Je voulais tellement y arriver. » Équipée d’un thermos d’eau chaude, l’Idel tente de s’hydrater, mais le choc thermique provoque des douleurs au niveau des lèvres. Malgré l’été austral, la température extérieure est de - 20 °C. « Je n’ai même pas pensé à mélanger l’eau des deux gourdes pour obtenir une boisson à température acceptable, se reproche-t-elle. Avec l’altitude, on perd aussi de sa lucidité. »

Des paysages quasi lunaires

Heureusement, l’un des guides la convainc de faire demi-tour avec lui. À plus de 5 000 mètres, en effet, la diminution de la pression de l’oxygène exerce des effets délétères sur l’organisme et peut mener à un œdème pulmonaire et/ou cérébral. « D’autres avaient déjà abandonné, mais j’étais dans un état tel d’inconscience que je ne les avais même pas vu quitter le groupe. » Virginie repart en direction du camp précédent. Au fil de la descente, son état de santé revient rapidement à la normale. « J’ai pleuré de déception pendant une heure. Je voulais presque reprendre l’ascension. J’avais reçu tellement d’encouragements de mes proches qu’échouer si près du but a été difficile à accepter. » L’équipe regagne ensuite le camp de base par une voie rapide, puis passe une dernière journée dans un hôtel réconfortant.

« Mais, globalement, l’expérience m’a plu. J’ai assisté à un magnifique lever de soleil sur le mont Mawenzi, le deuxième sommet du massif (5 149 mètres), découvert une végétation extraordinaire, des paysages quasi lunaires… Alors je retournerai sur le Kilimandjaro. Mais je ne sais pas si je médiatiserai l’opération, car, si je dois encore échouer, ce sera vraiment frustrant. » Elle a néanmoins réussi à cumuler 1 400 euros de dons de particuliers. Certains patients comme Andrée et sa famille ont absolument voulu participer. « Et je réitérerai l’aventure caritative, peut-être sur des parcours moins élevés. Je ne laisserai pas tomber mon engagement. » Virginie réfléchit à s’aventurer prochainement sur le Mont Blanc ou certaines courses de l’Himalaya. En préparant son projet et en contactant des sponsors plus en amont, cette fois.

De retour à Aix-les-Bains, Virginie est allée témoigner de son aventure dans une école. Puis elle a rapidement repris le travail. « Cela n’attend pas, car, quand vous n’avez pas travaillé pendant près de quinze jours, il y a quand même un manque à gagner. » Retour aux patients dont elle aime prendre soin, parfois au-delà de son rôle propre. « Les gens comptent sur nous pour changer une ampoule, aller chercher une brique de lait, des timbres, que sais-je. Je me retrouve à faire beaucoup de choses en fait. » Et comme si cela ne suffisait pas, elle a également décidé de s’investir dans des astreintes auprès d’un service de soins à domicile de nuit, régulé par le Samu, dès qu’une nouvelle collaboratrice l’aura rejointe. « Il peut s’agir de patients qui sortent des urgences et ont besoin d’une injection rapidement, de patients chroniques qui ont besoin d’un change… J’aime travailler dans l’urgence et sans savoir ce qui va m’arriver. » En la matière, sur le Kilimandjaro, Virginie aura été servie.