L'infirmière Libérale Magazine n° 337 du 01/06/2017

 

Cahier de formation

Savoir faire

Le traitement substitutif par hormones thyroïdiennes de synthèse doit corriger les symptômes de l’hypothyroïdie. La surveillance du traitement repose sur l’observation de la survenue de symptômes d’hypothyroïdie (sous-dosage) ou d’hyperthyroïdie (sur-dosage). Des précautions supplémentaires sont mises en place en cas de grossesse.

LE TRAITEMENT SUBSTITUTIF

Le traitement de l’insuffisance thyroïdienne est un traitement substitutif par des hormones thyroïdiennes de synthèse. L’hypothyroïdie étant dans la majorité des cas définitive, le traitement est maintenu à vie.

Le mécanisme d’action

Les hormones thyroïdiennes de synthèse agissent de la même manière que les hormones thyroïdiennes endogènes. L’apport substitutif permet de restaurer les concentrations tissulaires en hormones thyroïdiennes, d’augmenter le métabolisme basal et le rythme cardiaque, et d’inhiber la sécrétion de thyréostimuline (TSH pour Thyroid-stimulating hormone).

La présentation

Les hormones thyroïdiennes de synthèse sont présentées sous plusieurs formes (voir le tableau de la page suivante).

L’hormone LT4 seule

Existe sous formes de comprimés (Levothyrox et Lévothyroxine générique) et de solutions buvables ou injectables (L-Thyroxine Serb). Le traitement par hormone LT4 est indiqué dans les hypothyroïdies et lorsqu’il faut freiner la TSH, même en l’absence d’hypothyroïdie (goitres simples, certains nodules…). La forme injectable est indiquée dans le coma myxoedémateux en dose d’attaque suivie d’une perfusion intraveineuse lente, dans 250 ml de sérum physiologique.

L’hormone LT3 seule

Existe en comprimé (Cynomel). La LT3 seule est généralement prescrite sur de courtes durées :

→ pour un effet rapide ou transitoire du traitement dans des situations exceptionnelles, l’hypothyroïdie menaçant le pronostic vital ou avant l’administration d’iode 131 chez un patient traité par la lévothyroxine ;

→ pour le freinage de la sécrétion de TSH dans certains cancers TSH dépendants (lire l’encadré de la page suivante), certains goitres simples et certains nodules ;

→ dans le cas de résistances périphériques au traitement par hormones thyroïdiennes.

Les associations d’hormones LT4 et LT3

→ seul médicament, l’Euthyral en comprimé avec les mêmes indications que la LT4 seule, à l’exclusion des cancers différenciés de la thyroïde. L’Euthyral a été élaboré pour apporter des proportions d’hormones thyroïdiennes (100 µg de T4 et 20 µg de T3) équivalentes à celles produites par la thyroïde (100 % de T4 et environ 20 % de la T3). La prescription d’Euthyral reste marginale. « Une partie de la T4 apportée se désiode en T3. Ce qui provoque un surdosage en T3 incisive, notamment sur les récepteurs cardiaques, souligne le Pr Jean-Louis Wémeau, endocrinologue à Bondues (Nord). De plus, la durée d’action de la T3 est plus courte que celle de la T4, ce qui empêche une stabilité parfaite des concentrations de la T3. Si bien que la médication doit être fractionnée en plusieurs prises, ce qui rend son utilisation moins commode. » Ajoutant que la médication idéale combinerait une dose de T4, 100 µg par exemple, et une petite dose de T3 à libération prolongée qui reste à définir. Un investissement qui n’intéresse pour le moment ni les fabricants ni les pouvoirs publics.

La posologie

Les doses administrées varient suivant le degré d’hypothyroïdie, l’âge du patient et la tolérance individuelle. Pour le patient hypothyroïdien, « les besoins en hormones thyroïdiennes sont fixes et lorsque l’équilibre hormonal attesté par la normalité du taux de la TSH est atteint, globalement, il n’y a pas lieu de varier l’apport en hormones, remarque le Pr Wémeau. Ces besoins sont proches de 1,6 et 1,7 µg par kg par jour chez l’adulte jeune. Pour les femmes en général, c’est proche de 100 µg, et 150 µg pour les hommes ».

UNE ADMINISTRATION RIGOUREUSE

Quotidienne

Le malade doit prendre les substituts hormonaux tous les jours même si c’est un traitement “complaisant”. En effet, une hormone thyroïdienne ayant une demi-vie longue, environ six jours, l’oubli du traitement pendant trois ou quatre jours est sans conséquence.

Dans des conditions identiques

Le traitement doit être pris dans les mêmes conditions à chaque fois. Il y a une interférence entre l’apport alimentaire et l’absorption de l’hormone. C’est pourquoi la prise le matin à jeun est recommandée, idéalement une heure avant le petit déjeuner, ou dès le lever. En cas de prise à un autre moment, par exemple au début du petit-déjeuner, il faut continuer de prendre le traitement à ce moment. De même, s’il existe un risque d’interférences avec d’autres médicaments ou si le patient le préfère, l’hormone thyroïdienne peut être prise le soir au coucher. C’est probablement le moment où le médicament sera le plus actif.

LA SURVEILLANCE

Un contrôle après six mois, puis annuellement, du taux de TSH est suffisant. Il faut cependant se méfier des interférences avec d’autres médicaments qui modifient l’absorption ou le métabolisme de l’hormone thyroïdienne. D’importantes variations du poids modifient aussi les besoins hormonaux, tandis que, chez le sujet âgé, les besoins sont réduits (proches de 1,3 µg par kg par jour).

LES INTERACTIONS

La diminution de l’absorption intestinale

L’absorption de l’hormone est diminuée par le fer (Fero-Grad, Tardyferon…), le calcium, le magnésium, les pansements digestifs… Il faut donc dissocier ces prises. On peut prendre par exemple l’hormone le matin et le calcium ou le pansement digestif le soir. Si ce n’est pas possible, espacer les prises d’au moins deux heures. Les inhibiteurs de la pompe à proton (Inipomp, Mopral…) réduisent l’absorption acide de l’estomac, ce qui diminue l’absorption de la lévothyroxine. Pour des personnes qui ont un traitement bref par Mopral ou Inipomp, il n’y a pas lieu de changer la posologie. Si c’est un traitement continu, le médecin peut être amené à majorer légèrement l’apport en hormones thyroïdiennes.

L’augmentation du métabolisme de l’hormone

Les inducteurs enzymatiques comme le Gardénal ou le Tégrétol augmentent la dégradation de l’hormone. Chez un épileptique, les besoins en hormones peuvent être majorés à cause de l’inducteur enzymatique, à l’instauration ou en cas de modification de ce traitement.

LES EFFETS INDÉSIRABLES

Ils sont semblables aux symptômes d’un hyperfonctionnement de la thyroïde (hyperthyroïdie) : accélération du rythme cardiaque, insomnie, irritabilité, maux de tête, élévation de la température du corps, sueurs, amaigrissement, diarrhée, etc. Leur survenue justifie l’interruption du traitement qui sera repris à des doses plus faibles.

LA NOUVELLE FORMULE DE LEVOTHYROX

Depuis la fin du mois de mars 2017, le Levothyrox (lévothyroxine) a changé de formule et de couleur des boîtes. La mise à disposition des nouvelles boîtes s’est faite au fur et à mesure de l’écoulement des stocks des anciennes boîtes pour éviter aux patients qui auraient adopté la nouvelle formule de reprendre l’ancienne formule. La posologie et les modalités de prise et de suivi du traitement restent identiques. En février, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a adressé une lettre d’explications sur les modalités du passage à la nouvelle formule à divers professionnels de santé mais pas aux infirmières.

Une meilleure stabilité

La substance active reste la même, la lévothyroxine sodique. Seuls les excipients ont été modifiés afin de restreindre la variation de la teneur en lévothyroxine à ± 5 % de la dose déclarée tout au long de la durée de conservation du médicament. Afin également de mieux garantir un même dosage en principe actif d’un comprimé à l’autre et d’un lot à l’autre pour un médicament à marge thérapeutique étroite. Ce qui répond aux normes européennes et internationales. Le laboratoire Merck en a profité pour remplacer le lactose, excipient à effets notoires (troubles digestifs en cas d’intolérance, apport calorique), par le mannitol.

Un effet attendu maintenu

La bioéquivalence entre l’ancienne et la nouvelle formule a été démontrée*. Les nouveaux excipients ne modifient ni la quantité de lévothyroxine sodique qui passe dans le sang, ni la vitesse à laquelle elle atteint l’organe cible. Cette bioéquivalence entre ancienne et nouvelle formule garantit une efficacité et une sécurité identiques.

La surveillance de la transition

Les cas particuliers

L’ANSM recommande un contrôle de la TSH dans les six à huit semaines après le début de la prise de la nouvelle formule en cas :

→ de difficultés particulières pour atteindre l’équilibre thérapeutique avec l’ancienne formule ;

→ de cancer de la thyroïde ;

→ de maladie cardiovasculaire (insuffisance cardiaque ou coronarienne et/ou troubles du rythme) ;

→ de traitement pour un enfant ou une personne âgée.

Les patientes enceintes

Dans ce cas précis, l’ANSM recommande un contrôle de la TSH dans les quatre semaines après le début de la prise de la nouvelle formule.

Les autres cas

En l’absence de signes de déséquilibre hormonal, les personnes qui ne présentent pas les caractéristiques citées ci-dessus peuvent conserver leur suivi thyroïdien avec un dosage une à deux fois par an. Et ne doivent pas hésiter à consulter à tout moment en cas d’apparition de symptômes avérés.

* ANSM, “Levothyrox : changement de formule et de couleurs des boîtes et blisters”, Questions/Réponses, mars 2017 (à télécharger via le lien raccourci bit.ly/2pRHbQp).

Cas pratique

Mme G., 74 ans, prend la nouvelle présentation du Lévothyrox depuis une semaine. Elle s’inquiète d’un éventuel déséquilibre hormonal et des symptômes qui pourraient réapparaître. Elle ne se sent pas aussi bien qu’auparavant.

Vous la rassurez en lui disant que la nouvelle formule ne modifie pas la quantité de lévothyroxine sodique qui passe dans le sang. Il est démontré que l’efficacité et la sécurité sont identiques à celles de l’ancienne formule. Vous lui rappelez qu’au vu de son âge, elle doit faire un dosage de la TSH dans les six à huit semaines après le début de la prise de la nouvelle formule. C’est ce résultat qui montrera l’efficacité du traitement.

Deux types d’hormonothérapies substitutive ou frénatrice

Dans le cas du cancer de la thyroïde, une hormonothérapie par lévothyroxine est mise en place après la chirurgie ou le traitement à l’iode radioactif. Elle vise des objectifs différents en fonction du dosage employé :

→ à dose normale, l’hormonothérapie remplace l’action de la thyroïde et vise à maintenir une TSH à un taux normal. C’est l’hormonothérapie substitutive ;

→ à dose élevée, le traitement remplace l’action de la thyroïde et vise à limiter le développement des éventuelles cellules cancéreuses restantes en gardant la TSH à un taux bas. C’est l’hormonothérapie frénatrice.

Mésusage du Levothyrox dans l’amaigrissement : marginal mais risqué

L’utilisation du Levothyrox pour perdre du poids est a priori marginale*. La consommation d’hormones thyroïdiennes à dose élevée peut être dangereuse. Ce mésusage peut entraîner une aggravation d’une cardiopathie existante (insuffisance cardiaque, angor, troubles du rythme…) ou la survenue de signes d’hyperthyroïdie (tachycardie, tremblements, insomnie, excitabilité, élévation de la température, sueurs, perte de poids rapide, diarrhée). Sachant que les éventuels signes d’intolérance n’apparaissent qu’après quinze jours à un mois.

* “État des lieux de l’utilisation de la lévothyroxine en France”, octobre 2013 (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2qJTZxa).

Questions à Pr Jean-Louis Wémeau Endocrinologue à Bondues (Nord)

Adaptation posologique et cas particuliers

Certains patients qui ont une TSH dans la norme et qui ne se sentent pas bien, par exemple ni à 125 mg par jour, ni à 150 mg, demandent un “dosage intermédiaire”, par exemple une prise quotidienne de 125 mg plus 1/2 comprimé de 25 mg (137,5 mg). Est-ce pertinent ?

C’est pertinent si c’est à cette posologie qu’une TSH normale est atteinte. C’est seulement au-dessus de 10 mUI/L que les sujets perçoivent avec certitude les signes d’hypothyroïdie. Beaucoup de patients en demande de perte de poids, d’amélioration de la tonicité générale, de lutte contre la constipation se croient déficients en hormone et majorent les doses. Ainsi, 10 à 20 % des patients à qui est prescrite la lévothyroxine à visée substitutive ont une TSH basse qui majore le risque de troubles du rythme cardiaque, d’ostéoporose.

Donc, si la TSH est normale six semaines à deux mois après l’adaptation de la posologie, c’est que les signes ne sont pas en relation avec l’état thyroïdien. Il n’y a pas lieu alors de modifier la dose.

Y a-t-il des patients plus difficiles à équilibrer ?

Les difficultés communément observées sont liées aux oublis, aux fluctuations de l’heure de la prise et surtout aux interférences médicamenteuses. Certains malades atteints d’une hypothyroïdie auto-immune révèlent d’autres maladies auto-immunes. C’est le cas par exemple des gastrites atrophiques ou de la maladie cœliaque, qui sont des facteurs de moins bonne absorption de l’hormone. Les besoins en hormones sont alors augmentés alors que le traitement était bien suivi. De très rares patients ont des besoins accrus pour des raisons imparfaitement explicitées tenant compte chez eux de la qualité de l’absorption ou du métabolisme. Chez ces sujets, les apports seront majorés à 200, 300, jusqu’à 600 µg, pour obtenir l’équilibre.

Questions de patients

Pourquoi avoir modifié les couleurs des boîtes au risque de se tromper ?

Les couleurs ont été uniformisées dans les 105 pays où le Levothyrox est commercialisé pour éviter les erreurs lors d’un achat à l’étranger.

Que faire si une pharmacie me délivre une formule différente de celle que j’utilise ?

Si le pharmacien vous délivre une boîte de nouvelle formule alors que vous utilisez l’ancienne, c’est tout à fait normal. Il est recommandé de rester sur cette nouvelle formule par la suite. En revanche, si le pharmacien vous délivre l’ancienne formule alors que vous êtes déjà passé à la nouvelle, signalez-le lui. En effet, il n’est pas recommandé d’utiliser l’ancienne formule mais, au contraire, de rester à la nouvelle formule.