L'infirmière Libérale Magazine n° 337 du 01/06/2017

 

Point(s) de vue débat

Interview

Adrien Renaud  

Marisol Touraine, qui entretenait des relations pour le moins compliquées avec les professionnels de santé, a quitté l’avenue Duquesne. En lui succédant (lire aussi pp. 8-9), la Pre Agnès Buzyn hérite de nombreux dossiers chauds. Revue de détail avec un acteur du secteur.

Que retenez-vous des promesses électorales du candidat Macron en matière de santé ?

Philippe Leduc : Il a beaucoup insisté sur la prévention, et c’est évidemment une bonne chose. C’est un point sur lequel la France est très mal placée. Mais il reste à voir comment cela va se traduire dans les actes. Ce n’est à mon avis pas en se reposant sur quelques milliers d’étudiants en santé, comme le président l’a proposé, qu’on fera face aux défis. Emmanuel Macron a également insisté sur la nécessaire clarification entre Assurance maladie obligatoire et complémentaires, avec notamment pour objectif d’arriver à un reste à charge nul sur l’optique, les prothèses auditives et le dentaire. C’est également un point positif, car il existe de fortes inégalités en la matière. Sur la thématique de l’accès aux soins, il a indiqué vouloir développer les maisons de santé pluriprofessionnelles. C’est à mon sens un peu faible, car elles ne représenteront jamais la totalité de l’offre de soins.

Et en ce qui concerne le financement de la santé ?

P.L. : Emmanuel Macron a prévu un plan d’investissement de 50 milliards d’euros sur le quinquennat, dont cinq milliards pour la santé. C’est très positif. Il entend par ailleurs maintenir la croissance de l’Ondam [Objectif national des dépenses de l’Assurance maladie, NDLR] à 2,3 % par an, ce qui n’est pas énorme, mais raisonnable au vu des questions de finances publiques. Il faut en effet se souvenir de la situation financière de notre pays. De 1996 à 2016, la dette de la Sécurité sociale a coûté environ 50 milliards d’euros d’intérêts, dont un peu plus de la moitié pour l’Assurance maladie, soit près de 30 milliards versés aux banques, qui auraient été plus utiles pour la santé.

L’un des sujets que va devoir très vite traiter le nouveau gouvernement est celui de l’obligation vaccinale. Que devrait faire le gouvernement ?

P.L. : C’est un problème majeur. La couverture vaccinale en France est même en train de reculer légèrement. Les sondages montrent une certaine défiance de la population, y compris parmi les professionnels de santé. C’est pourquoi je pense que les recommandations de la concertation citoyenne sur la vaccination, rendues à la fin de l’année dernière, sont raisonnables : étendre l’obligation vaccinale afin que plus personne ne se pose de questions, puis éventuellement la supprimer dans un second temps. Tout en renforçant le dialogue entre patients et professionnels sur des bases rigoureuses.

À propos de vaccination, pensez-vous que la vaccination antigrippale par les pharmaciens, considérée par certaines Idels comme une forme de concurrence (cf. p. 11), doit être étendue ?

P.L. : Il ne faut pas voir les choses de manière binaire. Ce n’est pas le pharmacien ou l’infirmière libérale, c’est le pharmacien et l’infirmière libérale. L’important, c’est de toucher la majorité de la population, et il se trouve que le pharmacien voit des gens que l’Idel ne voit pas. Il faut simplement que les choses se passent en bonne intelligence.

Au-delà de ce problème, quels sont les enjeux du quinquennat pour les professionnels de santé libéraux ?

P.L. : Le fameux virage ambulatoire, bien qu’annoncé par la ministre précédente, n’a pas eu lieu. Or, étant donnée l’évolution des pathologies chroniques, il faut absolument que ce virage se fasse. On doit pouvoir compter sur les soins de proximité fournis par les professionnels libéraux. Et pour cela, il faut enfin que leurs missions de service public soient expressément reconnues et qu’ils aient une vision populationnelle sur un territoire, au lieu de prendre en charge la population en fonction d’un problème de santé aigu, comme actuellement. Dans la loi Touraine, il y avait des outils pour cela : groupements hospitaliers de territoire, plateformes territoriales d’appui, communautés professionnelles territoriales de santé [cf. notre dernier numéro, pp. 56-57]… Mais tout cela était tellement compliqué ! Les professionnels doivent pouvoir s’organiser de manière simple autour du parcours de soins.

Comment faire concrètement ?

P.L. : Par essence, un libéral s’organise comme il veut. Comment l’amener à remplir sa mission de service public, sur une population donnée, sur un territoire donné ? Comme pour la chirurgie ambulatoire, comme pour le générique, il faut que les pouvoirs publics définissent cette problématique du parcours de soins comme une priorité, et qu’ils y associent un levier financier.

Les Idels attendent aussi des progrès du côté des pratiques avancées…

P.L. : Oui, il faut avancer dans ce sens-là. Mais, la difficulté, c’est que si l’on confie aux infirmières une mission assurée par un médecin, celui-ci, qui est payé à l’acte, va se sentir lésé. On en arrive très rapidement à un problème de rééquilibrage financier. On ne peut donc y arriver qu’en organisant les choses globalement, en redéfinissant les missions de chacun.

En attendant, la réalité des professionnels sur le terrain, ce sont les risques psychosociaux et l’épuisement professionnel. Le quinquennat qui vient de s’achever a été marqué par des drames sur ces sujets, comment faire pour que ce ne soit pas le cas de celui qui s’ouvre ?

P.L. : Les professionnels de santé sont épuisés. En ville, ils travaillent comme des damnés. À l’hôpital, l’activité augmente, mais pas les effectifs. Il faut essayer de mieux s’organiser pour soulager l’hôpital en transférant une partie de l’activité en ville. C’est le fameux virage ambulatoire. Mais, pour cela, il faut que les professionnels de ville s’organisent aussi et soient aidés par des collaborateurs qui les déchargeraient, par exemple, de la coordination des soins. Il y a urgence.

La nouvelle ministre saura-t-elle rassurer les professionnels de santé pour mettre en œuvre toutes ces réformes ?

P.L. : Agnès Buzyn est très intéressée par tout ce qui concerne l’organisation du système de santé. Le fait qu’elle soit médecin est un plus, elle n’en connaît que mieux les enjeux. Je pense que ce sera une bonne ministre, elle est attentive et prudente. Mais il faut que les professionnels de santé jouent le jeu, car c’est à l’intérieur du système qu’on a les moyens d’agir.

Faut-il souhaiter une grande loi, comme la loi Touraine ou la loi Bachelot ?

P.L. : L’expérience montre que les grandes lois provoquent de grandes bagarres. Au début, la loi Bachelot et la loi Touraine ne comptaient que quelques articles. Mais, au fur et à mesure, elles sont devenues des choses très compliquées, à tel point qu’on ne savait plus trop ce qu’il y avait dedans ! Il vaut donc mieux se méfier des grandes lois, et se concentrer sur quelques grands objectifs.