L'infirmière Libérale Magazine n° 338 du 01/07/2017

 

La vie des autres

Ici

Géraldine Langlois  

Le Dr Nizar Al Bache s’absente plusieurs fois par an de la clinique du Creusot (Saône-et-Loire) pour se rendre au Liban. Là-bas, il aide des réfugiés et émigrés syriens diabétiques grâce à un programme qu’il a contribué à monter au sein de la Fédération internationale du diabète.

Le médecin senior du service de diabétologie et endocrinologie de l’Hôtel-Dieu, hôpital privé à but non lucratif du Creusot, n’avait pas forcément imaginé exercer un jour en France. Ce Syrien de 64 ans, originaire d’Alep, a certes étudié, entre 1971 et 1984, la médecine en France et y a même eu son doctorat. Mais il est ensuite rentré en Syrie. « J’ai enseigné à la faculté de médecine et travaillé à l’hôpital universitaire d’Alep. En même temps, j’ai travaillé dans le centre privé pour patients diabétiques dont j’étais propriétaire et que je dirigeais. » Au fil des années, il s’engage aussi activement dans la Société syrienne du diabète, la Société syrienne d’endocrinologie, le Groupe arabe pour l’étude du diabète, le Groupe méditerranéen pour l’étude du diabète…

Repartir de zéro

« J’ai quitté la Syrie en 2012 avec ma famille, à cause du conflit. J’aurais préféré y rester. Nous vivions bien là-bas… » Avec sa femme et ses enfants, il rejoint sa fille aux États-Unis. Ses enfants, tous trois professionnels du secteur sanitaire, préfèrent y rester mais, comme ses opportunités professionnelles y sont trop éloignées de la pratique clinique qu’il affectionne, Nizar Al Bache choisit de s’orienter vers la France en 2015. Ses études réalisées à Besançon lui permettent en effet d’y exercer facilement, dans un contexte et une culture médicale qu’il connaît. Pour la troisième fois, il repart donc de zéro…

Au Creusot, depuis un an et demi, « j’ai une pratique hospitalière classique en diabéto-endocrinologie, décrit Nizar Al Bache. Avec cinq médecins, nous tournons sur l’hospitalisation, les consultations externes, le réseau diabète, les consultations avancées… C’est un centre très actif ». Bien occupé en France, il ne coupe pas pour autant les ponts avec le Moyen-Orient. Il est particulièrement sensible au sort des personnes dont la vie est bouleversée par des circonstances particulières, notamment la guerre. En tant que président de la branche moyenne orientale et nord-africaine de la Fédération internationale du diabète (FID), il pilote depuis trois ans un programme auprès des diabétiques syriens réfugiés et émigrants.

Le diabète en temps de guerre

« Ce n’est déjà pas facile de traiter le diabète en temps normal, mais cela devient très difficile pendant des moments de crise », soulignait-il fin mars lors du dernier congrès de la Fédération française de diabétologie, à Lille (Nord). Surtout en cas de guerre. À l’inverse des catastrophes naturelles, les conflits durent des mois ou des années, et leur nature même complique voire empêche l’aide médicale extérieure. Aussi, « la priorité est donnée aux soins des personnes blessées, traumatisées ou atteintes de maladies aiguës, et bien sûr à la satisfaction des besoins vitaux. Le diabète chronique passe au second plan. Ceux qui en souffrent n’ont pas accès à l’insuline ni à un médecin, ils ne peuvent pas surveiller leur glycémie, réguler leurs apports alimentaires ou pratiquer une activité physique adaptée ». Sans parler de la perte ou de la difficulté de se procurer flacons d’insuline, aiguilles et stylos d’automesure. Résultat, selonle diabétologue : une baisse de 30 à 40 % de la prise de médicaments et une augmentation des comorbidités chez ces personnes avec davantage de glycémie élevée, d’hypertension et d’hémoglobine glyquée… « On observe une forte proportion de personnes dont le diabète n’est pas équilibré. Petit à petit, leur état de santé se dégrade : on remarque par exemple de plus en plus de néphropathies. » Le projet dont s’occupe Nizar Al Bache se concentre au Liban, qui accueille environ un million de réfugiés, dont environ 120 000 sont diabétiques. La FID a ouvert cinq centres, à Beyrouth, Tripoli et dans la plaine de la Bekaa, grâce au financement du Croissant-rouge qatari et de la Syrian American Medical Society et à des soutiens au Liban. Nizar Al Bache s’occupe de la partie médicale du projet en s’assurant que le bon protocole médical est appliqué et il organise régulièrement de multiples ateliers au Liban pour l’équipe. Des médecins et des infirmières formés y reçoivent depuis octobre 2016 les réfugiés et émigrants diabétiques, réalisent les examens cliniques ainsi que les analyses de laboratoire et fournissent des médicaments gratuitement, explique Nizar Al Bache. En sept mois, ils ont vu 943 patients diabétiques, dont 90 % de type 2.

Besoin de ressources

« Nous allons lancer prochainement un programme d’éducation pour prévenir les complications mais nous avons besoin de ressources. » Même avec des moyens, acheminer des médicaments s’avère également difficile. En 2016, la FID Moyen-Orient avait obtenu un don d’insuline pour 700 enfants mais elle n’a pas pu le faire parvenir au Liban du fait de contraintes administratives et a dû en acheter sur place, sur ses propres fonds… Le programme au Liban s’achève fin 2017. Nizar Al Bache et ses collègues de la FID travaillent déjà à préparer la suite.

En cas de désastre…

La façon dont le diabète est pris en charge lors de catastrophes naturelles est bien documentée, a souligné le Dr Nizar Al Bache lors du congrès de la Société française de diabétologie en mars dernier. Tsunamis, tremblements de terre ou cyclones déclenchent immédiatement une réponse humanitaire qui intervient pendant plus ou moins longtemps. Lors d’un conflit, en revanche, la prise en charge des personnes diabétique est considérablement plus compliquée et passe encore plus au second plan. Elle est aussi beaucoup moins bien connue. Pour répondre de manière coordonnée et efficace aux besoins des diabétiques dans les deux types de situation, « la FID a créé un groupe de travail international pour développer de nouvelles recommandations et prévoir un plan d’aide aux personnes diabétiques en cas de désastre, dès le premier jour », indique le médecin. Ce plan devrait prévoir la façon d’organiser l’aide aux diabétiques, de collecter des médicaments, de former les médecins et les infirmiers ainsi que des recommandations particulières pour les situations de conflits. INFO

INFO +

Le nombre de médecins syriens croît en France

6 professionnels de santé en 2012, 12 en 2013, 36 en 2014, 46 en 2015 : les sollicitations de Syriens auprès de l’Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France augmente, selon une enquête du Quotidien du médecin du 30 janvier. Il n’existe aucun programme spécifique pour leur accueil en France, alors qu’ils sont accueillis « à bras ouverts » en Allemagne.