Oui, il y aura bien valorisation de l’exercice infirmier libéral. Non, la profession ne va pas disparaître. Dixit Nicolas Revel, le directeur général de l’Assurance maladie, à quelques jours des négociations conventionnelles avec les syndicats d’Idels.
Nicolas Revel : La négociation aurait dû commencer il y a quelques mois, puisque l’actuelle convention prend fin le 25 juillet. Mais l’arrêté de représentativité des syndicats n’a été publié que très récemment, en raison de vérifications approfondies, l’une des quatre organisations se trouvant à la limite du seuil de représentativité (lire pp. 56-57). J’ai toutefois souhaité rassurer les syndicats sur le fait que, même si nous négocierions au-delà du 25 juillet et que techniquement nous signerions un avenant, nous pourrions traiter de tous les sujets qu’ils souhaiteraient aborder, sérieusement, en profondeur. Nous avions préparé cette échéance dans la perspective d’une nouvelle convention, mais un avenant permet en réalité de modifier toutes les dispositions d’une convention. Les orientations de l’Uncam (Union nationale des Caisses d’Assurance maladie, lire l’encadré p. 25) en vue de ces négociations sont d’ailleurs très larges.
N. R. : Les écarts de densité entre départements métropolitains ont été réduits, passant d’un rapport de 1 à 8 en 2012 à 1 à 6 en 2017. Mais cette disparité reste la plus forte des professions de santé. Cette différence de répartition génère des déséquilibres dans la pratique. En cas de surdensité, on observe en effet une augmentation de la part des AIS [actes infirmiers de soins] par rapport aux AMI [actes médico-infirmiers], alors que la priorité devrait aujourd’hui être donnée, en termes de besoins de santé et d’exercice infirmier, aux actes techniques. En zone surdotée, on constate également un nombre de patients par professionnel inférieur à la moyenne nationale, un nombre de séances supérieur, un revenu moyen inférieur et un coût par patient inflationniste. Tout le monde y perd.
N. R. : Aujourd’hui, la méthode de calcul du zonage s’appuie sur les bassins de vie et les pseudo-cantons. L’une des pistes de réflexion est de s’orienter, comme d’autres professions de santé, vers la méthode de “l’accessibilité potentielle localisée”. Celle-ci peut limiter les effets de frontière en prenant en compte la densité au niveau d’une commune et des communes avoisinantes. Veiller à l’équité du système fera partie de l’échange avec les syndicats. Car, pour surmonter les limites de l’actuel dispositif, il ne s’agit pas de l’assouplir. Au contraire, nous devons en conserver les principes et le revisiter pour le rendre plus efficace, plus juste. Il a été construit aussi bien pour protéger les conditions d’exercice des professionnels que pour contribuer à l’efficience des dépenses de santé. Déréguler serait une erreur.
N. R. : Une réactualisation plus régulière est prévue. Cette mission appartient aux Agences régionales de santé. Elles attendent la fin des négociations conventionnelles pour connaître leurs marges de manœuvre.
N. R. : La NGAP doit évoluer. Aujourd’hui, elle n’est pas suffisamment descriptive. Ainsi, 63 % des actes cotés AMI sont des AMI 1, 98 % des AIS sont des AIS 3. Une plus grande finesse permettrait de donner plus de sens à la pratique, plus de valeur aux actes en fonction de leur réalité médicale, plus de responsabilité aux professionnelles, et de mieux savoir ce que nous payons. Nous avons mené ce travail sur les perfusions, nous proposons de le poursuivre, par étapes, en commençant par les pansements complexes. S’il y a, de la part des syndicats, des demandes d’inscription de nouveaux actes, nous les regarderons. Si certains actes nouveaux s’avèrent médicalement utiles, nous établirons très concrètement une première liste. L’idée, c’est ensuite d’avoir une capacité de travail pour en identifier d’autres sans attendre la prochaine échéance conventionnelle. Il s’agit également de mieux valoriser le rôle des Idels dans l’éducation thérapeutique, en sortie d’hospitalisation, dans la coordination pluriprofessionnelle, dans l’utilisation des messageries sécurisées de santé, dans l’ouverture et l’alimentation des dossiers médicaux partagés. Cette liste n’est pas limitative.
N. R. : Les professionnels souhaitent généralement être revalorisés par l’augmentation de leur lettre-clé. Mais, dans ce cas, on ne change pas la structure de la pratique, ni l’organisation des soins. Or le levier conventionnel, pour conserver son sens et sa légitimité, doit avoir une portée structurante. Cela devra être le cas pour les pratiques infirmières afin qu’elles répondent mieux aux enjeux du vieillissement, des pathologies chroniques, du virage ambulatoire.
N. R. : Ce n’est pas un des points sur lesquels j’envisage de faire évoluer la nomenclature.
N. R. : Ce mode de rémunération favorise une forme de productivité, mais il induit une course aux volumes. Le recours à des formes de forfaits constitue une piste de réflexion sur laquelle j’inviterai les syndicats à réfléchir. Si elle se concrétisait, nous pourrions l’expérimenter pour certaines pathologies, de manière progressive.
N. R. : Un vrai travail a déjà été mené sur ce dispositif, bien accompagné par la profession. Avec le BSI, les infirmières finaliseront un programme de soins, en concertation avec le médecin. Cette analyse objectivée des besoins de la personne en perte d’autonomie permettra une modulation tarifaire plus intelligente qu’en s’appuyant sur un nombre de séances quotidiennes. On pourrait imaginer qu’au lieu de passer cinq fois par jour, l’infirmière ne vienne plus que deux fois, mais avec une charge en soins plus lourde et une intervention mieux rémunérée.
N. R. : Tout ne sera pas possible tout de suite. Il faudra planifier les mesures en fonction de leur coût, sur la durée de l’avenant, cinq ans. Il faudra assumer ensemble de faire des choix : c’est cela, la condition d’une négociation réussie. Quand on ouvre une négociation, on part du principe que le nouveau texte comprendra des mesures nouvelles, donc des éléments de revalorisation. Il y aura une enveloppe. La profession d’Idel est très importante, au cœur du virage ambulatoire, et celle qui se déplace le plus à domicile, avec 90 % des soins chez le patient.
N. R. : Nous en parlerons lors des négociations. Nous devons clarifier un certain nombre de règles. Sur le calcul en étoile, j’ai demandé un état des lieux pour l’ensemble des départements, et pas seulement pour la Savoie. Nous tirerons les conclusions du groupe de travail mis en place, pour mieux écrire les choses, et non pas remettre en cause des situations installées, mais mettre en place des garde-fous et limiter les abus chez certaines infirmières. En Guadeloupe et Martinique, la configuration s’avère un peu particulière : tout le département ou presque est une agglomération. En facturant systématiquement en étoile, certaines infirmières exerçant très loin de leur cabinet maximisent leurs frais de déplacement, jusqu’à des centaines de milliers d’euros par an. Nous devons refaire un point avec les responsables de ces deux caisses.
N. R. : Le contrôle est nécessaire. J’assume d’exercer cette responsabilité. Le premier objectif est la qualité des soins et leur juste valorisation. Si nous devions cesser tout contrôle, nous mettrions en danger la pérennité de notre système de Sécurité sociale.
N. R. : Un contrôle est toujours un moment difficile et je suis d’accord sur le fait qu’un indu important puisse être difficilement vécu lorsqu’il porte sur une durée longue. Mais il faut regarder la nature du manquement. Quand l’irrégularité est délibérée, il est normal que l’Assurance maladie récupère son préjudice. Il y a des abus, frauduleux dans les cas extrêmes. Quand, en revanche, il s’agit d’une mauvaise compréhension de bonne foi de la part de l’Idel, la réponse de l’Assurance maladie doit d’abord privilégier le rappel de la réglementation, avant la notification d’un indu. Nous allons affiner notre doctrine. Ce, d’autant que certains éléments de réglementation peuvent sembler mal adaptés. Notre rôle est certes de les faire appliquer, mais aussi de les identifier, et de réfléchir à une clarification. Les négociations conventionnelles servent aussi de cadre à ce type d’échanges.
N. R. : Nous avons décidé de doter certains échelons locaux d’infirmières du service médical, pour amener leur compétence dans le fonctionnement. Cela pourrait avoir du sens qu’elles aient un jour un rôle dans les échanges avec les infirmières libérales.
N. R. : Jusqu’alors, des rejets de facturation avaient lieu pour une bonne part car les droits des assurés n’étaient pas à jour. Mais on ne peut pas reprocher à un professionnel de santé le fait qu’un patient n’ait pas mis à jour sa carte Vitale. J’ai posé une nouvelle règle, pour tous les professionnels de santé : dès lors qu’ils facturent sur la base des droits lus sur la carte Vitale, ils disposent d’une garantie de paiement. Nous développons aussi un système de vérification des droits en ligne, pour les infirmières et les autres professions, qui fonctionne en mobilité et permet de consulter les droits des patients. C’est une avancée quand le patient n’a pas sa carte Vitale ou ne l’aurait pas mise à jour alors qu’il dispose de nouveaux droits (ALD, CMU, par exemple). En outre, si notre paiement intervient une semaine après la facturation, nous payons une pénalité de 1 euro, qui au-delà de dix jours atteint 10 % de la part due par l’Assurance maladie. Nous voulons progressivement offrir à tous les professionnels de santé un retour d’informations plus précis sur les paiements en tiers payant. Ce système se déploie sur les logiciels en 2017. Enfin, l’accès à la plateforme téléphonique interrégimes, d’abord ouverte aux médecins puis aux dentistes, pour les aider à appliquer le tiers payant, s’étendra progressivement aux autres professionnels.
N. R. : Les complémentaires ont engagé un chantier considérable visant à apporter des solutions plus simples pour garantir le paiement des professionnels de santé, en leur offrant la possibilité de consulter en ligne les droits des patients.
N. R. : La profession est en croissance démographique, son activité progresse chaque année de 4 % sur le plan économique, les infirmières se situent au cœur des enjeux de prise en charge à domicile des patients souffrant de pathologies chroniques et vieillissants. Je ne partage pas le constat d’une profession en voie de disparition.
C’est une règle de base de la communication : ne parler que quand on a soi-même intérêt à le faire. Le patron de l’Assurance maladie vient ainsi de nous accorder cette interview, alors que notre première demande remontait à… novembre 2015. Avouons-le, l’heure, alors, n’était pas encore aux négociations infirmières… Le 29 juin, l’entretien a duré 1 h 10, dans son vaste bureau surplombant le périphérique parisien. Nous craignions à l’avance qu’il soit difficile d’arracher certaines informations à ce négociateur à la veille des négociations. Nous avions raison. Aucun chiffre sur l’enveloppe globale, ni le tarif du futur bilan de soins infirmiers. Le boss de l’Assurance maladie semble à l’écoute ; charmant, l’œil rieur, voire, parfois, goguenard ; il partage sa vision, prend de la hauteur. Mais, sous l’œil de sa chargée de comm’, cet animal politique, amené à jongler avec les dossiers aussi souvent qu’il passe d’une profession de santé à l’autre, déroule ses éléments de langage visiblement (et logiquement) préparés en amont, sur la base manifeste du contenu – déjà connu – des recommandations de l’Uncam, qu’il dirige, le tout saupoudré de quelques termes technocratiques (notre préféré : « structurant »). Et bien sûr, comme tant d’autres, en demandant une relecture avant publication…
M. H.
1 Renforcer le dispositif de régulation en zones sur-dotées, initier une réflexion sur les zones intermédiaires, revoir le dispositif incitatif dans les zones sous-denses : la première orientation de l’Union nationale des caisses d’Assurance maladie (Uncam)
2 L’Uncam souhaite une nomenclature « plus descriptive », ce qui permettrait d’une part de mieux valoriser certains actes et, d’autre part, pour les autorités de tutelle, de mieux “tracer” l’activité. Logiquement, l’Uncam appelle à prendre en compte les résultats de l’expérimentation sur le BSI, futur successeur de la démarche de soins infirmiers.
3 Éducation thérapeutique, prévention et dépistage : dans ces trois domaines, en coordination avec le médecin traitant et notamment auprès des patients atteints de pathologies chroniques, l’Uncam suggère de mieux valoriser l’implication des Idels. De même, elle propose de renforcer leur participation aux sorties d’hospitalisation pour les personnes âgées, les personnes handicapées, après chirurgie ambulatoire, en cas de chimiothérapie à domicile ou post-AVC. Sur ce sujet, l’Uncam se félicite d’ailleurs du bilan des Prado, le service mis en place par… l’Assurance maladie, soulignant la participation respective de 35 000, 8 000 et 1 000 Idels aux volets chirurgie orthopédique, insuffisance cardiaque et BPCO. Autre suggestion : soutenir l’activité infirmière auprès des patients atteints de troubles psychiatriques et cognitifs, des jeunes enfants et des personnes âgées. La possibilité pour les Idels d’intervenir à distance auprès des patients (par télémédecine par exemple) devrait, enfin, être explorée, juge l’Uncam.
4 Dernier volet des propositions de l’Uncam, l’adaptation de la convention aux dernières évolutions législatives et réglementaires, comme le droit de prescription, le tiers payant ou le dossier médical partagé. Ultime mot de ce document révélé par l’APM, la proposition d’une procédure de déconventionnement exceptionnel en cas de violation « particulièrement grave » par une Idel des dispositions législatives, réglementaires ou de ses engagements conventionnels.
* L’Uncam, chargée de conduire la politique conventionnelle et dont le directeur général est Nicolas Revel, regroupe les trois principaux régimes d’Assurance maladie : le régime général, la MSA et le RSI.