Les associations de patients s’impliquent de plus en plus dans le système de santé, affirmant leur autonomie face au pouvoir médical, même si le soin de ville semble encore peu concerné. Loi après loi, leur développement est régulièrement soutenu par le politique, suscitant l’intérêt grandissant de certains opérateurs privés…
« Le mouvement des associations de patients, je le ferais remonter aux années 1950/1960 », résume Jean-Luc Plavis, co-président de la Fédération nationale des associations liées aux troubles du comportement alimentaire (FNA-TCA) et ancien délégué à la communication et aux partenariats en santé du Collectif interassociatif sur la santé d’Île-de-France (CISS-IDF). Historiquement, des associations réunissant des malades et leurs familles existaient pourtant depuis le début du XXe siècle. On peut notamment citer la Ligue contre le cancer, fondée en 1918, dont l’objectif initial résidait dans la recherche de fonds pour le soutien à la recherche. Puis la naissance de l’Association française des diabétiques, dont les premiers pas remontent à 1938. Mais il s’agit généralement d’organisations créées et surtout gérées par des médecins, chercheurs et autres professionnels de santé qui visent à mieux accompagner les patients, dans le système de soins tel qu’il est.
« Il faut vraiment attendre les années 1990 pour que, progressivement, les patients s’emparent de la tête de ces organisations, dans le sillage des associations de lutte contre le sida », poursuit Jean-Luc Plavis.
Les années 1980/1990 sont en effet un moment clef pour les associations de patients. « Des citoyens qui ne voulaient plus subir le diktat des médecins ont commencé à s’organiser, explique Martin Winckler, médecin et romancier. Leur niveau de culture et de savoir s’élève tous les ans. Ceci grâce à la circulation de l’information mais aussi celle des personnes entre les pays, les cultures. Et plus vous savez de choses, plus vous êtes critique. » Alors que certaines associations s’engagent fortement dans la recherche, en produisant elles-mêmes, avec succès, les connaissances scientifiques nécessaires – à l’exemple de l’Association française de lutte contre les myopathies – d’autres se concentrent sur l’aide aux malades, comme Aides (au moment de sa création), ou la politisation de la lutte, à l’exemple d’Act Up. La mobilisation associative dans la lutte contre le sida a notamment exercé un large impact sur la mise à disposition accélérée de médicaments, la recherche de nouveaux traitements mais aussi la lutte pour l’accès au soin et contre les discriminations.
Enfin, ces années sont aussi celles de nombreux scandales sanitaires en France qui se termineront par la mise en cause de professionnels de santé et de l’administration devant les tribunaux : sang contaminé, hormone de croissance, coupe-faim à l’Isoméride, amiante, contamination à la bactérie xenopi dans l’affaire de la Clinique du sport
« Ces crises ont fait émerger la parole des patients », observe Gérard Raymond, président de la Fédération française des diabétiques. « Et nous avons amené les professionnels à s’interroger sur leurs pratiques en mettant en avant notre vécu des affections chroniques, ajoute Jean-Luc Plavis. Nous sommes passés d’un mouvement qui cherche sa place dans le système médical et paternaliste des années 1970/1980 à la revendication et au plaidoyer défensif. » Et pour mieux se constituer en interlocuteur crédible face aux institutions, en 1996, quinze associations de malades, de personnes handicapées, mais aussi de personnes âgées, de consommateurs et de familles se réunissent pour former le CISS.
À la fin des années 1990, des États généraux de la santé sont convoqués, à la demande des associations, afin de donner la parole aux usagers du système de soin. Plus d’un millier de réunions publiques et ateliers sont organisés en France qui révèleront l’intérêt du public pour ces questions. Au-delà des demandes fortes qui émergent des débats (une information claire, fiable et accessible en santé, une amélioration des conditions d’accueil à l’hôpital, une coordination des intervenants en santé), l’impératif de développer l’association des usagers à la décision et au système de santé s’impose aux organisateurs. « Ces revendications ont débouché sur la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite “loi Kouchner” et sur le concept de “démocratie sanitaire” », poursuit Gérard Raymond. Le texte consacre les droits individuels du patient et, surtout, intègre la participation des usagers au fonctionnement du système de santé dans le Code de la santé publique. En partie conçu pour la réparation des aléas thérapeutiques, il fonde la notion d’accident médical sans faute indemnisé par la solidarité nationale et crée l’Oniam (Office national d’indemnisation des accidents médicaux). « Ce qui est important si l’on veut travailler avec les professionnels de santé, et non dans le conflit en permanence », note Jean-Luc Plavis. La loi de 2002 institue aussi la personne de confiance et consacre notamment les principes du consentement éclairé et de l’accès à son dossier médical comme des droits absolus du patient. Des principes qui, même s’ils mettront longtemps à s’imposer, seront à même d’accompagner l’évolution de la relation soignant/soigné.
La loi Kouchner met également en place un agrément (lire l’encadré ci-dessous) des associations désireuses de représenter les usagers dans les différentes instances hospitalières et de santé publique qui leur seront progressivement ouvertes : commissions des usagers, comités de lutte contre la douleur, comités de lutte contre les infections nosocomiales, comités de liaison en alimentation et nutrition, commissions régionales de coordination de santé publique, commissions régionales de conciliation et d’indemnisation, commissions départementales des hospitalisations psychiatriques, etc. « L’agrément n’était pas quelque chose que nous avions demandée, mais nous l’avons vu comme un pas supplémentaire vers la reconnaissance, estime Gérard Raymond. Si nous voulions être considérés comme des acteurs légitimes et être reconnus, il fallait montrer des garanties de notre sérieux. » « Avec cette loi, nous avons pris un autre tournant, qui nous amène davantage à être dans la coordination avec les professionnels et la co-construction du système de santé », complète Jean-Luc Plavis.
Un tournant confirmé par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 qui, en réorganisant le système de santé, place à son tour des patients à de nouveaux échelons du dispositif : conseils de surveillance des établissements publics hospitaliers mais aussi conférences régionales de la santé et de l’autonomie et leurs commissions spécialisées, commissions de coordination des politiques de santé, conférences de territoire… « Reste à présent à faire tout ce travail avec la ville, et là, il y a encore beaucoup de chemin devant nous », conclut Jean-Luc Plavis. Lui qui se décrit volontiers comme l’un des premiers “patients experts” français vient de commencer à travailler bénévolement au sein d’une maison de santé pluriprofessionnelle à Suresnes (Hauts-de-Seine) ; il a contribué à la rédaction du projet. « Nous y avons mis en place une commission des usagers, je participe aux réunions de concertation pluriprofessionnelles organisées autour de situations difficiles, je coordonne également les projets patients comme la création d’une filière portant sur les troubles des conduites alimentaires sur laquelle nous cherchons a fédérer différents acteurs de santé… »
Bref, les possibilités d’intervention ne manquent pas. À condition d’aller au-delà des bonnes volontés. « Aujourd’hui, les Agences régionales de santé (ARS) demandent presque systématiquement que des patients soient associés aux projets de maisons de santé, d’éducation thérapeutique, de filières ou de parcours de soins qui leur sont soumis, remarque Jean-Luc Plavis. Et on va parfois chercher des gens qui ne sont pas prêts à assumer de telles fonctions, qui ne parviendront pas à prendre une place dans le projet. »
Car la fragilité substantielle de la mobilisation associative réside dans son caractère bénévole. « Les représentants des usagers sont souvent des personnes retraitées, qui décident de s’investir dans ces missions avec beaucoup de volonté et d’énergie, explique Alain-Michel Ceretti, le président de la toute nouvelle Union des associations agréées d’usagers du système de santé
La création de cette nouvelle instance, inscrite dans la loi Touraine dite de “modernisation du système de santé”, apparaît comme la dernière étape du développement de la démocratie en santé. « C’est une représentation organisée des patients comme il n’en existait pas auparavant, au même titre que les syndicats professionnels, les Ordres, les unions régionales des professionnels de santé, s’enthousiasme Jean-Luc Plavis. Elle est inscrite à l’article 1 de la loi, financée de manière pérenne par le Fonds national pour la démocratie sanitaire de l’Assurance maladie, mais nous sommes les maîtres à bord. » Une précision qui n’est pas inutile quand on sait combien les associations peuvent être dépendantes de financements provenant des industriels de la santé (lire p. 30).
Parmi les autres missions officiellement dévolues à France assos santé : donner des avis et propositions aux pouvoirs publics sur le fonctionnement du système de santé ; animer un réseau des associations agréées aux niveaux national et régional ; représenter les usagers auprès des pouvoirs publics en vue de la désignation des délégués dans les conseils, assemblées et organismes. « Nous pourrons également agir en justice, porter des actions de groupe, précise Gérard Raymond, également vice-président de France assos santé, même si nous espérons ne pas en arriver là. » Alain-Michel Ceretti estime également que les représentants d’usagers doivent investir réellement – à part égale avec les autres acteurs en santé – le Comité économique des produits de santé (instance de la Haute Autorité de santé où sont négociés les prix des médicaments et des dispositifs médicaux avec les industriels) ainsi que les négociations conventionnelles des professionnels de santé avec l’Assurance maladie. « Mais, de toute façon, les besoins sanitaires doivent être définis par les usagers, conclut Martin Winckler. L’univers associatif a atteint une masse critique qui permettra de faire évoluer les choses, à condition d’y associer des compétences scientifiques et juridiques. »
(1) 58 patients opérés de la colonne vertébrale dans cet établissement privé parisien entre 1988 et 1993 ont été contaminés par la bactérie xenopi, avec des dégâts irréparables. Trois chirurgiens ont été condamnés, deux ont fait de la prison ferme. C’est ainsi qu’a été contaminée l’épouse d’Alain-Michel Ceretti, cité dans notre dossier, et c’est son histoire qui a donné lieu à la création du LIEN, association de défense des patients, qui a œuvré ensuite pour la naissance de l’Oniam, pour la publication des indicateurs de maladies nosocomiales dans les établissements et pour l’amélioration de la sécurité des soins.
(2) À la suite de sa création, le Collectif inter-associatif sur la santé a décidé de se dissoudre pour se fondre dans la nouvelle union qui rassemble actuellement 73 associations (quand le CISS en réunissait 43).
(3) Conférence au Café Nile, “agence conseil en affaires publiques” spécialisée en santé, du 7 juin 2017 (lien youtu.be/ClUnd18YOlY).
Depuis la loi du 4 mars 2002, seules les associations agréées peuvent représenter les usagers au sein des instances hospitalières et de santé publique. Pour obtenir cet agrément, une organisation doit attester d’une activité effective et publique dans le domaine de la défense des droits des personnes malades et usagères du système de santé depuis au moins trois ans. Derrière ce label, on retrouve donc aussi des associations de personnes handicapées, de retraités ou de personnes agées. Elle doit également avoir mené des actions de formation de ses membres et d’information du public en matière de représentation, répondre à des critères de représentativité (nombre d’adhérents ou de sympathisants), et témoigner d’une gestion transparente et indépendante (tant à l’égard des professionnels du soin que des industriels de la santé).
L’agrément peut être demandé soit au niveau national (auprès de la Direction générale de la santé), soit au niveau régional (auprès de l’Agence régionale de santé), en fonction du champ d’action de l’association.Au niveau national, les associations agréées peuvent siéger auprès de la Conférence nationale de santé, la Commission nationale des accidents médicaux, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), certaines instances des agences sanitaires, les commissions prévues par la convention Aeras (S’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé)…
• Anne Laude et Didier Tabuteau, Les Droits des malades, PUF, 2016.
• “Le patient dans le système de santé”, Revue française des affaires sociales, 2017/1 (La Documentation française).
• “Réalités industrielles – Patients et praticiens de terrain, acteurs de l’innovation”, Annales des Mines, de santé, 2017/2 (mai 2017).
« Les “patients experts”, ce sont ceux, atteints d’une maladie chronique, qui ont développé un savoir expérientiel et qui le mettent à disposition d’autres malades ou d’équipes de soins », résume Catherine Tourette- Turgis, professeur en sciences de l’éducation et fondatrice du programme l’Université des patients. Au sein de ce programme, cette chercheuse et enseignante engagée de longue date dans la formation à l’éducation thérapeutique a d’abord ouvert aux patients un DU en éducation thérapeutique du patient (en 2010), puis un deuxième consacré à la mission d’accompagnant de parcours patient en cancérologie avant de créer un DU réservé aux représentants d’usagers. Mais la naissance d’une expertise patient ne date pas d’hier. « On peut citer par exemple les Alcooliques anonymes, dès les années 1960, qui, à partir de leur vécu, ont créé des actions aux résultats bien meilleurs que les thérapies de l’époque, puis les femmes impliquées dans la lutte pour l’accès à l’avortement, les usagers de drogues dans les associations d’auto-support, les pairs aidants en santé mentale… », évoque encore Catherine Tourette-Turgis.
Trois universités françaises (Paris, Marseille et Grenoble) proposent actuellement des DU réservés aux patients désireux de représenterles usagers, de travailler au sein des associations, voire dans des établissements de soins. Diplômés, les patients peuvent ensuite être recrutés au sein d’établissements de soins où ils accompagnent certaines consultations ou parcours de soin, gérer des programmes d’éducation thérapeutique associatifs ou hospitaliers, animer des communautés de malades sur le Web, voire participer à l’enseignement en faculté de médecine, etc. « Ce n’est que le début du mouvement », estime Catherine Tourette-Turgis.
Lire aussi notre magazine n° 331 de décembre 2016.
L’origine du financement
Les associations d’usagers ont-elles conscience de l’impact de l’origine de leur financement sur leur action ?
Les associations font preuve du même déni total que les médecins auparavant sur la possibilité d’être influencées. Certaines mettent en place des chartes qu’elles font signer aux industriels qui les financent afin d’affirmer leur indépendance. Mais ceux-ci attendent toujours un retour sur investissement et, généralement, ils l’obtiennent. Ne serait-ce que parce qu’ils bénéficient de l’image de l’association. Lorsqu’un industriel veut communiquer, il peut placer de la publicité dans les publications qu’elles éditent. Mais le schéma le plus classique, c’est la sensibilisation à une maladie. Par exemple, avec la spondylarthrite ankylosante
D’autres industries peuvent-elles tenter d’influencer ?
La Fédération française des diabétiques, par exemple, est financée à 23 % par des entreprises. Parmi elles, il y a eu Coca-Cola, ce qui est quand même un peu surprenant. Et on observe que la Fédération a co-signé un livret sur les idées reçues sur le sucre, édité par le Centre d’études et de documentation du sucre, un pseudo-institut de recherche qui ne publie que des données favorables à la consommation de ce produit. L’influence est réelle et le problème est généralisé, car les associations ont besoin de budget pour maintenir les postes de leurs salariés permanents. Quand les moyens financiers deviennent nécessaires à poursuivre une action, l’association n’est plus libre. Certaines s’en défendent en disant que plus on varie les sources de financement, plus on est indépendant : ce n’est pas vrai. Cela étant, il y a un début de prise de conscience. Certaines associations contrôlent les liens d’intérêts de leurs scientifiques, comme la Ligue contre le cancer. Mais il faudra aussi que les patients développent leur propre expertise scientifique. Comme cela s’est produit au sein des associations de lutte contre le sida dans les années 1990. C’est un gros travail. Mais l’effort est payant.
Existe-t-il des associations portées par l’industrie mais “déguisées” en associations de patients ?
Nous avons observé un seul cas en France, lorsqu’est arrivée la vaccination contre le papillomavirus, avec la présence de GlaxoSmithKline et Sanofi à l’origine d’une association, 1 000 femmes pour 1 000 vies, afin que le cancer du col de l’utérus devienne une priorité de santé publique. Des organisations sont créées soi-disant pour porter la voix de la société civile et obtenir une autorisation de mise sur le marché ou un taux de remboursement intéressant. On appelle cela l’astroturfing. Au niveau européen, les organisations représentant les patients ont pu être financées jusqu’à 98 % par l’industrie pharmaceutique. Un rapport d’Health Action International a montré que les positions prises par l’European Patients’ Forum étaient exclusivement en faveur des industries. Cela a évolué quand des financements publics sont arrivés. Ce qui nous a longtemps protégés de l’entrisme des industriels, c’est le fait que le paysage associatif français était peu puissant. Mais, avec la présence de ses représentants au sein des agences décisionnaires, il sera de plus en plus ciblé. Les associations doivent être très vigilantes.
(1) La loi HPST du 21 juillet 2009 (article L. 1114-1 du Code de la santé publique) puis le décret du 21 mai 2013, en lien avec la loi Bertrand, oblige les entreprises fabriquant des produits de santé à publier les conventions passées et les avantages (au-delà de 10 euros TTC) procurés aux associations d’usagers du système de santé.
(2) Formindep est un collectif “pour une formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et des patients”.
(3) Décryptage à lire sur le site de Formindep : www.formindep.org/Decryptage-d-une-campagne.html