La nouvelle formulation du Levothyrox, médicament contre l’hypothyroïdie, fait polémique. De nombreux patients se plaignent d’effets secondaires, tandis que les autorités sanitaires s’emploient à rassurer.
Vertiges, maux de tête, crampes, pertes de cheveux, insomnies, fatigue, dépression, prise de poids : à l’encontre du nouveau Levothyrox, la liste des récriminations est longue. À la surprise des autorités sanitaires, qui peinent à rassurer les patients. Et comme souvent, les théories vont bon train : excipient nocif, adaptation au marché chinois, cupidité de Big Pharma…
Rien de mystérieux, pourtant, dans ce changement de formule. « Le Levothyrox est un médicament à marge thérapeutique étroite : une petite variation de dose peut entraîner une variation d’équilibre importante », explique le Dr Hervé Monpeyssen, chef de l’unité thyroïde de l’Hôpital américain de Paris. Or des fluctuations avaient été observées dans certains lots de l’ancienne formule. En février 2012, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a donc demandé au fabricant Merck de mieux contrôler la teneur active du Levothyrox.
Le Levothyrox modifié, disponible depuis avril 2017, conserve le même principe actif : la lévothyroxine, hormone thyroïdienne de substitution. Du côté des excipients, en revanche, le lactose a disparu au profit du mannitol, un édulcorant employé comme diluant, et de l’acide citrique anhydre, un conservateur. Tous deux sont d’usage courant en pharmacie et dans l’alimentation. Résultat : une nouvelle formule plus stable que l’ancienne.
Mai le Levothyrox nouvelle peau fait donc débat. À l’origine de la polémique se trouve une pétition lancée le 24 juin par une patiente opérée pour un cancer de la thyroïde, qui dénonce « d’importants effets secondaires » et réclame le retour à l’ancienne formule. Deux mois plus tard, elle passait la barre des 150 000 signatures. Sur les forums, les témoignages de patients s’accumulent.
« Cela a fait boule de neige, ça va très vite avec les réseaux sociaux », relate Beate Bartès, présidente de l’association Vivre sans thyroïde. « Beaucoup des symptômes rapportés évoquent les effets secondaires d’un surdosage et parfois, mais moins souvent, d’un sous-dosage », poursuit-elle, estimant à « quelques milliers » le nombre de patients concernés. À rapporter aux trois millions de personnes traitées chaque jour en France.
Que penser de ces symptômes ? La bioéquivalence entre l’ancienne formule et la nouvelle a été démontrée par deux études (non rendues publiques), mais des variations à l’échelle individuelle ne peuvent jamais être exclues. En raison de sa marge étroite, le Levothyrox fait d’ailleurs partie des spécialités « non substituables » par un générique. « Il est possible que l’excipient ait modifié l’absorption chez certains patients », considère Hervé Monpeyssen, appelant à rester à l’écoute.
Le Pr Philippe Caron, chef du service d’endocrinologie du CHU Larrey (Toulouse) et président du Groupe de recherche sur la thyroïde (GRT), est plus sceptique quant à l’interprétation des symptômes rapportés, jugés peu spécifiques. « Dans le cadre de mon activité de consultation, je n’ai pas noté d’augmentation du nombre de déséquilibres thyroïdiens », indique le spécialiste toulousain, qui préfère mettre l’accent sur un éventuel effet d’exposition médiatique.
Quoi qu’il en soit, l’ANSM comme les professionnels de santé s’emploient à rassurer. Une fiche de questions-réponses peut être consultée sur le site de l’agence, et un numéro vert a été mis à disposition (0 800 97 16 53). Plus de 70 000 appels ont été traités dans les deux premiers jours… Une enquête de pharmacovigilance lancée en mars n’a encore rien donné, mais les signalements continuent et des résultats consolidés sont attendus en fin d’année.
Certains patients, estimant ne pas supporter le nouveau Levothyrox, se sont tournés vers la L-thyroxine en gouttes, normalement employée en pédiatrie. « C’est la seule alternative, mais si trois millions de personnes en prennent, le stock sera épuisé en trois jours », craint Hervé Monpeyssen. En cas de doute, recommande l’ANSM, il vaut mieux faire contrôler son taux de TSH auprès de son médecin traitant, et ce, au moins six semaines après le début de la prise. Sont particulièrement concernés certains patients sensibles (femme enceinte, enfant, en cas de cancer de la thyroïde ou de maladie cardiovasculaire) et ceux pour qui l’équilibre a été « particulièrement difficile à atteindre ». En tout état de cause, souligne Philippe Caron, il importe de ne « surtout pas interrompre le traitement ».
Quant au fin mot de l’affaire, il reste à trouver. Emballement médiatique, déficit d’information, intolérances à la nouvelle formule ? « Il va falloir faire la part de choses entre le concret et l’inexplicable, indique Hervé Monpeyssen. Pour le moment, on a du mal. »