L'infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017

 

La vie des autres

Ici

Sandra Mignot  

Nathalie Munsch est l’une des rares sages-femmes qui expérimentent la pratique de l’accompagnement global en maison de naissance. Un choix de vie en phase avec sa philosophie professionnelle.

Travailler en accompagnement global, c’est une grosse charge de travail, mais c’est aussi un très grand plaisir, résume Nathalie Munsch, sage-femme libérale. Quand le téléphone sonne la nuit, deux minutes après je suis dans la douche, puis en voiture et en route pour une nouvelle naissance. » Depuis un an, en effet, Nathalie exerce dans un cadre nouveau et encore expérimental : celui de la maison de naissance de Bourgoin-Jallieu (Isère), nommée Premières heures au monde (PHAM). Diplômée depuis 1991, Nathalie a d’abord exercé en maternité pendant treize ans avant d’intégrer la pratique libérale. « Je n’avais plus envie de travailler avec le fonctionnement de l’hôpital : les gardes, les nuits, les week-ends et puis le fonctionnement hiérarchisé, les protocoles. Je voulais dégager plus de temps pour mes enfants qui étaient encore petits. Le libéral me permettait de m’organiser à mi-temps. »

Une “chose naturelle”

À son cabinet comme au domicile des patientes, elle met en œuvre des consultations de suivi de grossesse et post-natales, des séances de préparation à la naissance ainsi que de la rééducation post-partum. Avec l’idée de revenir un jour à l’accouchement. « À l’école de sages-femmes, on apprend une pratique très médicalisée, que l’on applique ensuite dans les hôpitaux. Mais, au fil des années, en pratiquant, je me suis rendu compte que j’étais attirée par autre chose. » La sage-femme considère en effet ce temps de la naissance comme une “chose naturelle”, que son corps peut maîtriser. Et pour cause, ses trois enfants sont eux-même nés sans péridurale. « Pour mon premier, j’ai été accompagnée par une collègue que je connaissais très bien dans l’établissement où je travaillais. Je l’ai vécu comme un privilège. » Alors, en 2010, ses enfants ayant grandi, elle signe une convention avec la maternité de Givors (Rhône). Elle conserve son exercice libéral, et peut réaliser les accouchements de ses patientes qui le souhaitent sur le plateau technique de l’établissement public, à qui elle rétrocède 30 % de l’acte coté. « J’avais envie de cette qualité qu’offre l’accompagnement global, quand on peut suivre une femme durant toute sa grossesse, son accouchement et la période post-natale, sans coupure et de la manière la plus naturelle possible. »

150 euros en plus par accouchement

En parallèle, elle s’engage dans une réflexion locale sur la création d’une maison de naissance. Inscrit dans les priorités du plan de périnatalité 2005-2007, ce modèle alternatif à la naissance hospitalière met dix ans à émerger, avec un appel à projets d’expérimentation paru à l’été 2015. « Nous avons bouclé notre dossier en un mois. Grâce au partenariat avec le centre hospitalier Pierre-Oudot de Bourgoin-Jallieu, dont le nouveau directeur arrivait de la maternité où j’avais exercé en plateau technique, celle de Givors. » Création de l’association (les maisons de naissance sont des structures juridiques autonomes d’un établissement de soin) porteuse du projet, discussions des liens conventionnels avec l’hôpital partenaire, négociation avec les services chargés des analyses biologiques ou de la fourniture des rares médicaments dont elles auront besoin, rappel des collègues intéressées par l’activité, tout doit aller vite.

Après le feu vert donné par la Direction générale de l’offre de soins en novembre 2015 (cf. encadré en haut), il faut encore accompagner les travaux (pris en charge par l’hôpital), organiser un financement participatif pour pouvoir aménager l’intérieur et acquérir quelques équipements nécessaires, réfléchir sur la collecte des indicateurs destinés à l’évaluation. Le tout, en conservant un niveau d’activité habituel. Le 1er juin 2016, Nathalie – qui poursuit par ailleurs ses consultations au cabinet et à domicile – est fin prête pour l’ouverture, accompagnée de ses sept collègues.

Les sages-femmes se rémunèrent grâce aux actes qu’elles cotent, à des dépassements d’honoraires et à la subvention d’expérimentation. « Nous demandons 150 euros supplémentaires pour l’accouchement, mais je ne trouve pas normal que les familles doivent payer de leur poche pour un accompagnement plus respectueux. » L’acte est en effet coté quelque 360 euros alors que l’accompagnement du travail, de l’expulsion puis des premières heures de vie peut représenter 12 à 18 heures d’activité pour la sage-femme. « Nos tarifs sont à réviser et des actes devront être créés pour que l’intégralité de notre activité soit rémunérée et que le modèle se pérennise. » En attendant, la sage-femme ne compte pas ses heures.

Une expérimentation longtemps espérée

L’expérimentation des maisons de naissance comme celle dans laquelle intervient Nathalie Munsch a été lancée en France par un arrêté de novembre 2015. Celui-ci autorisait le fonctionnement de neuf structures mais seules huit ont ouvert (l’une s’est finalement rétractée), chacune dotée de 150 000 euros de subvention annuelle. Après une mobilisation entamée dans les années 1970, sages-femmes libérales et associations de parents ont obtenu que ce modèle alternatif à l’accouchement en maternité (qui existe déjà au Québec, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, aux États-Unis…) soit à son tour mis en œuvre en France. Une convention lie chaque maison de naissance à un établissement réalisant des accouchements, afin de permettre un transfert rapide en cas de nécessité. Seules les femmes dont l’accouchement est prévu comme “à bas risque” (comme le définissent les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé datant de 2007) peuvent y donner naissance. Pour y exercer, le ministère a exigé des sages-femmes libérales qu’elles aient pratiqué des accouchements dans les deux années qui précédaient l’ouverture de la maison de naissance.

Elle dit de vous !

« Je ne croise pas souvent les Idels. Nous pouvons être amenées à travailler auprès d’une même patiente qui aurait finalement accouché par césarienne. L’infirmière comme la sage-femme sont habilitées à réaliser les soins de la cicatrice et l’injection d’anticoagulant, voire à retirer les agrafes. C’est généralement en fonction de la prescription médicale. Mais je m’en occupe parfois, le temps que le passage de l’Idel soit organisé. Nous travaillons dans des conditions assez similaires, même si nous sommes sollicitées moins tôt dans la journée (les jeunes mamans préfèrent souvent qu’on passe après 9 heures). Et je comprends les infirmières qui quittent l’hôpital pour le libéral, en quête de plus d’autonomie et d’indépendance puisque… j’ai fait la même chose. Il y a une demande de plus en plus forte pour cette profession. C’est un métier d’avenir. »