Des pharmaciens qui agissent pour une extension de leurs actes. Des Idels qui revendiquent une meilleure reconnaissance de leurs compétences, à la hauteur du décret d’actes. Des territoires professionnels qui se touchent voire se chevauchent… jusqu’à la tension ?
Philippe Gaertner : La problématique sur laquelle nous souhaitons intervenir concerne les populations qui ne vont ni chez le médecin, ni au cabinet infirmier. Car les expérimentations internationales nous ont permis de constater que l’arrivée d’un nouvel acteur dans la vaccination, le pharmacien, permet de toucher une population nouvelle. C’est pourquoi la pharmacie d’officine peut aujourd’hui intervenir positivement pour faire remonter le taux de couverture vaccinale, en baisse depuis plusieurs années. Par ailleurs, la légitimité de nos deux professions porte sur la vaccination de rappel chez l’adulte. La décision initiale doit rester médicale. Cependant, la personne la plus compétente sur le vaccin – le produit – est le pharmacien et, concernant l’acte de piquer, c’est l’infirmier. Charge à chaque profession de compléter ses connaissances. Selon moi, nous sommes sur des complémentarités et non des oppositions.
Karim Mameri : Lorsque la ministre a émis le souhait de lancer ces expérimentations, il y a eu une totale incompréhension de la communauté des Idels. Pendant cinq ans, l’Ordre national des infirmiers et des syndicats d’infirmiers libéraux ont sollicité la ministre pour faire des propositions de santé publique concernant l’amélioration de la couverture vaccinale contre la grippe et nous n’avons jamais obtenu de réponse. Nous l’avons vécu comme du mépris. Nous considérons que les compétences sont déjà présentes au sein de la profession et que la vaccination antigrippale est un acte “propre” infirmier. Il y a environ 20 000 officines et 100 000 Idels. Les infirmières sont aptes à assumer cette action. Mais, aujourd’hui, elles ne peuvent vacciner [contre la grippe sans prescription et hors primo-injection] que les plus de 65 ans et les malades chroniques, et non leurs conjoints par exemple. Ce n’est pas normal. Si nous voulons protéger une population à risque, il faut s’en donner les moyens.
Philippe Gaertner : Bien sûr que non. Le pharmacien intervient à chaque fois que le médicament est au centre. Quand une infirmière fait de la PDA, elle fait de l’exercice illégal de la pharmacie. La préparation du pilulier [sur ce sujet, relire aussi notre débat de décembre 2014…] fait partie intégrante des missions des pharmaciens. Nous pouvons cependant imaginer une délégation de tâches du pharmacien vers l’infirmière au sens de l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé et territoires. Si nous voulons réussir le virage ambulatoire et améliorer la prise en charge des patients, il faut entièrement repenser la prise en charge à domicile et faire en sorte qu’infirmières et pharmaciens permettent d’améliorer l’observance des traitements et interviennent auprès des patients en difficulté. Concernant les entretiens pharmaceutiques, pour la partie liée aux médicaments, elle est de la compétence des pharmaciens. Quant à l’éducation thérapeutique du patient, elle est une compétence partagée. Nous avons tous un rôle à jouer, chacun à sa place.
Karim Mameri : Concernant les piluliers, je pense que les pharmaciens possèdent des compétences frontières. La personne âgée polypathologique doit par exemple obtenir des explications avec ses médicaments, et ce n’est pas à l’officine que cela va pouvoir se faire. Néanmoins, il ne faut pas nous opposer les uns aux autres. Cessons ces corporatismes par lesquels chacun veut préserver son pré carré. Dans le cadre de l’amélioration des soins aux personnes âgées et aux patients chroniques, nous avons besoin des compétences de tous. Il faut travailler ensemble et mieux définir qui fait quoi. Le rôle de l’Idel dans la coordination des soins semble essentiel car elle se rend à 95 % au domicile des patients. Il faut donc mettre à plat les différentes compétences et qualifications car il peut y avoir une complémentarité.
Philippe Gaertner : Les tutelles auront suffisamment de financements si les interventions que nous prévoyons sont efficientes. Il faut cibler très spécifiquement les besoins de la population et non chercher à accompagner tout le monde. Les conventions sont négociées profession par profession. Cependant, l’accord cadre interprofessionnel qui devrait être discuté d’ici la fin de l’année doit prévoir les interventions combinées des acteurs. De ce fait, si les intérêts des patients et les intérêts économiques sont bien définis, il y aura des financements car ils seront compensés par des économies, comme par exemple la diminution des hospitalisations.
Karim Mameri : Pour obtenir des financements, il faut faire attention à ce que chaque profession reste dans ses compétences spécifiques. Cependant, le programme du président de la République est clair : il faut investir sur la prévention et les problématiques de santé publique. Aujourd’hui, il faut décloisonner les métiers (médecins, infirmiers et pharmaciens) et avancer ensemble en développant des projets communs. Les compétences peuvent parfois être transverses. Le service sanitaire des étudiants en santé va dans ce sens pour permettre aux professionnels d’apprendre à travailler ensemble. Il y aurait un gain majeur à ce qu’il y ait des échanges entre les différentes professions afin de connaître le regard de chacun puis ainsi négocier et avoir des financements dédiés.
« [Concernant la vaccination], nous sommes sur des complémentarités et non sur des oppositions. »
Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques français
« [Pour les soins aux personnes âgées notamment], cessons ces corporatismes par lesquels chacun veut préserver son pré carré. »
Karim Mameri, secrétaire général du Conseil national de l’Ordre national des infirmiers
Confrontés à la baisse des prix du médicament, les pharmaciens d’officine entendent réinventer leur profession en l’étoffant de nouvelles activités. à l’expérimentation de la vaccination antigrippale chez les adultes, s’ajoutera en 2018, selon l’avenant signé en juillet avec l’Assurance maladie par le seul syndicat USPO (lire aussi p.10), un bilan de médication pour les personnes âgées. Autres missions nouvelles à venir : la livraison à domicile, la chimiothérapie orale…