Différentes situations de soins peuvent interpeller les infirmières libérales dans le champ de l’éthique. Ces interrogations surgissent lorsqu’il y a conflits de valeurs et qu’il faut opter pour les unes en faisant parfois le sacrifice d’autres.
Qu’en est-il des limites de l’intervention lorsque surgit une tension bienfaisance/sécurité-respect de l’autonomie de la personne malade ? L’exemple est celui des personnes qui sont enfermées à leur domicile au départ des professionnels (aide-ménagère, aide-soignante, infirmière…), souvent en raison de leur désorientation et de peur qu’elles ne se mettent en danger en sortant. La question est au cœur d’un dilemme éthique : il y a bien notion de bienfaisance (protéger la personne), mais qu’en est-il du respect de l’autonomie (problème du consentement et de la limitation de sa liberté)… D’autant qu’il y a un risque aussi de la mettre en danger en l’enfermant (tentative de sortie par une autre voie, incendie…). Le Code de la santé publique prévoit que « l’infirmier ou l’infirmière agit en toute circonstance dans l’intérêt du patient » (article R. 4312-26). Sur quels critères (objectifs/subjectifs) déterminer l’intérêt du patient ? Dans ces situations, il importe de privilégier des discussions en équipe en évaluant les notions de bénéfice et de risque, sachant que les risques doivent rester “mesurés”. Si différents textes de loi encadrent la notion de protection, celle-ci mérite d’être individualisée plutôt que normative. Par ailleurs, la restriction de liberté (fermeture de barrières du lit médicalisé par exemple) ou l’appréciation des critères sur les capacités d’une personne malade restent du domaine médical. Enfin, l’article 415 du Code civil, en ce qui concerne les majeurs protégés, précise que « cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci ».
Ce monsieur âgé, veuf depuis quelques années, vit seul dans une grande maison bourgeoise. Malgré les aménagements régulièrement effectués par les soignants afin de favoriser l’environnement des soins, le patient semble apprécier désordre et grande pagaille, ce qui épuise les soignants et favorise les chutes régulières. Le médecin préconise une institutionnalisation, mais les enfants s’y opposent : « Si vous mettez notre père en institution, il va mourir. » Le monsieur répète à qui veut l’entendre qu’il souhaite finir sa vie chez lui. Mais peut-on le laisser vivre dans son “capharnaüm” ? Le risque est qu’il se mette en danger et que les soins ne puissent plus être réalisés dans de bonnes conditions.
La question de la faisabilité des soins dans les logements insalubres ou aux conditions d’hygiène “hors normes” renvoie aux problématiques de précarité et d’équité d’accès aux soins. Doit-on soigner uniquement quand toutes les conditions “idéales” sont réunies ? Est-ce à dire que les personnes qui vivent dans les 2,8 millions de logements insalubres en France se verraient privées de soins ? Ce serait, pour elles, la double peine en quelque sorte… En ce qui concerne la mise en danger du patient, il convient de mesurer les risques et les bénéfices des options (domicile/institution) envisagées, de prévenir les premiers autant que possible, d’évaluer s’il y a des altérations cognitives et de prendre en compte le choix du patient. L’éthique invite à la recherche de sens dans l’action pratique pour maintenir la dimension humaine des soins. Aujourd’hui, de nombreuses personnes âgées finissent leur vie en maison de retraite alors qu’elles ne l’ont pas souhaité. Par ailleurs, une situation où les soignants se mettraient eux-mêmes en danger par risque d’épuisement peut conduire à “passer la main”, en respectant toutefois la continuité des soins.
Il est des situations de soins à domicile où les conditions de travail apparaissent, pour certaines infirmières, inacceptables. La situation la plus emblématique est celle du domicile dépourvu de lit médicalisé, par refus du patient, alors que les soignants ne cessent de clamer son intérêt. Quel positionnement adopter ? Doit-on soigner “moins bien”, mais “soigner” tout de même ? Ces situations interrogent le fondement du désir d’intervenir du soignant : prendre soin d’autrui dans le respect de ses valeurs et de son histoire de vie, ou, face à un refus, préserver un idéal soignant où l’on imagine savoir ce qui est bon pour la personne soignée… C’est aussi la question du projet de soins commun, avec et pour la personne (respect de son autonomie) qui est ici interrogée. Comment négocier avec elle - et non pas imposer - un environnement qui lui favorise les soins et poser ensemble les limites de celui-ci ? La question du lit médicalisé renvoie au dilemme entre autonomie (de la personne malade) et “idéal” soignant qui a du mal à trouver sa place entre normes théoriques et pratiques… Pour Agata Zielinski
Valoriser les “capacités” qui subsistent chez la personne devenant moins autonome plutôt que pointer les “manques” est une piste de réflexion à favoriser pour préserver l’estime de soi de la personne malade et la relation de confiance avec le soignant permettant un espace de négociation.
Toutes ces situations mettent en difficulté les soignants, qui ont le sentiment d’être confrontés en permanence à des limites et des incertitudes : du consentement aux soins, de leur faisabilité… mais aussi de leurs propres savoirs et pouvoirs. Partager ces questions avec des collègues ou au sein d’un espace éthique constitue un soutien précieux.
*Agata Zielinski, “Être chez soi, être soi - Domicile et identité”, Études 2015/6 (juin), pp.55-65.
→ Cet article fait suite à la présentation de trois premiers cas pratiques d’éthique dans notre numéro 318 d’octobre 2015 : un refus de soins, une épouse qui demande le pronostic de la pathologie de son mari et une situation de violence entre conjoints majeurs, confiée par l’un d’eux.
Article R. 4312-12 du code de déontologie des infirmiers
« Dès lors qu’il a accepté d’effectuer des soins, l’infirmier est tenu d’en assurer la continuité.
« Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un infirmier a le droit de refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle.
« Si l’infirmier se trouve dans l’obligation d’interrompre ou décide de ne pas effectuer des soins, il doit, sous réserve de ne pas nuire au patient, lui en expliquer les raisons, l’orienter vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre les informations utiles à la poursuite des soins. »
Une personne sous tutelle peut désigner une personne de confiance ou rédigerdes directives anticipées avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il existe. « Le tuteur ne peut ni l’assister ni la représenter à cette occasion. »
* Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.