La représentation du clitoris ne figurait pas dans les manuels de sciences de la vie et de la terre – ou bien de manière incomplète ou erronée. Pour cette rentrée scolaire, un éditeur l’a dessiné comme partie intégrante de l’appareil sexuel féminin. Analyse de cette première avec la chercheure Odile Fillod.
Odile Fillod : Sur ce sujet précis, oui. Cette année, une réelle prise de conscience a eu lieu dans le grand public. On a beaucoup parlé du clitoris dans la presse, à la télé… Plus aucun auteur de manuels de SVT ne peut aujourd’hui ignorer à quoi il ressemble. À l’avenir, d’autres éditeurs vont s’aligner, c’est certain. Mais les révisions de manuels ne se font qu’en cas de changement de programme. Or le programme de collège a été revu fin 2015, et une nouvelle mouture n’est donc pas pour tout de suite. En revanche, une révision des programmes de lycée, et donc des manuels, interviendra peut-être un peu plus tôt.
O. F. : Oui, au même titre que nombre d’autres productions culturelles, mais avec une gravité particulière car ces manuels destinés aux jeunes sont censés refléter l’état des connaissances scientifiques, et non des préjugés. Or j’ai constaté qu’ils étaient porteurs de biais reflétant les stéréotypes de genre et les inégalités sociales entre les sexes. C’est dans ce cadre que j’ai relevé qu’aucun manuel ne comportait une représentation correcte du clitoris : il était soit représenté par son seul gland comme si c’était l’organe entier, soit carrément absent. De manière générale, les manuels tendent à accentuer artificiellement la bicatégorisation de sexe et à naturaliser certains rôles sociaux de sexe. Pour ne prendre qu’un exemple, les hormones gonadiques (dites “sexuelles”) sont catégorisées en hormones masculines (voire “mâles”) ou féminines alors qu’hommes et femmes les produisent, et on explique à tort que leur niveau est variable chez les femmes mais constant chez les hommes, ce qui renvoie au stéréotype de la femme qui souvent “varie”, est inconstante, voire versatile, opposé à celui de l’homme stable, fiable.
O. F. : En préparant des vidéos pédagogiques
O. F. : C’est déjà le cas. Il est utilisé dans des consultations pour femmes excisées et je collabore à un projet mené dans ce cadre qui vise à compléter le modèle en représentant la vulve en entier. Des sexologues, des membres de centres de planning familial et des personnes qui interviennent en éducation à la sexualité s’en servent également – en plus d’enseignants de SVT, qui étaient au départ le public visé.
O. F. : J’analyse la production et la vulgarisation des discours scientifiques portant sur les différences biologiques entre femmes et hommes. Cela m’amène notamment à critiquer la façon dont certaines études sont (mal) relayées dans les médias ou ouvrages grand public, et aussi à relever des biais, qui, fréquemment, existent déjà dans les articles scientifiques eux-mêmes. J’ai par exemple traité le cas d’une étude faite sur des singes réputée avoir montré que filles et garçons avaient des préférences de jouets naturellement différentes, en montrant ce qui n’allait pas dans cette étude, son interprétation, et la façon dont elle était présentée
O. F. : Ce n’est pas évident quand on n’a ni les moyens ni le temps de rechercher les sources des informations. Certains indices peuvent néanmoins alerter : lorsqu’il n’y a aucune référence à des études scientifiques précises, dans le style « on sait que » ou « la science a démontré que… » sans autre précision, ce n’est jamais bon signe. J’invite en particulier à se méfier de la parole de médecins essayistes qui ne sont pas eux-mêmes chercheurs, qui s’expriment sur des sujets sortant de leur domaine d’expertise et/ou prêchent pour leur chapelle. Une vérification de base est aussi de s’assurer que la source de l’information qu’on consulte est a priori fiable, et pas d’ores et déjà connue pour être douteuse ou tendancieuse.
O. F. : Dans les années 1990, sous la houlette du Vatican, les milieux catholiques conservateurs ont entrepris de lutter contre la progression dans le monde de l’accès des femmes aux droits reproductifs et de l’égalité pour les couples homosexuels. L’expression “idéologie du genre” a alors été forgée pour dénigrer tout ce qui remettait en question la famille traditionnelle et la morale sexuelle prônée par l’Église. Au début des années 2000, le prêtre et psychanalyste français Tony Anatrella a affiné cette rhétorique en forgeant le terme “théorie du genre”. En gros, l’idée est de convaincre que les évolutions sociales portées par les mouvements féministes et LGBT
(1) À voir sur matilda.education
(2) Un Fab Lab peut se définir comme « un atelier partagéde fabrication numérique ».
(3) À télécharger sur https://lc.cx/4Egu
(4) Sur le blog Allodoxia notamment.
(5) Cf. le lien raccourci bit.ly/JeuxSges
(6) Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres.
1998 Reprise des travaux de recherche sur l’anatomie du clitoris par l’urologue australienne Helen O’Connell
2013 Analyse par Odile Fillod de quatorze manuels de SVT où le clitoris et les organes sexuels féminins ne sont pas représentés correctement
2016 Présentation par Odile Fillod du premier modèle de clitoris entier imprimable en 3D
2017 – Le manuel Magnard de SVT de 4e est le premier à représenter le clitoris entier
– Lancement par Odile Fillod du site Clit’info, mine d’or d’informations sur le clitoris, dont les premières évocations remontent au Ve siècle avant notre ère (https://odilefillod.wixsite.com/clitoris).